« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
samedi 30 juin 2018
Sudation conceptuelle
Ô philosophe ! Ami de la sagesse ! Ce que tu dois suer mon brave !
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Thermalisme existentiel
Aussi inouï que cela puisse paraître, les Grands Thermes de La Bourboule proposent « des cures thermales et des séjours santé dans le cadre du traitement des affections liées aux voies respiratoires 1, à la dermatologie, aux muqueuses bucco-linguales ou encore aux troubles de l'haeccéité ».
La brochure précise même qu'« outre le savoir-faire des Grands Thermes en matière de cures thermales et l'exceptionnelle qualité de son air, La Bourboule dispose de nombreux équipements pour les enfants (manèges du parc Fenestre, halte-garderie Les Gribouilles,...) et les suicidés philosophiques (taupicide, cordes de violoncelle, gazinières, puits busés, et cetera) ».
1. Les « usuelles asphyxies » où s'embouque l'étant existant ?
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Si c'est un homme
Tout commence mercredi vers 18 h 30, sur la route Nantes – Cholet : à la limite des deux départements du Maine-et-Loire et de la Loire-Atlantique, deux voitures s'accrochent. Les deux conducteurs impliqués se garent sur le côté pour établir un constat. Alors que les discussions commencent à peine, l'un des deux protagonistes décide de partir à pied et franchit la glissière de sécurité, abandonnant son chien dans sa voiture.
Arrivés sur les lieux, les gendarmes de Vallet tentent de repérer le fuyard. Mais dans le noir et sous des trombes d'eau, les recherches sont rapidement interrompues.
Ce n'est que le lendemain matin que l'homme sera retrouvé par un promeneur. Sans vie. Dans un fossé, non loin d'un chemin. Ce Finistérien de 44 ans s'était, selon les premiers éléments de l'enquête, donné la mort en se tailladant les veines de l'avant-bras. « On a retrouvé un cutter dans les buissons », rapporte un gendarme. Le Breton était de passage. Il n'avait aucune attache dans le secteur.
« On suppose qu'il a fui parce qu'il était en défaut de permis. Il lui avait été retiré pour conduite en état d'ivresse. Pour le reste, difficile à expliquer si ce n'est par quelque fragilité psychologique, par la difficile cohabitation avec une belle-mère envahissante, ou par le sentiment de culpabilité lié à son statut de rescapé », conclut le gradé qui, inexplicablement, semble confondre ce cas avec celui de l'écrivain Primo Levi. Des examens médicaux supplémentaires seront toutefois menés sur le corps du défunt. (L'Hebdo de Sèvre et Maine, 7 janvier 2016)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
Complétude de la désolation
L'accablement du sujet pensant en proie aux affres de l'haeccéité est complet, tant au sens de Cauchy qu'à celui de Dedekind.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Méphistophélique
Aux yeux de ses détracteurs, le suicidé philosophique passe pour une nature démoniaque à outrance, un résumé de toutes les difformités morales. À tel point que quand il le rencontre, l'« homme de la Nature et de la Vérité » se figure tomber sur l'infernal garde-chasse du Freischütz de Weber — confusion qu'encourage, il est vrai, la pétoire que trimballe en permanence le zélateur de la mort volontaire.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Mélancolie bourboulienne
Lorsque plusieurs suicidés philosophiques se rencontrent, il n'est pas rare qu'après avoir échangé leurs impressions, ils constatent avec stupéfaction que, comme les frères Robinhoude, « ils sont tous de La Bourboule » ! Cette station thermale du Puy-de-Dôme serait-elle aussi propice à la mélancolie que la grande plaine hongroise balayée par la bora ?
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Scrupule excessif
Quelques-uns, comme Esquirol, veulent qu'on descende dans la conscience de chaque individu, qu'on scrute les secrets intimes du cœur humain, que dans tous les cas, l'on examine et l'on pèse les sentiments qui habitent un individu frappé de rétention fécale, avant de faire l'application du mot constipé.
Mais quand on songe que la constipation se manifeste presque toujours dans l'ombre et le secret, et sans aucune espèce de témoins, il nous est impossible de connaître quelles passions, quels sentiments peuvent agiter l'âme du malheureux incapable de « faire » !
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Métamorphose
Selon Jean Chrysostome (Clavis Patrum Græcorum), l'illusionniste Bruno, qui dans son numéro au Music-Hall Palace change l'eau en vin, est capable d'améliorer de même nos volontés lâches et rebelles. « Il est des hommes, dit-il, qui ne diffèrent point de l'eau, tant ils sont froids, mous et flottants. Ces sortes de gens ainsi malades, amenons-les à Bruno, afin qu'il change leur volonté ; à l'eau, il donnera la qualité du vin : ils coulent et se répandent de tous côtés, il les rendra stables et solides, et ils seront un sujet de joie pour eux-mêmes et pour les autres. »
Mais qui sont ces hommes froids ? Ce sont ceux qui s'attachent aux biens passagers de cette vie, ceux qui ne méprisent pas les plaisirs de ce monde, ceux qui aiment la gloire et la puissance, exempli gratia le général Tapioca.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Complication inattendue
En géométrie symplectique, le théorème de non-plongement de Gromov affirme l'impossibilité de plonger de manière symplectique une boule de rayon R dans un cylindre de rayon r < R.
Ce théorème complique singulièrement la tâche au suicidé philosophique qui veut mettre fin à ses jours en utilisant une arme à chargement par la gueule, par exemple un tromblon ou un fusil à canon rayé Springfield modèle 1855.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
vendredi 29 juin 2018
Et si on lançait une initiative citoyenne ?
