mercredi 4 juillet 2018

Interlude

     Jeune fille s'essayant aux Exercices de lypémanie de Marcel Banquine

Enfin seul


Contrairement à un Philothée O'Neddy, je me garderai de vanter le côté phalanstérien du néant.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Celui qui regarde vers le bas


Rêveur volontaire, consumé par le sentiment aigu de l'imperfection de toute chose, de la distance entre l'idéal et la réalité, le suicidé philosophique n'est pas sans rappeler à la fois le poëte Nodier et le mythique catoblépas. Quant à ce dernier, Cuvier a émis l'hypothèse que le gnou l'aurait inspiré aux Anciens, avec contamination de basilic et de gorgone.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Un disciple de Weininger


Un homme de 51 ans a tenté de tuer par balle son épouse, jeudi à Savigny-en-Terre-Plaine (Yonne), avant de s'enfuir et de retourner l'arme contre lui dans un cimetière, a-t-on appris vendredi auprès du parquet d'Auxerre.

Les gendarmes sont intervenus après avoir reçu vers 19 h 40 un appel de la victime, âgée de 52 ans, disant avoir essuyé un coup de feu au cours d'une conversation avec son époux. Selon les militaires qui ont pu reconstituer la scène, l'homme reprochait à sa moitié d'être devenue, au fil des ans, « une mégère difforme au mufle d'hippopotame ». En outre, il l'accusait d'être imperméable à toute métaphysique ; d'être incapable de concevoir ce qu'est le sujet transcendantal, ni les concepts purs, et encore moins les catégories de l'esprit ; de ne faire la différence entre le bien et le mal qu'en fonction de sa préoccupation propre ; d'être « sous le joug du phallus », et incapable de toute expression spirituelle puisque celle-ci implique la renonciation à soi.


La victime, transportée à l'hôpital, devrait s'en sortir. Quant à l'homme, qui avait pris la fuite, il a été retrouvé mort dans le cimetière de la commune voisine de Saint-André-en-Terre-Plaine. Il s'est servi d'une arme de chasse.

L'enquête a été confiée à la Brigade de recherches d'Avallon. (L'Yonne Républicaine, 22 septembre 2017)

(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)

Un client coriace


Didi : « Lao-Tzeu l'a dit : il faut trouver la voie !... Moi, je l'ai trouvée !... C'est très simple : je vais vous couper la tête !... Alors, vous aussi, vous connaîtrez la vérité !... » — L'homme du nihil : « Pauvre cloche !... Crois-tu que je t'aie attendu pour "trouver la voie" ?... L'idée du Rien, tu connais ?... Allez, du balai !... Ouste !... » (Le disciple de « Lao-Tzeu » se retire, un sourire gêné aux lèvres)

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

Interlude

      Jeune fille lisant la Nostalgie de l'infundibuliforme de Robert Férillet

Théorème de Krull


En algèbre commutative, le théorème de Krull est un résultat établissant l'existence d'idéaux maximaux pour les anneaux commutatifs. Il équivaut à l'axiome du choix dans la théorie de Zermelo-Fraenkel.

Quel peut bien être l'idéal maximal pour l'homme du nihil embourbé dans le pestilent marais de l'haeccéité, si ce n'est le Rien? L'axiome du choix, pour un tel « exilé de l'infini », équivaut au célèbre dilemme de Hamlet, et point n'est besoin d'être extralucide pour deviner la réponse qu'il y apporte.


(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Quand le doute est exclu


Lorsque, cherchant à se rassurer, l'homme du nihil énonce : « je sais que mon revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe est dans un tiroir de ma commode, caché sous des chaussettes », son énonciation signifie à peu près la même chose que « il n'y a pour moi nul doute à affirmer cela » ; mais autrui est en droit de répondre par la question « en es-tu sûr ? » ou « le sais-tu vraiment ? ». 

