À celui
qui est affligé d'une conception funèbre de l'existence, on ne saurait
trop conseiller de contempler en imagination des wagons chargés de
troncs d'arbres, de pierres, de sel et de pétrole. Ces faits bruts mais
tellement objectifs lui feront oublier illico presto ses malheurs
personnels. Ou alors, c'est vraiment à désespérer.
Chaque
fois que vous êtes abattu en raison de la tristesse de la condition
humaine, essayez d'oublier votre propre personne. Essayez de regarder la
vie comme si vous n'existiez pas. C'est un exercice très difficile, car
il faut éviter à la fois une synthèse abstraite et la réédition d'un
point de vue personnel. Mais pas de panique. Si vous n'y arrivez pas,
avalez du taupicide, et alors, vous n'existerez réellement plus !
« Les
années commençant à s'accumuler, j'ai peur de n'avoir bientôt plus le
choix qu'entre : 1) être calvitié ; 2) être canitié ; 3) être mort. —
Je choisis d'avance la troisième solution. » (Stylus Gragerfis, Journal
d'un cénobite mondain)
C'est
par peur, oui, par peur, que l'homme s'est enduit de la crème fongible
d'une connaissance factice. Par peur, vous m'entendez !? — Oh, et puis
merde.
Si
l'ineffable homme des cavernes n'avait pas commis l'erreur de se mettre
à « penser », on n'aurait pas eu à subir, quelques millions d'années plus
tard, de brillants « penseurs » tels que l'affreux Derrida, on n'aurait
pas assisté à une telle « hémorragie névrotique du sens ». On en serait
toujours à s'empiffrer de baies et à se la couler douce sans se poser de « questions existentielles ». Oh, bon Dieu !... Bon Dieu de néandertal !
Célébrons,
oui, soyons festifs en diable et célébrons le prime événement de la
naissance, auquel nous devons de si exaltantes expériences : le
désespoir et la triste solitude.
De
temps en temps, le nihilique réunit dans son salon des partisans de la
théorie du vide dans la nature (par opposition aux partisans de
l'atomisme — ces derniers, il ne peut pas les sacquer). Toutes les
personnes présentes ignorent ou feignent d'ignorer la découverte de la
pression atmosphérique et défendent la doctrine selon laquelle la nature
a horreur du vide. Bref, c'est un salon vacuiste.
Le
nihilique a beau scruter la réalité empirique sous toutes les coutures,
il n'arrive pas à voir si le gel et la pluie vont affecter la prochaine
récolte des si délicates mirabelles. La seule solution est d'attendre.
Et pour sa propre mort, c'est la même chose.
Le
pachynihil est au nihil ce que le dieu Pachacamac est à une « blonde
comac » devant chez qui un certain Lucien dit « le Cheval » se serait fait
dessouder. Ô sublime Pachacamac ! Nous t'adjurons de manifester ta
toute-puissance !
La
femme a ceci de commun avec un muséum d'histoire naturelle qu'elle est
pleine d'animaux empaillés. On peut toujours chercher, il n'y a pas de
vie, là-dedans.
La
notion de pachynihil constitue la clé de l'univers, la clavis
absconditorum. Elle permet de comprendre le Moyen Âge, la Révolution
française, le sens de l'existence, l'âme, les réalités surnaturelles, et
même l'homme de la rue. Par contre, pour ce qui est de se débrouiller
au quotidien, elle n'est pas d'une utilité pharamineuse.
Pas
besoin de compteur Geiger pour déceler la radiance trouble du
pachynihil. Quand on la sent autour de soi, votre pomme d'Adam se
granule de picotis, comme une chair déplumée de poule.
Jeune,
on rêve de devenir ornithologue et d'étudier les tuyères intimes des
volucres (éperviers, xéniques, rossignols). Et puis on se retrouve, on
ne sait comment, à se consacrer au Rien... Ça se fait comme ça... Les
hasards de la vie... Ça vous tombe dessus...
