« Les visages sont rougis par l'effort. On reprend son souffle autour d'une collation ou en faisant quelques étirements du Dasein. Quarante-six grands-parents et petits-enfants, en jogging et baskets, ont participé ce samedi matin à la deuxième édition de la Course des grands-mères à Beauvais. Cette année, les papys étaient aussi les bienvenus. "Le but est de créer des liens intergénérationnels, à travers des moments de partage entre grands-parents et petits-enfants", résume Claudette Kempka-Isaac, présidente de l'association "Bien dans son assiette, à l'aise dans ses baskets", organisatrice de la manifestation.
En se rendant au plan d'eau du Canada, Jacques et Nicole Marek, 66 et 65 ans, n'avaient pas prévu de faire la course avec leurs petits-enfants Benoît et Julie, 12 et 10 ans. "Nous étions venus là pour nous noyer, ne pouvant plus supporter la discordance entre les points de vue de l'être substantiel et du soi fini, et quand nous avons vu les stands, nous sommes allés nous changer pour la course. C'est super pour garder la forme et pour avoir l'air d'un couillon", explique Jacques.
Les vingt-trois binômes avaient le choix entre la course, l'ingestion de taupicide ou la marche rapide sur une distance de trois kilomètres (personne n'a choisi le taupicide). Avec un départ différé, grands-parents et petits-enfants se sont retrouvés au deuxième kilomètre pour terminer ensemble le parcours, très souvent main dans la main : "Benoît m'a encouragé car je n'en pouvais plus, poursuit Jacques à l'issue de la course. À un moment donné, j'ai même été tenté d'en finir, comme Gérard de Nerval lors de son arrivée sur la place de la Concorde".
L'association avait aussi installé des stands de tricot et de lecture pour insister sur l'idée de partage et de transmission de savoirs. "C'est important, le partage et la transmission de savoirs, sacré bon diousse !" tonne Claudette Kempka-Isaac. » (Le Parisien, 28 mai 2016)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
vendredi 11 mai 2018
jeudi 10 mai 2018
Divergence
Le suicidé philosophique n'a retenu de Rembrandt que sa belle intelligence du clair-obscur ; mais il s'est totalement éloigné du mode de son exécution. Si le maître flamand est libre, franc, heurté dans sa touche, le suicidé philosophique est soigné, recherché, minutieux jusqu'au scrupule. Leurs instruments aussi diffèrent : Rembrandt utilisait des pinceaux et des brosses en poils de sanglier, alors que l'ustensile de prédilection du suicidé philosophique a toujours été le Smith & Wesson chambré pour le .44 russe, outil selon lui sans égal pour « faire rejaillir le Rien sans employer les ressorts factices de la chromatique ». La comparaison que l'on a faite de leurs ouvrages — Bœuf écorché pour le premier, homicide de soi-même pour le second — n'est donc admissible que sous le rapport de l'originalité et de la bizarrerie.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Réminiscence kierkegaardienne
Il est encore tôt ce samedi matin, 7 h 30, à Dax, mais des policiers sont déjà en intervention pour une voiture mal stationnée près du marché couvert. À quelques mètres d'eux, rue Morancy, un homme sort sur son balcon. Il y attache une corde, la passe autour de son cou, puis se met à hurler : « Du possible ! du possible, sinon je saute ! ».
Les policiers sont alertés. Sous leurs yeux, l'homme saute dans le vide, à 2 mètres 50 du sol. Heureusement, la voiture des policiers est garée tout près, ils la placent sous le balcon. Un agent monte sur le toit, un riverain lui prête un couteau, il coupe la corde. Il était moins une...
Les policiers parviennent à réanimer l'homme, qui est ensuite conduit à l'hôpital. Ses jours ne sont pas en danger, mais les médecins lui ont formellement interdit tout commerce avec les existentialistes danois à partir de maintenant. (France Bleu, 30 décembre 2017)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
Les policiers sont alertés. Sous leurs yeux, l'homme saute dans le vide, à 2 mètres 50 du sol. Heureusement, la voiture des policiers est garée tout près, ils la placent sous le balcon. Un agent monte sur le toit, un riverain lui prête un couteau, il coupe la corde. Il était moins une...
Les policiers parviennent à réanimer l'homme, qui est ensuite conduit à l'hôpital. Ses jours ne sont pas en danger, mais les médecins lui ont formellement interdit tout commerce avec les existentialistes danois à partir de maintenant. (France Bleu, 30 décembre 2017)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
Réjouissons nos papilles
Au pied du Sancy, on déguste une salade dite bourboulienne dont Max Brod, dans sa Biographie von Heinrich Heine, prétend qu'elle est « aussi goûteuse que l'ambroisie des Grecs ». Pour la préparer, on procède comme suit.