Si en revanche c'est de ses douleurs dues à l'haeccéité qu'il s'agit, la question d'autrui « es-tu sûr que tu as mal ? » ou « sais-tu vraiment que tu as mal ? » n'aura pas de sens. Quand l'homme du nihil sait qu'il a mal, c'est lui-même qui est la dernière instance. Il ne lui est pas possible de vérifier ni de mettre en doute le fait qu'il a mal. — Et comme dirait Dostoïevski, « il souffre d'autant plus qu'il ne comprend pas ».

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Santé mentale (Tobias Wolff)


Il n'est guère facile d'aller de La Jolla à l'hôpital d'Alta Vista, à moins d'avoir une voiture ou une dépression nerveuse. Le père d'Avril avait une dépression nerveuse et il y avait été admis en un clin d'œil. Le voyage prit plus longtemps à Avril et à sa belle mère ; il leur avait fallu emprunter deux bus différents, monter à pied une route brûlante qui serpentait entre les bâtiments, puis, une fois la visite terminée, redescendre à pied jusqu'à l'arrêt de bus. 

Quelques automobilistes étaient passés sur la route, sans qu'aucun ne s'arrête pour leur proposer de les conduire. Avril ne pouvait leur en tenir rigueur. Ils avaient dû se dire que Claire et elle étaient des malades en promenade. Ou peut-être ces automobilistes étaient-ils, comme la philosophie occidentale au dire de Levinas, incapables de penser l'Autre, de dépasser l'insurmontable allergie qu'inspire l'Autre... Oui, c'était sûrement ça : ils manquaient autrui comme tel, parce qu'ils le réduisaient au rang d'objet ou le subordonnaient à l'Être, malgré le transfert analogique opéré par Husserl dans la cinquième Méditation. Leur philosophie n'était rien d'autre qu'une « egologie », cette forme de pensée pervertie qui atteint son paroxysme dans la philosophie de Heidegger, qu'il s'agisse de la précellence de l'Être par rapport à l'étant, de l'ontologie par rapport à la métaphysique, ou de la définition de l'ipséité du Dasein comme mortel...

(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

mardi 3 juillet 2018

Un infernal pullullement


Linné, en 1753, connaissait six mille espèces végétales ; Persoon, en 1807, en comptait vingt-six mille ; en 1824, Stendel en portait le nombre à cinquante mille, et en 1844 à quatre-vingt-quinze mille. On en recense aujourd'hui trois-cent-quatre-vingt-six mille. Où cette folie graminacée va-t-elle s'arrêter ? L'homme du nihil se prend parfois à rêver d'un monde sans plantes, qui ne serait qu'un aride désert, une solitude immense, asile du silence et de la mort, en harmonie avec son âme vitriolée.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Interlude

      Jeune femme s'apprêtant à lire les œuvres complètes de Luc Pulflop

Supériorité de l'Indien du Chaco


Pelleschi, dans son ouvrage sur les Indiens du Chaco, dit qu'on ne voit jamais de difformités parmi ces sauvages, qu'au physique ils sont tous parfaits. Et il fait observer que dans leur lutte excessivement pénible pour l'existence au sein d'un désert ronceux rempli de dangers, tout défaut ou trouble du corps serait fatal.

Si l'on transpose ce raisonnement dans la sphère morale, alors le Moi de l'homme du nihil devrait lui aussi être parfait, le steppe du Grand Rien ne le cédant en rien au désert du Chaco pour ce qui est des ronces, des rocs retors et des serpents. Or, loin d'être parfait, il ressemble au contraire à un polichinelle !


(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Sein und Zeit


Le 12 mars 1926, Heidegger présente à Husserl, à l'occasion d'une réception pour les soixante-sept ans de celui-ci, le manuscrit de Sein und Zeit, son premier ouvrage « grand public ». Husserl trouve ça « pas mal, quoique un peu pauvre en phénomènes ».

Le livre est publié l'année suivante, à la demande du doyen de l'Université de Marbourg. C'est un énorme succès et de nombreux « bals du Dasein » sont organisés dans toute l'Allemagne. Le poète dadaïste Hugo Ball réenfile à cette occasion le costume de phallus en carton rigide et argenté qu'il avait porté le 5 février 1916 au Cabaret Voltaire. Le terme de Dasein fait florès, et l'on trouve bientôt des crèmes à raser du Dasein, des caleçons longs du Dasein, des stylos-plumes du Dasein, jusqu'à un restaurateur fribourgeois qui propose des knödel à la viande façon Dasein.