On
reconnait le nihilique aux exquises papules que fait naître l'idée du
Rien sur son enveloppe cutanée. Ces papules, hélas, sont vouées à se
répandre sur le sol grenat, une fois le nihilique devenu, pour le
meilleur ou pour le pire, un suicidé philosophique. De fait, quand on
saute d'un septième étage, les papules explosent littéralement !
Dès
son plus jeune âge, la femme porte un masque destiné à faire croire à
l'homme qu'elle est « du champagne pétillant de mystère ». Mais derrière
ce masque, que trouve-t-on ? Le vide, l'inertie, l'opacité, la
turpitude.
Jean-Paul
Sartre était un piètre penseur doublé d'un être puant, mais il a raison
sur un point : dès le moment que Husserl fait du noème un irréel
corrélatif de la noèse et dont l'esse est un percipi, il est totalement
infidèle à son principe. Oui, cela est vrai. Mais qu'est-ce que cela
nous fait, à nous (comme dirait le professeur Basile Munteanu) ?
Certains
voient le pachynihil comme une gargousse, quand d'autres reconnaissent
en lui un grappin polycéphale. C'est en tout cas une arme puissante qui
perfore géométriquement l'étant existant et le transperce de part en
part (comme une maritorne hirsute mettant à la broche une volaille pour
la faire rôtir).
Plus
encore que Pierre L'Ermite tonitruant à travers les villes paisibles de
la chrétienté, Savonarole prêchant contre la corruption du clergé ou
John Knox éméché haranguant ses ouailles, le Moi est la figure de
l'imprécation. C'est bien simple, il ne peut jamais fermer sa gueule.
Exécuter
une dernière ruade contre le monde, c'est ce que fait le suicidé
philosophique en accomplissant son geste fatal. Mais pour y arriver, il
doit d'abord mobiliser tout son fluide néantique !
Les
orbières sont ces morceaux de cuir hémisphériques qu'on met sur les
yeux d'un mulet pour l'empêcher de voir sur le côté. Quant au terme
sursolide, il se dit de la quatrième puissance d'une grandeur (le carré
du carré). « Toute tentative de sédition nihilique se heurte aux orbières
incrustées de la tourbe sociale, aux carapaces de la foi sursolide », a
dit le poëte. Et cela est vrai, tristement vrai.
L'idée
du Rien est une idée difficile à porter, et qui se révèle la source de
nombreux maux. Ainsi, le nihilique souffre de neurasthénie, d'inertie
intellectuelle, de rêverie lucide et — mais c'est le cas de tout le
monde, sans doute — de la peur — justifiée dans son cas vu son degré
de causticité — de la solitude.
Certaines
personnes du sexe, pour se rendre intéressantes, font « jore » qu'elles
se posent des questions existentielles. Il y en a qui vous font
discrètement connaître qu'elles ont « lu du Kierkegaard » — et même,
pour les plus extrêmes, qu'elles ont « lu du Cioran ». Mais ça ne prend
pas.
Certains
métaphysiciens peu scrupuleux pressent l'ontologie comme on fait le
raisin et en extraient une liqueur que, grâce à des éditeurs tout aussi
dévoyés, ils répandent ensuite urbi et orbi. Attention : cette liqueur
fossilise, elle fossilise même les charpentes !
Le
cerveau de l'homme est comme un balcon qui donne sur le néant. Mais à
vrai dire, peu importe sur quoi il donne, le point essentiel est qu'il
sort de l'aplomb. Il fait saillie. Un architecte dirait qu'il est une
forjeture. Oui, c'est bien cela : une malencontreuse forjeture, dont
l'existence fait naître une sensation de « trop-plein ».
On
sait que le désespoir du nihilique est véliforme. C'est d'ailleurs à
cette conjoncture que le malheureux doit de pouvoir « prendre des ris »
quand il navigue sur la mer plate du Rien. Mais ce que l'on sait moins,
c'est que ce désespoir, non content d'être véliforme, est zingibéracé !