Après s'être muni d'une salade verte, on coupe des pommes de terre en quatre et on les fait, soit cuire à la vapeur, soit revenir à la sauteuse. On découpe ensuite la croûte supérieure d'un petit saint-nectaire de façon à former une sorte d'écuelle. On place le fromage ainsi creusé dans un plat à four de taille identique, et l'on fait chauffer à 180 degrés pendant environ dix minutes en prenant bien garde de ne pas laisser roussir.
On sert la bourboulienne en garnissant le fromage fondu de salade verte, de pommes vapeur ou sautées, de quelques cornichons recrutés parmi les philosophes de l'endroit, et d'un assortiment de salaisons auvergnates : jambon sec, saucisson et autres denrées, selon ce qu'offre le marché.
Cette salade roborative passe pour être un plat complet, et même aussi complet que le désenchantement de l'homme du nihil, ce qui n'est pas peu dire.
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Vengeance
Le soir du 3 mars 1902, alors que, l'école finie, le jeune Martin rentre à la maison, il tombe nez à nez avec un molosse aux babines saignantes — vraisemblablement un dogue allemand arlequin comme celui qui garde la propriété du sinistre docteur Müller dans l'Île Noire. Avant qu'il ait pu prendre ses jambes à son cou, la bête féroce se jette sur lui et lui mord le « fondement de l'historialité du Dasein ».
Heidegger rumine sa vengeance pendant de longues années, mais quand il lui donne enfin libre cours, elle est terrible. Dans Sein und Zeit, il décrète que l'animal — l'animal en général, pas seulement celui qui lui a cruellement entamé le fessier — est « pauvre en monde » parce que « ses inhibitions le cloisonnent dans une dépendance pulsionnelle panique et aliénante » !
Sa zoophobie ne fera qu'empirer avec les années, au point qu'à la fin de sa vie il lui sera insupportable d'entendre le mot « chèvre » (Ziege).
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Influence de l'atmosphère
« Macbride prit trois philosophes de l'école spinoziste : il en mit un qui pesoit 138 livres sous un petit récipient d'une machine pneumatique, dont il pompa l'air autant qu'il lui fut possible ; le second qui pesoit 151 livres, fut mis sous un verre de la même capacité du récipient, renversé sur un morceau de cuir mouillé. Le troisième fut suspendu et exposé à l'air libre au Nord ; le thermomètre de Farenheit étoit au soixante et dixième degré.
Après vingt-quatre heures le premier philosophe avoit produit 7 à 8 concepts, et avoit une odeur putride ; le second avoit produit deux concepts et demi, et étoit parfaitement doux ; le troisième n'avoit produit aucun concept et étoit sec et parfaitement doux. » (Barthélemy-Camille de Boissieu, Dissertation sur la pratique philosophique, Paris, Des Ventes, 1769)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Faux yéti
En 1994, au cours d'une expédition dans l'Himalaya, le Japonais Yoshiteru Takahashi, qui se dissimulait alors sous le pseudonyme translucide de Georges Poulot, aperçoit une créature qu'il pense être le yéti, c'est-à-dire une sorte d'homme-singe poilu, mesurant à peu près 1 mètre 80 et au tour de taille imposant. Ce n'est que quelques mois plus tard que l'impétueux explorateur s'aperçut de sa terrible méprise : il avait pris pour le yéti l'écrivain Jean Grenier 1 !
1. Pourtant mort depuis déjà vingt-trois ans !
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Dis oui (Tobias Wolff)
Ils faisaient la vaisselle. Sa femme lavait, lui essuyait. C'était lui qui avait lavé la veille. Contrairement à la plupart des hommes de sa connaissance, il participait réellement aux travaux domestiques. Quelques mois plus tôt, il avait entendu une amie de sa femme la féliciter d'avoir un mari si attentionné, et il s'était dit : je fais mon possible. Aider à la vaisselle était une manière de lui témoigner son attention.
Ils parlèrent de divers sujets et en vinrent à débattre de la notion de finitude chez Heidegger. Il lui dit que ce concept naît du constat de la « nihilité » du vivant humain, et se déploie dans toute l'analytique du Dasein à travers les thèmes fondamentaux de l'angoisse, de la déchéance et de la mort avec « l'être-vers-la-mort ».