Heidegger est d'abord ravi de cet engouement, mais bientôt une question le taraude : « mon message ontologique est-il bien passé ? », se demande-t-il.
Elfriede le rassure comme elle peut et l'incite à prendre de l'huile de foie de morue pour fortifier son Moi. Quand elle est prise de boisson, il lui arrive cependant de traiter l'ontologue de « vil insecte » et de « potiron ».


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

Un puits solidaire au Sénégal


« Coordonnée par Éric Popu et Miguel Torres, professeurs au lycée Mariette de Boulogne, l'opération vise à récupérer des fonds pour installer un puits dans un village de la région de M'Bour au Sénégal.

Sans un accès direct à l'eau, la population doit couvrir un nombre effarant de kilomètres sous un soleil de plomb pour se procurer le précieux liquide — et les suicidés philosophiques désirant se jeter dans un puits busé doivent se rabattre sur le taupicide ou la traditionnelle "cravate de chanvre".

Pour réaliser ce projet, les responsables ont contacté Michel Gagniac, président de l'association "Un puits pour la vie" qui a déjà réalisé neuf puits dans les endroits les plus improbables. Pour récolter les fonds nécessaires, les lycéens recyclent des papiers et fabriquent des blocs qu'ils mettent en vente.

Après les puits, une deuxième étape devrait consister à apporter morale et esthétique aux Sénégalais, afin de faire mentir le poëte Jules Lemaître qui déclamait un peu pompeusement :

         "Chers primitifs, ô Bamboulas,
         Benjamins de la terre antique,
         Grands innocents qui n'avez pas
         De morale ni d'esthétique".

Une affaire à suivre, donc. » (La Voix du Nord, 18 octobre 2016)


(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)

La vie en beau


Le monde moderne est tellement repoussant, le « monstre bipède » tellement hideux, l'existence tellement affreuse, que l'homme du nihil paierait cher pour disposer de « vitres de paradis » lui permettant de voir « la vie en beau ». Mais comme dans le récit de Baudelaire, de telles vitres, il ne s'en trouve pas...

Ajoutant au lugubre de ce musée des horreurs, l'œuvre de Georg Trakl (1887-1914) est composée de poèmes où prédominent « l'ambiance et les couleurs de l'automne, les images sombres du soir et de la nuit, du trépas et de la faute ».


Trakl, qui n'en pouvait plus d'être le « poète des lacs sombres, des décadences et des transgressions », se suicide par overdose de cocaïne dans la nuit du 2 au 3 novembre 1914. Selon Gragerfis, le poète autrichien souffrait de problèmes relationnels. Ainsi, il voyageait debout lorsqu'il prenait le train, ne supportant pas d'avoir quelqu'un en vis-à-vis, et prétendait être incapable de téléphoner ! Ses proches le prenaient pour un « drôle d'oiseau », mais lui se voyait plutôt comme la réincarnation du pauvre Kaspar Hauser, l'homme sans identité, l'étranger total. Deux théories qui, il est vrai, ne sont pas incompatibles...

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Interlude

      Juvénile beauté lisant l'Océanographie du Rien de Raymond Doppelchor

Méprise fatale


Un concept dormait sur l'écume norvégienne de la raison pure. Survient un philosophe, dans sa petite barque dialectique égarée au milieu des ténèbres, qui le prend pour une île : il fixe son ancre dans son écorce d'écaille, s'amarre sous le vent à son côté, et est entraîné dans l'abîme lorsque le concept regagne les étendues benthiques où il se meut ordinairement.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Vocation précoce


Je suis un suicidé de la première heure.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Tête de cheval


Le philosophe Otto Weininger prétendait avoir constaté, chez plusieurs individus redoutant la folie, « une parenté morphologique avec la tête de cheval ».

Cette intuition magistrale est confirmée par la scène du Lotus bleu où Tintin, après que Mitsuhirato lui a injecté du radjaïdjah, gémit : « Fou !... Je vais devenir fou !... » et prend subito presto une expression nettement équine.


