Le
courroux est un indice de vitalité. Quelqu'un qui n'est pas courroucé,
c'est mauvais signe. C'est signe qu'il est comme qui dirait « décédé » —
ce qui, à la réflexion, est peut-être préférable pour tout le monde.
Est
dit rapicolant ce qui revigore, redonne de la force physique, de la
bonne humeur. « Après avoir envisagé de me retirer à la campagne et d'y
vivre en hermite au milieu des bocages et des fleurs, je conçus l'idée,
plus rapicolante encore, de me jeter dans un puits busé. » (Jean Céré)
L'homme
est un être hybride composé pour moitié de vocables (gigot, luzerne,
mésotron, capsule ontologique, etc), et pour l'autre moitié de
conglomérats de cellules plus ou moins dégoûtants (le pancréas, la
vésicule biliaire, l'appareil de Golgi, etc).
À
première vue, un vivant est capable d'accomplir plus de choses qu'un
mort. Il peut se gratter le prose, et il peut même commettre l'homicide
de soi-même. Mais pour ce qui est de participer à l'Un plotinien, le
mort est incomparablement mieux placé.
Pour
passer inaperçu et ne pas se faire enfermer chez les fous, il ne faut
donner aucun signe qu'on trouve le « réel » bizarre. Il faut faire « jore »
que tout nous paraît normal. Pourtant, et cela crève les yeux, tout,
absolument tout dans le « réel » est bizarre, extrêmement bizarre — et
même inquiétant.
« Vous
vient à l'esprit la tombe de Celan » est le plus bel alexandrin de la
langue française. Du moins s'il faut en croire Gragerfis (Journal d'un
cénobite mondain).
Un
quidam que tout excède, que reste-t-il de lui après qu'il a dévissé son
billard (une fois qu'il est, comme on dit, « décédé ») ? Presque rien.
Quelques paroles saugrenues, qui ne tardent pas à s'évaporer. Et un
quidam que rien n'excède ? Moins encore.
Pressé
de toute part, l'homme du nihil a finalement accepté de participer à
une négo avec la fédé (à condition qu'elle ne se tienne pas à Mada en
présence d'expats).
Quand
on lit du Rimbaud ou qu'on écoute du Mozart, on ne peut s'empêcher de
penser : « Je t'en fais autant ». Mais pas quand on lit du Luc Pulflop ou
qu'on écoute du Bach !
La
cathédrale de Chartres ; la calligraphie de Mi Fu ; la musique de Bach ;
et pour finir, le revolver de Smith et de Wesson (chambré pour le .44
russe).
L'homme
du nihil a deux grands bœufs dans son étable. Deux grands bœufs blancs
marqués de roux. Il possède de surcroît une charrue en bois d'érable et
un aiguillon en branche de houx. À quoi tout cela lui sert-il ? Mystère.
Si
l'on considère la masse des humains ayant foulé la terre depuis cinq
mille ans, quelle peut être la proportion de ceux ayant laissé une
trace, même infime ? Un sur dix millions ? Moins peut-être ? Les autres,
c'est exactement comme s'ils n'avaient jamais existé. Il est donc
loisible de voir l'au-delà comme un lieu où l'on croise les gens qui
réussissent (ceux « à trace ») et les gens qui ne sont rien (les autres).
Mais cette distinction est en réalité spécieuse car le pachynihil les a
tous absorbés !
La
verveine soigne les pustules, tandis que l'achillée millefeuille passe
pour vulnéraire et cicatrisante. Quant à l'armoise, elle soulage les
pieds fatigués des voyageurs. Mais à ce qu'il paraît, il n'existe pas de
simples contre la mort.
Après
sa rencontre avec l'homme du nihil, André Frossard le caractérisa ainsi : « De profil, il fait penser à une bête du désert morte de dégoût. Son
crâne, qui rappelle celui de l'hyène, est pourvu d'une large mâchoire
qui semble idéalement adaptée à l'usage qu'il en fait, à savoir mordre
le fondement de l'historialité du Dasein. »
En
supposant même que Marie-France Ionesco fût réellement un être
supérieur, quel besoin de le dire ? Est-ce que ça allège d'un
centigramme notre misère existentielle, à nous autres, êtres inférieurs ?
Oh, Cioran ! Ce que tu peux être horripilant, quand tu t'y mets !
On
peut vivre comme un ascète sans pour autant rechercher Dieu, la pureté
ou ce genre de chose. Ça peut se faire juste comme ça, par dégoût. Mais
attention de s'accorder quand même quelques « petits verres », hein ?
Sinon on risque, par ennui, de se mettre à rechercher Dieu, la pureté,
etc., et là ça pourrait devenir franchement « malaisant ».
Quelle
que soit l'idée qu'on se fait de la vie, elle se termine de la même
façon. Alors à quoi bon se faire une « idée de la vie » ? Autant vaudrait
manger de la révérence parler merde.
Comment
les gens font-ils pour « fraterniser » ? Mais peut-être qu'ils ne « fraternisent » pas réellement ? Peut-être qu'ils font seulement « jore » ?... C'est ça ! Ils font « jore » ! Ah, les salops !
Les
choses importantes, on n'en parle que de manière indirecte. Quand on a
du tact, c'est-à-dire. Quand on n'est pas un « Grandiloque des Carpates ».
Mais à vrai dire, quand on habite « sur les cimes du désespoir », le
mieux est encore de se taire.
Il
y a des gens, ils ont beau faire, la solitude leur colle à la peau. Ce
n'est pas tellement qu'ils l'aiment. C'est plutôt elle qui les aime (la
garce). Heureusement, il leur reste la ressource de lire du Henri
Michaux (ou du Luc Pulflop, ou tout autre auteur de cet acabit) pour
oublier que, comme le pauvre « Rémi Sans Famille », ils n'ont pas d'amis.
Le
linguiste Chomsky pense que si tout à coup le mot panaris n'existait
plus, il y aurait peut-être encore, ici ou là, des gens souffrant d'un
panaris, mais ils n'y feraient pas attention ou à peine.