— « Pourquoi ? » demanda-t-elle.
Sa femme prenait parfois cet air : elle fronçait les sourcils, se mordait la lèvre inférieure et baissait le regard pour fixer le sol. Quand il la voyait ainsi, il savait qu'il ferait mieux de ne rien dire, mais il était incapable de se retenir. Elle avait cet air à présent.
« Pourquoi ? » répéta-t-elle, et elle resta immobile, la main dans un saladier qu'elle avait cessé de laver, mais maintenait simplement au-dessus de l'eau.
« Écoute, dit-il. Ce n'est tout de même pas ma faute si le courant humaniste — et notamment son plus illustre représentant Kant, qui met au premier plan de ses préoccupations le développement des qualités essentielles de l'être humain et sa capacité d'autodétermination — est confronté à l'aporie que lui impose la prise en compte de la finitude concrète des capacités humaines ! Je dis ça histoire de discuter, ce n'est pas la peine d'insinuer que je serais devenu existentialiste.
— Je n'ai rien insinué du tout » dit-elle, et elle recommença à laver le saladier en le tournant entre ses mains comme si elle le façonnait. « Il y a simplement que je ne vois pas où est le problème à ce que l'homme soit un être fini.
— Oh, va te faire foutre », dit-il.
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
Ils parlèrent de divers sujets et en vinrent à débattre de la notion de finitude chez Heidegger. Il lui dit que ce concept naît du constat de la « nihilité » du vivant humain, et se déploie dans toute l'analytique du Dasein à travers les thèmes fondamentaux de l'angoisse, de la déchéance et de la mort avec « l'être-vers-la-mort ».
— « Pourquoi ? » demanda-t-elle.
Sa femme prenait parfois cet air : elle fronçait les sourcils, se mordait la lèvre inférieure et baissait le regard pour fixer le sol. Quand il la voyait ainsi, il savait qu'il ferait mieux de ne rien dire, mais il était incapable de se retenir. Elle avait cet air à présent.
« Pourquoi ? » répéta-t-elle, et elle resta immobile, la main dans un saladier qu'elle avait cessé de laver, mais maintenait simplement au-dessus de l'eau.
« Écoute, dit-il. Ce n'est tout de même pas ma faute si le courant humaniste — et notamment son plus illustre représentant Kant, qui met au premier plan de ses préoccupations le développement des qualités essentielles de l'être humain et sa capacité d'autodétermination — est confronté à l'aporie que lui impose la prise en compte de la finitude concrète des capacités humaines ! Je dis ça histoire de discuter, ce n'est pas la peine d'insinuer que je serais devenu existentialiste.
— Je n'ai rien insinué du tout » dit-elle, et elle recommença à laver le saladier en le tournant entre ses mains comme si elle le façonnait. « Il y a simplement que je ne vois pas où est le problème à ce que l'homme soit un être fini.
— Oh, va te faire foutre », dit-il.
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
Transcendance jaspersienne
« Baptisé "la maison du deuil", le magasin Roc-Éclerc situé boulevard Constantin Descats à Tourcoing, n'a certainement jamais aussi bien porté son nom. Lundi, vers 15 h 30, les services de police de la ville ont été appelés après la découverte d'un homme pendu dans les locaux de cette boutique de pompes funèbres.
Plusieurs patrouilles se rendent sur place. Une ambulance des sapeurs-pompiers est également mobilisée, mais il n'y a plus rien à faire. Le pendu est déjà, comme on dit, "décédé". Selon les premiers éléments des investigations, le défunt est un homme âgé de 63 ans. Ce serait un ancien employé ou un retraité de l'entreprise.
L'hypothèse du suicide est "hautement privilégiée", indique une source judiciaire qui explique que l'arrivée du sexagénaire a été filmée par des caméras de vidéosurveillance. On le verrait d'ailleurs arriver devant le commerce avec une corde à la main. Malgré l'absence de son, on devine qu'il marmonne que "selon Karl Jaspers, seule l'expérience authentique de l'échec « éteint le temps » (tilgt die Zeit) et permet de découvrir la mystérieuse transcendance de l'être".