(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

lundi 2 juillet 2018

Théorème de Brianchon


Le théorème de Brianchon stipule que les diagonales joignant les sommets opposés d'un hexagone sont concourantes si et seulement si cet hexagone est circonscrit à une conique.

Ce théorème dû au mathématicien français Charles Brianchon est, quoique formulé d'une façon moins élégante, l'exact dual du fameux théorème de Pascal qui dit que « le Moi est haïssable ».


(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Interlude

     Jeune femme lisant les Pensées rancies et cramoisies de J. Zimmerschmühl

Infécondité intellectuelle du merleau-pontisme


« Ce mardi matin, un homme de soixante-quinze ans a été retrouvé mort dans le village de Dommartin-lès-Remiremont.

Ce résident de la commune avait quitté le domicile conjugal lundi soir, seul et à pied. Philosophe professionnel se présentant comme un "continuateur de Merleau-Ponty", il souffrait semble-t-il de dépression depuis qu'il était frappé de "constipation conceptuelle opiniâtre". La gendarmerie, prévenue de sa disparition vers 18 heures avait initié des recherches jusqu'à minuit, mobilisant une dizaine de personnes.


Les recherches ont repris mardi dans la matinée. Ce sont finalement des promeneurs qui ont découvert le corps dans la Moselle, vers 10 heures. Le périmètre a été bouclé pour procéder aux constatations médicales. La piste du suicide est privilégiée.

Selon les enquêteurs, l'homme "aurait senti au plus profond de lui que la réalité n'est pas verbale, qu'elle peut être incommunicable et atroce, et il s'en serait allé, taciturne et seul, chercher la mort dans le crépuscule liquide du fond de la Moselle''. » (Vosges Matin, 6 février 2018)

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Épaves mobiliaires


Est dite mobiliaire une épave qui consiste en quelque effet mobiliaire, comme un animal, un poisson, un alcoolique invétéré, un individu « sans domicile fixe », etc. Ces sortes d'épaves sont appelées mobiliaires pour les distinguer des épaves foncières, qui consistent en immeubles.

L'homme du nihil en rencontre souvent lors de ses sorties dans le réel, de ces épaves mobiliaires  : des tas de loques vermineuses et de chairs exténuées, qui empestent le « rouquin » et qui laissent exploser à tout propos une violence bestiale.


L'absurde instinct vital qui rive encore ces déchets à l'existence l'écœure, mais malgré le dégoût qui l'étreint, il est tenté de s'écrier : « Ô épaves humaines ! Je suis des vôtres ! »

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Tout doit disparaître


Les sapeurs-pompiers sont intervenus ce jeudi matin au 11, rue des Peupliers dans le quartier de l'Orme pour secourir un homme qui s'est défenestré depuis le troisième étage du bâtiment. Il est tombé sur une voiture.

Selon les premières investigations, le désespéré s'était persuadé que le Moi individuel constitue toute la réalité, et que les autres Moi n'ont pas plus d'existence que les personnages des rêves. Cette attitude mentale, souvent présentée comme une conséquence logique du caractère idéel de la connaissance, est appelée solipsisme par les philosophes, selon une source policière. Elle pourrait être la cause de son geste fatal. En se tuant, supposent les enquêteurs, il ambitionnait sans doute de « détruire le monde ».

Blessé grièvement, le suicidé a été pris en charge et transporté au centre hospitalier Saint-Charles de Saint-Dié-des-Vosges, mais le pronostic des médecins est très réservé quant à la capacité de son Moi à persévérer dans l'être. (L'Est Républicain, 23 novembre 2017)


(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)

Touriste de bananes (Georges Simenon)


