Gnothi seauton

 

Quand on a la tête déprimée, le corps couvert de grandes écailles minces qui se détachent facilement, l'angle supérieur des ouïes marqué d'une grande tache noire, l'iris gris-argent, la bouche petite et dénuée de dents, la mâchoire inférieure projetée au delà de la mâchoire supérieure mais moins que le hareng, on peut être sûr à quatre-vingt-dix-neuf pour cent qu'on est un pilchard.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Prénom

 

Émile Cioran, que rien ne satisfaisait et qui passait son temps à tout critiquer, trouvait que le prénom Émile faisait garçon coiffeur. Il aurait préféré s'appeler Fernand. Simone Boué n'était pas d'accord, elle trouvait que Fernand Cioran ne sonnait pas bien. Il y avait, disait-elle, trop de « an ».

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Éons

 

Contrairement à ce que s'imagine sottement l'homme de la rue, les éons ne sont pas que des personnifications de concepts ; ils sont aussi des univers à part entière, infinis et éternels, reproduisant le schéma général du Plérôme inengendré suprême !

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Vous avez dit bizarre

 

Dans l'ouvrage de Jean-Marie Dupain intitulé Étude clinique sur le délire religieux, il est question d'une secte russe appelée Khlisti, dont l'une des coutumes est de faire chabrot. Les assistants se réunissent, récitent une brève prière, puis la soupière est mise sur la table ; les fidèles chantent en dansant frénétiquement tout autour ; les lumières sont alors éteintes et il se passe, selon l'auteur, « des choses indicibles ». Ces choses indicibles, on le devine à demi-mot, consistent en ceci que les adeptes ajoutent du vin rouge dans leur assiette pour diluer le fond de soupe qui y reste, portent l'assiette à leur bouche et avalent à grandes goulées !

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Sylphide

 

Qu'eût pensé Chateaubriand s'il avait revu sa sylphide quelques années après et constaté qu'elle présentait une hypertrophie du « joufflu » ?

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

C'était donc ça

 

« La vie, dit Meaulnes soudain, est un fétiche arumbaya. »

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Truc pour la vie quotidienne

 

Il n'est pas toujours facile de distinguer une grosse dondon d'un hippopotame, mais certains détails peuvent nous y aider. Par exemple, la forme et la position des incisives de l'hippopotame sont très différentes de celles de l'être humain. Les inférieures du quadrupède sont cylindriques, très larges, surtout celles du milieu ; elles sont dirigées en avant et ne touchent aux supérieures que par les côtés. Il suffit donc d'attendre que la dondon ouvre la bouche — la gueule ? —, on jette un coup d'œil à l'intérieur et le tour est joué.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

De l'amour

Ceux qui disent aimer untel ou unetelle, comment font-ils ? Comment peut-on aimer un être humain ? Ça dépasse l'imagination ! Mais peut-être bien qu'ils mentent ? Peut-être qu'ils font « jore » ? Ou peut-être qu'ils sont simplement... cons ?

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Allergie aux profonds

 

Exécration de Blanchot et de Bataille — presque autant que de Char. Et n'oublions pas Klossowski... Et Louis-René des Forêts... Et Gaëtan Picon... Et Brice Parain... Et... Et...

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

En costaud

Dans le vocabulaire du cyclisme, l'emballage désigne le sprint disputé par un groupe de coureurs, que ce groupe inclue ou non le plasticien Christo (mais s'il l'inclut, c'est évidemment un plus).

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Un irritant mystère

 

Une question de lichénologie non encore résolue est celle de l'origine et de la signification de l'apothécie eulécanorine. À première vue, elle ne semble pas constituer un caractère essentiel de l'excipule thallin, mais... bon enfin bref.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Trachyte

 

Si l'on pouvait, comme le tuf de Pausilippe, être constitué presque entièrement de trachyte... On serait riche en feldspaths alcalins et on aurait une teneur en silice assez élevée. Ça nous changerait de cette vie qui se réduit à « faire les gestes que l'habitude commande », pour parler comme Albert Camus. Oui mais tu parles, on peut toujours courir.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Sur la mort de Lucien Goldmann

 

La mort d'un ennemi juré n'apporte presque jamais le soulagement attendu. Ce qu'on voulait, c'était assister à sa déconfiture. Mais la mort, vous parlez d'une déconfiture... Non, il s'en tire trop bien, le salop.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Une terrible épreuve

La constipation met les nerfs du Dasein à rude épreuve et a souvent pour effet de l'alourdir notablement. La quantité des matières accumulées peut aller jusqu'à quatre livres (Lévi) et même jusqu'à treize livres (Lemazurier). Ceci confirme l'intuition de Plotin que posséder un corps (des membres, des viscères, et cætera), on peut dire ce qu'on veut, il y a mieux.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Querelle des universaux

 

Contrairement au chanoine Roscelin qui n'en voyait que quatre, Anselme de Cantorbéry distinguait six substances secondes : le vrai, le faux, le laid, le beau, le dur, et enfin le mou qui a un grand cou.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Absurdité des zoologistes

 

Ces zoologistes ! Si on les écoutait, il faudrait exclure de la classe des poissons les phoques, les lamantins, les baleines, les dauphins, les grenouilles, les salamandres, les tortues de mer, les seiches, les poulpes, les lièvres de mer, les moules, les pétoncles, les huîtres, les buccins, les pourpres, les cônes, les crabes et les homards ! Il ne resterait pas grand monde !