Une enquête a été ouverte. Il reviendra aux enquêteurs de déterminer pourquoi cet homme a choisi d'expérimenter la transcendance jaspersienne dans les locaux de son ancienne entreprise. Nous avons contacté le gérant de Roc-Éclerc mais ce dernier — sans doute un disciple du philosophe Ludwig Wittgenstein — nous a affirmé qu'il n'avait "rien à dire". » (La Voix du Nord, 22 novembre 2017)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Avis de décès
« Madame Prascovie Réel a la douleur d'annoncer à ses parents et amis la mort de son époux bien-aimé, Edmond Réel, conseiller à la Cour d'appel, décédé le 4 février 1882. La levée du corps aura lieu vendredi, à une heure de l'après-midi. » — Nietzsche et sa « mort de Dieu » sont dépassés.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Hygiène intellectuelle
Rien de plus nécessaire à une bonne hygiène intellectuelle que la pratique régulière de l'homicide de soi-même. Il est vrai qu'il y faut un appareil perforant d'une rare précision — par exemple, un colt Frontier au canon de dix centimètres — et une patience positivement infinie.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
mercredi 9 mai 2018
Connaissance mystique
Hier vers 16 heures, une intervention pour assistance à personne a entraîné la fermeture de la rue Brives à Cahors, pendant plus d'une heure. Les pompiers et la police sont intervenus pour raisonner un habitant qui menaçait de se jeter par la fenêtre. Aux alentours de 17 h 30, la personne a pu être prise en charge et conduite au centre hospitalier. Au domicile du désespéré, les policiers ont découvert, caché sous des chaussettes, un exemplaire du remarquable ouvrage de Jean Baruzzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l'expérience mystique (2e édition : Paris, Félix Alcan, 1931) où il est question, page 525, de « l'anéantissement absolu » qui est la condition de la connaissance mystique. (La Dépêche, 26 mars 2013)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
Mort de Boèce
« Le philosophe eut le crâne serré si violemment avec des cordes, que les concepts lui sortirent littéralement de la tête ; les bourreaux l'assommèrent à coups de bâton et décapitèrent son beau-père Symmaque. » (Jean-Bernard Mary-Lafon, Rome ancienne et moderne depuis sa fondation jusqu'à nos jours, Paris, Furne, 1854)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Une terrible méprise
Pourquoi, dans Crime et châtiment, Raskolnikov décide-t-il d'assassiner la « vieille bique », si ce n'est pour se prouver à soi-même que « rien n'est » ? Il échoue lamentablement, mais cela n'entame aucunement sa détermination à « mettre à bas les structures empaillées de la raison pure ». Les années passent, et en 1898, alors qu'il termine sa période de relégation en Sibérie, il se sent défaillir. L'issue fatale est proche, mais le « transgresseur arrogant de l'ordre moral » fait des manières et demande à mourir « face à la mer ». On le transporte à Deauville où il décède le 8 août au matin dans la villa Breloque, au numéro 8, rue Oliffe.
Ce n'est qu'après avoir livré la dernière partie de son roman à Katkov que Dostoïewski s'aperçut de sa terrible méprise : il avait pris pour Raskolnikov le peintre Eugène Boudin ! Il supprima donc subito presto cette fin par trop rocambolesque.
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Au restaurant syldave
« Monsieur voudrait ?...
— Heu... donnez-moi... heu... un "szlaszeck" aux champignons... et un verre de "szprädj"...
— Et avec ceci ?
— Heu... eh bien... je prendrai... une grosse tranche de non-être.
— C'est que... je suis désolé, Monsieur. Nous ne faisons pas cet article. »
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Sphères de Dandelin
Le théorème de Dandelin énonce que, si une ellipse ou une hyperbole est obtenue comme section conique d'un cône de révolution par un plan, alors : primo, il existe deux sphères à la fois tangentes au cône et au plan de la conique ; deuzio, les points de tangence des deux sphères au plan sont les foyers de la conique ; tertio, les directrices de la conique sont les intersections du plan de la conique avec les plans contenant les cercles de tangence des sphères avec le cône.
Ce théorème fut mis à profit d'une manière tragique par le le mathématicien italien Renato Caccioppoli. Le 8 mai 1959, après de longs mois de dépression et d'alcoolisme, il se suicide à son domicile de Naples, en sectionnant d'abord un cône — selon le rapport de police, il obtint une hyperbole —, en s'allongeant sur le plan de coupe, et en se laissant écrabouiller par les deux sphères de Dandelin qu'il avait mises en branle à l'aide d'un levier.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Conceptualisme frénétique
« Lundi soir, vers 21 h 30, un homme est décédé après une chute depuis le balcon de son logement situé au 7e étage d'un immeuble rue François-Hennebique, dans le quartier de la Halvêque, au nord de Nantes.