Il y avait trente-sept jours que le bateau, qui s'appelait l'Île-de-Ré, avait quitté Marseille ; on était parti qu'il gelait et tous les passagers, sauf deux, avaient été malades en sortant de Gibraltar ; après la monotonie des houles de l'Atlantique, on s'était ébroué dans les bals Doudou de la Guadeloupe et le missionnaire des secondes classes lui-même avait revêtu un costume civil pour accompagner la famille Nicou ; à Panama, les dames avaient acheté des parfums qui y sont meilleur marché que partout, et on avait déjeuné sur le pont en traversant le canal, car c'est la tradition ; on approchait des antipodes ; on avait aperçu de loin les Galápagos, photographié des pélicans et des poissons volants ; Muselli, l'administrateur de première classe qui jouait de la guitare hawaïenne, avait acheté une tête d'Indien réduite à la grosseur d'un poing d'enfant ; on était à l'autre bout du monde, à cisailler patiemment, avec un ronron de machine-outil, l'eau trop lisse et trop brillante du Pacifique qui forçait à porter des verres fumés ; le trait qui, sur la carte, dans le salon des premières, s'allongeait chaque jour, toucherait bientôt aux points minuscules des Marquises ; il y avait trente-sept jours qu'on n'était plus en France, ni nulle part. Et pourtant c'était dimanche !

Un vrai dimanche, un dimanche comme tous les dimanches, alors qu'on aurait pu croire que, dans cette sorte d'infini où voguait l'Île-de-Ré, tous les jours se ressemblaient. Certes, à dix heures du matin, un steward annamite avait parcouru le bateau en agitant une petite cloche qui rappelait celle des enfants de chœur ; certes, le missionnaire roux, qui avait passé trente ans aux Nouvelles-Hébrides, avait célébré une messe dans la salle à manger des premières où, à cette occasion seulement, les passagers de seconde avaient accès.


Mais pourquoi, à trois heures de l'après-midi, c'est-à-dire à l'heure de la sieste, cela sentait-il encore le dimanche ? Et d'abord, pourquoi y avait-il en général de l'étant, et non pas plutôt rien ? Cette question, que l'on pourrait qualifier de leibnizienne, Heidegger l'avait commentée de façon singulière dans sa leçon inaugurale de 1929 intitulée Qu'est-ce que la métaphysique. Mais à bord de l'Île-de-Ré, personne ne le savait. Les passagers étaient trop occupés à jouer au bridge, à la belote, aux échecs, au palet, pour se soucier d'ontologie. Les fous !... Les pauvres fous !...


(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)

Interlude

         Jeune femme lisant Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq

Philosophisme convulsif


Maladie convulsive épidémique des Allemands; raphania, Linné. — « Dans la troisième période, lorsque la maladie se termine par la guérison, les convulsions cessent ; mais il reste souvent un tremblement des mains, de l'affaiblissement dans la vue, des phénomènes épileptiformes qui reparaissent par intervalle, et un désir irrépressible de "créer des concepts" » (E. Monneret et L. Fleury, Compendium de médecine pratique, Béchet jeune, Paris, 1839)

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Un fatidique bourrineau


Le 3 janvier 1889, alors qu'il prend les eaux à La Bourboule pour soigner une « constipation conceptuelle opiniâtre », le philosophe Frédéric Nietzsche se jette en pleurant au cou d'un cheval de fiacre brutalisé par son cocher. Son logeur le reconduit à son domicile où le « penseur paradoxal » demeure prostré durant deux jours avant de sombrer définitivement dans la démence.

Dans sa biographie de Nietzsche, le très inventif Daniel Halévy identifie ce cheval au Dasein et le cocher à l'haeccéité : en utilisant son corps comme un bouclier, le philosophe voulait en réalité protéger l'étant existant du fouet de son éternel tourmenteur !


(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

À brûle-pourpoint


Il arrive que la pensée de se détruire s'empare du suicidé philosophique alors qu'il regarde son reflet dans la vitrine d'un magasin, tandis qu'autour de lui la tourmente souffle et siffle, s'abat sur les parapluies en gouttes drues et serrées, et ruisselle sur les dos courbés, les têtes et les mains bleuies par le froid. Comme il aimerait alors, le suicidé philosophique, que la tempête chasse au loin l'idée du Rien, qu'elle la pousse loin de sa pachyméninge, vers les déserts gréseux, les ravines, les champs d'absinthe et de chardon, découronnant les hautes meules et dispersant sur les aires sa pourriture gluante !

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)