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Un insecte cosmopolite

 

Le réduve est un insecte hémiptère carnassier dont la larve se cache dans la poussière tellement elle ne peut pas voir ça (et on la comprend). Le réduve est cosmopolite mais sa famille habite dans le Loir-et-Cher. Ce sont des gens qui ne font pas de manières, ils creusent des sillons, ils retournent des hectares de terre, et cætera. Il n'a jamais eu grand chose à leur dire. De temps en temps il va les voir, il passe le dimanche dans le Loir-et-Cher, mais il s'y ennuie vite et se dépêche de rentrer à Paris. Il ne faut pas le confondre avec le gloméris, un myriapode des plus susceptibles qui se met en boule à la première remarque.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Fustigation de la bourrelle et du garagiste

 

Pendant les fêtes des Thargélies célébrées en l'honneur d'Apollon, deux « pharmakoï »,  la grosse bourrelle et son garagiste, étaient escortés à travers la ville. On les frappait à coups de branches de figuier et de tiges d'oignons marins (en grec ancien skilla, scille), et on les expulsait hors de la cité pour écarter avec eux les souillures dont ils étaient chargés. En tout cas, c'est une scène plaisante à se représenter.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Close but no cigar

 

Parménide ne dirait sûrement pas que le cardinal André Vingt-Trois est l'être. D'après ce philosophe, en effet, l'être est indivisible et inengendré. Or monseigneur Vingt-Trois ne remplit que la première condition.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Tournis du mouton

 

Il vaut mieux ne pas lire le Traité des maladies vermineuses de l'homme et des animaux domestiques de Casimir Davaine avant d'aller se coucher. C'est plein de moutons frappés d'attaques convulsives, à la mastication incomplète et à la respiration stertoreuse. Ce n'est pas l'idéal pour faire de beaux rêves.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Chimie et sens de l'existence

 

Il est plus facile de déterminer si une solution contient de l'acide tellureux dissout dans de l'acide sulfurique que de savoir si l'existence possède un sens (et si oui lequel). Dans le premier cas, il suffit d'évaporer la liqueur à siccité, de fondre le résidu sec dans un creuset de platine et de regarder si on trouve de l'acide tellureux à l'état cristallin ; mais dans le deuxième cas, vous pouvez toujours essayer, votre creuset de platine vous servira à « peau de zobe ». C'est malheureux mais c'est ainsi.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Prends ça

 

Pour se venger du réel, dire les arborigènes d'Australie.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Technique de l'emphysème

 

À celui que sa bonne femme a quitté pour folâtrer avec un garagiste de La Bourboule, Sénèque dit qu'il doit s'estimer relativement heureux car il pourrait souffrir en plus d'un emphysème du cou. Mais ça n'a jamais aidé personne, de se dire qu'il y a pire.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Le piège

 

Il vaut mieux ne pas dénigrer les gens qui ont du succès car on se fait tout de suite accuser d'être envieux et il est caïman impossible de prouver qu'on ne l'est pas. Ces gens à succès, on ne les envie pas, on les trouve au contraire « fucking peussédiques », mais essayez de faire comprendre ça à ces sacrées têtes de piaf.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Les obsédés du percement

 

Tous ces olibrius qui veulent « percer », en littérature ou ailleurs... Qui font des pieds et des mains pour « percer »... Mais tout possédés qu'ils soient par l'idée de percer, la plupart d'entre eux ne perceront jamais. N'est pas Alexis Leger qui veut.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Nostalgie de Limassol

 

Parmi les noms de ville qui valent le coup, il y a Limassol. Aller à Limassol. Se promener dans les rues de Limassol à poil de Nicosie. Limassol.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Pédanterie

 

Pour vous emmouscailler, le pédant procède généralement en deux temps : il commence par rappeler, l'air de rien, qu'il existait chez les anciens Romains l'usage de rompre une paille en signe de promesse ; puis il fait « jore » de se demander si le sagmen (ou herbe sacrée), dans la scène entre Tullus Hostilius et le fécial (Tite-Live, I, 24), ne serait pas par hasard un reste de ce symbolisme. C'est déjà assez pénible, mais le pis, c'est quand il a un compère qui répond : « Ça se pourrait bien, ma foi ! »

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Un gars à la coule

 

N'en déplaise aux apophatiques, il y a une chose qu'on peut dire de Dieu, c'est qu'il est un type débrouillard. Il a réussi à créer le monde et il serait sûrement aussi fortiche que le Rouquemoute pour casser un coffiot.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

À tout hasard

 

Un conseil de Pline : « Prenez des écailles de tortue, brûlez-les, incorporez la cendre dans du vin et dans de l'huile, c'est souverain pour guérir les crevasses et les ulcères des pieds, des fois que vous en auriez. Sinon tant pis. »

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)