Âgé de 31 ans, cet homme présentait des troubles psychologiques qui lui faisaient tenir les concepts pour de simples "fluctuations de voix" (flatus vocis) et affirmer que "seuls les individus existent". Il rejetait ainsi la "chevalinité", la circularité, ou la "parentité" et exigeait que l'on ne parlât que de tel cheval, de tel cercle ou de tel parent.
Aucune trace de lutte n'a été retrouvée à l'intérieur de son domicile, ni aucune autre trace de violences sur le corps de la victime. L'hypothèse privilégiée par les enquêteurs est celle d'un suicide philosophique. » (Presse Océan, 20 février 2018)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Quiproquo comique
Dès ses premières rencontres avec le Rien, le suicidé philosophique, qui se dissimulait alors sous le pseudonyme translucide de Georges Poulot, avait noté : « S'il me fallait donner une impression valable sur mes premiers rapports avec le Rien, que je vois tous les jours, longuement, je serais bien embarrassé. Créature secrète, difficilement approchable, qui semble avoir accepté de vivre comme tout le monde, sans pour autant laisser mourir la partie précieuse de son individu. » Ce n'est que quelques mois plus tard que le suicidé philosophique s'aperçut de sa terrible méprise : il avait pris pour le Rien l'écrivain Jean Grenier !
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Lipogramme fatal
Ce lundi matin vers 5 heures, une dame âgée de 80 ans est morte après être passée sous les roues d'un poids lourd, rue des Tulipes, à Hautmont. Comme la procédure le veut, le chauffeur a été placé en garde à vue. Il en est ressorti en milieu d'après-midi, sans faire l'objet de poursuites.
Le scénario commence à se dessiner. La victime, qui habite le quartier, a voulu mettre fin à ses jours. « Il n'y a pas de doute là-dessus, elle nous a laissé un mot où elle demande pardon. Elle était en dépression suite à la lecture d'un roman de Georges Perec », racontent ses proches. Le lit médicalisé sur lequel se trouvait la dame était situé en face d'une fenêtre d'où l'on pouvait voir le camion. Avec sa couverture, la victime est sortie pour se placer elle-même sous les roues du poids lourd. (La Voix du Nord, 19 septembre 2017)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
Tous les trous du cul de la terre et le mien (Bukowski)
Dans la salle d'attente de l'hôpital, une petite fille regardait nos visages gris, nos visages blancs, nos visages jaunes... « Y sont tous en train de mourir ! » elle a proclamé. Personne lui a répondu. J'ai tourné la page d'un vieux numéro du Time. Et puis ç'a été plus fort que moi. « Sale petite pisseuse, j'ai dit. Tu ne sais donc pas que la fin de l'être-au-monde est la mort ? Cette fin appartenant au pouvoir-être, c'est-à-dire à l'existence, délimite et détermine la totalité à chaque fois possible du Dasein. Cependant, l'être-en-fin du Dasein dans la mort — et, avec lui, l'être-tout de cet étant — ne pourra être inclus de manière phénoménalement adéquate dans l'élucidation de son être-tout possible que si est conquis un concept ontologiquement suffisant, c'est-à-dire existential, de la mort. Tu piges ? » Elle s'est mise à chialer.
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
Tribulations du Dasein
La vie fournit à l'homme des occasions de déconvenue dont je passerai sous silence le nombre car il correspond à une évidente exagération hindoue. (Mais après tout, pourquoi ne pas le dire : elles seraient quatre-vingt-quatre mille.)
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
mardi 8 mai 2018
Créer des interactions et du lien social entre les habitants
« Prêter un livre à son voisin. Une action anodine mais très peu de monde se lance, par timidité ou par peur de passer pour bizarre — surtout s'il s'agit d'un ouvrage de philosophie "nihilique" comme l'Océanographie du Rien de Raymond Doppelchor. Utiliser une application peut faciliter la démarche.
L'application Citylity, lancée actuellement à Clermont, propose de mettre en contact les voisins. "Il s'agit d'aider les personnes qui habitent dans un même immeuble à trouver, sinon un sens à leur existence, du moins une perceuse, une baby-sitter, un puits busé dans lequel se jeter, etc.", explique André May le créateur de l'application.
Mais ce n'est pas la seule utilité de cette application. "Elle permet de communiquer facilement avec ce que l'ontologue allemand Martin Heidegger appelle son être-vers-la-mort (Sein zum Tode), et de restituer ainsi au Dasein la possibilité d'exister authentiquement." » (La Montagne, 23 mars 2016)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
Terminus
En ingérant du taupicide, le suicidé philosophique annule son propre polynôme caractéristique, comme fait tout endomorphisme d'un espace vectoriel de dimension finie sur un corps commutatif quelconque, selon le théorème de Cayley-Hamilton.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Dangers du bergsonisme
Ce patient avait été admis aux urgences en fin d'après-midi pour comportement dépressif : il ne cessait de répéter que, selon Bergson, un néant opéré par l'intellect ne peut être que « plein ».
À 3 h 30 du matin, il est sorti du service à l'insu des soignants. Il s'est jeté dans le vide depuis la galerie du deuxième étage qui surplombe le hall d'entrée, ce qui lui a valu une fracture du bassin, une vertèbre cervicale cassée et une plaie au foie. L'homme est décédé d'un arrêt cardiaque à 6 h 30.
La direction de l'hôpital affirme qu'elle « tirera toutes les conséquences de cette lugubre affaire mêlant désespoir existentiel et métaphysique positive, pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise ». (France Info Franche-Comté, 16 février 2017)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
Voyage convivial vers l'au-delà
« Le prix de l'essence augmente — et il nous faut agir pour limiter le réchauffement climatique. Chaque jour, plusieurs dizaines de voitures se rendent de La Bourboule à Clermont-Ferrand, Ussel, etc. Le plus souvent avec seulement une ou deux personnes à bord. Et si l'on covoiturait pour partager les frais, polluer moins et voyager de manière conviviale ? » — « En effet, si l'on covoiturait ? Ou mieux encore, si l'on se pendait ? », répond l'homme du nihil.
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
La disparition
Dans Expérience et jugement, le phénoménologue Edmond Husserl décrit la négation comme surgissant de la déception d'une attente, autrement dit de la suppression d'une « intentionnalité anticipatrice ». Et il cite l'exemple d'une boule rouge et lisse qui s'avère soudainement être verte et bosselée de l'autre côté, démentant ainsi la représentation anticipatrice que l'on en avait. Mais cette déception peut aussi bien concerner un objet tout entier ! L'exemple qui vient aussitôt à l'esprit est celui où, convaincu de retrouver une chose à telle place, le sujet pensant doit constater qu'elle n'y est pas, qu'il n'y a rien. C'est cette expérience douloureuse que fit la poétesse américaine Sylvia Plath.
La scène se passe à Primrose Hill (Londres), le 11 février 1963, au petit matin. Malade et dépressive, « aveuglée par le miroitement de la mort dans les replis fouillés et décapés d'un monde humain sans consistance » (Gragerfis), Sylvia cherche en vain un presse-purée qu'elle est certaine d'avoir laissé dans l'évier. Dégoûtée de cet univers inconsistant, elle place un torchon dans le four de la cuisinière pour ne pas souiller sa blonde chevelure, ouvre le gaz, et attend la mort qui arrive bientôt « à grands pas, pétulante ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Aveux et anathèmes
« Allo ?... Comment ?... Des côtelettes ?!!... Je... Qui ?... Non, Madame, ce n'est pas la Boucherie Sanzot, mille sabords !... » — Pour pénétrer quelqu'un, pour le connaître vraiment, il suffit de voir comment il réagit à cet aveu du capitaine Haddock. S'il ne comprend pas tout de suite, inutile de continuer.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Manuscrit de Voynich
Le manuscrit de Voynich qui me rendra à jamais invisible à moi-même et à l'omnitude possède une crosse, un barillet, un canon, une queue de détente. Il ressemble aussi peu à un manuscrit que ne se ressemblent la constellation du Chien et le chien, animal aboyant.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Rencontre avec le suicidé philosophique
Un soir, au café, Heidegger fait la connaissance d'un personnage hanté par la pensée de se détruire. L'écrivain Johannes Zimmerschmühl, qui assistait à la scène, en rendra compte en ces termes des années plus tard 1 : « Installé sur la peluche jaune d'une banquette du Rheingold, le café de la Münsterplatz à Fribourg-en-Brisgau, le suicidé philosophique essuyait avec un morceau de pain les dernières traces de sauce brune dans une assiette où s'empilaient les os d'un pigeon démembré. Il porta le pain à sa bouche, but d'un coup son verre de bière, poussa un soupir et se pencha au-dessus de la table. "Je me demande pourquoi je suis ici", dit-il. Heidegger ne sut quoi lui répondre. »
1. Dans ses Pensées rancies et cramoisies.
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
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