« Mettre sur pied un Repair Café mensuel, lancer un potager collectif, fonder un groupe d'achat commun, définir un lieu où les habitants pourraient échanger leurs savoirs, créer une monnaie locale, planifier des marchés fermiers, faire de l'école de vos enfants une "école en transition", etc.
En deux ans, en Belgique francophone, le nombre d'initiatives en transition a triplé. La preuve qu'il n'est pas forcément difficile de se jeter à l'eau, et de mener des projets à bien. Alors ? Si on lançait une initiative citoyenne ? » (La Libre Belgique, 31 décembre 2017)
— « En effet, si on lançait une initiative citoyenne ? Ou mieux encore, si l'on se pendait ? », répond l'homme du nihil.
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
L'assassin (Georges Simenon)
Le mélange était si intime entre la vie de tous les jours, les faits et gestes conventionnels et l'aventure la plus inouïe que le docteur Kupérus, Hans Kupérus, de Sneek (Frise néerlandaise) en ressentait une excitation quasi voluptueuse qui lui rappelait les effets de la caféine, par exemple.
Il était à Amsterdam, comme tous les premiers mardis du mois. C'était en janvier ; il avait revêtu sa pelisse à col de loutre et, comme il neigeait, il portait des caoutchoucs sur ses chaussures.
Ces détails sont sans importance, mais c'est pour dire que les choses étaient les mêmes que les autres premiers mardis du mois. Jusqu'à ce menu fait encore : en sortant de la belle gare en briques rouges, il était allé boire un verre de genièvre en face, ce qu'il ne disait jamais à personne car il n'est pas convenable, à dix heures du matin, d'entrer seul dans un café vergunning 1 et d'y consommer de l'alcool.
Il avait neigé toute la nuit, il neigeait encore, mais l'atmosphère était très gaie. Les flocons descendaient doucement, fort rares, sans risquer de se rencontrer en l'air, et de temps en temps, le soleil paraissait dans un ciel déjà bleu pâle. Par terre, la neige tenait. Des hommes la balayaient pour en faire des tas. Sur les canaux, près des rives, se formaient des pellicules de glace, et des aiguilles de givre auréolaient la coque des bateaux.
L'aventure commença avec le deuxième verre de Bols, dans lequel Kupérus fit mettre un peu de bitter, pour enlever le goût, qu'il n'aimait pas. Puis il paya, s'essuya la bouche, releva son col et sortit, les mains dans les poches, sa serviette sous le bras.
Normalement, il aurait dû se rendre chez sa belle-sœur, dans le quartier élégant du Jardin Botanique, en prenant le tram. Il aurait déjeuné, puis, à deux heures, il serait allé à pied à trois cents mètres de là, dans un bâtiment neuf, en briques vernissées, où se réunissent, le premier mardi du mois, les médecins de l'Association de Biologie.
Au lieu de ça, il alla se se placer au milieu du boulevard qui longe la gare, il baissa son pantalon et son caleçon, montrant son « fondement de l'historialité du Dasein » aux passants, et se mit à hurler : « Entre la finitude d'un pouvoir limité par la mort et l'infinité du devoir moral, la contradiction paradoxale s'aiguise jusqu'au paroxysme de l'absurde et de l'intenable ! » Le docteur Kupérus était frappé d'une crise aiguë de « jankélévitchisme ».
1. Il existe en Hollande des cafés vergunning qui ont le droit de vendre de l'alcool, et les cafés verlof qui ne servent que des boissons non alcoolisées.
(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)
Contre Bergson
En 1915, Heidegger prononce une conférence intitulée Le concept de vérité dans la philosophie moderne. Il s'en prend violemment à Bergson qu'il accuse de se laisser envoûter par les mots.
Bergson lui paraît le type même du philosophe qui fonde ses réflexions non pas sur des observations précises du monde réel (par exemple celle d'un presse-purée ou d'un porte-parapluie) mais sur des structures linguistiques purement arbitraires. On devine sans peine les termes bergsoniens qui offensent le plus le sens aigu de la rigueur intellectuelle chez Heidegger : le mot si vague d'« intuition », l'expression « élan vital », à laquelle Bergson lui semble accorder une valeur presque mystique, et le mot-clef « durée ».
« Ce prétentieux Bergson n'a rien compris à la situation tragique du Dasein, lâche-t-il en conclusion. Pour l'être-jeté, il n'y a pas plus d'élan vital que, révérence parler, de beurre au prose ».
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Être-là (dans le monde)
« Une aide-soignante de la maison de retraite du Césalet, située à Jacob-Bellecombette, près de Chambéry (Savoie) a été mise en examen, jeudi 12 décembre, pour six empoisonnements et trois tentatives d'empoisonnement sur personnes vulnérables. C'est ce qu'a indiqué jeudi après-midi le vice-procureur de Chambéry, Dietlind Baudoin. Les six décès sont survenus lors de ces trois derniers mois. Les trois personnes qui ont survécu ont été prises de "malaises inexpliqués".
L'aide-soignante est soupçonnée d'avoir administré un "cocktail de psychotropes" à neuf résidents de l'établissement rattaché au centre hospitalier de Chambéry, tous octogénaires, depuis octobre dernier. Ces résidents, originaires de la région, présentaient "des fragilités psychologiques ou physiques liées à l'âge" mais "n'étaient pas en fin de vie", a assuré le vice-procureur.
L'aide-soignante prétend que les défunts ont en fait été empoisonnés par "la pénible sensation de vivre isolés dans un univers de menace et de désolation sans autre perspective que la mort". Quant aux "malaises inexpliqués" dont ont été victimes les trois survivants, elle les met sur le compte de l'haeccéité, c'est-à-dire le fait de posséder un ensemble de caractéristiques, matérielles et immatérielles, qui font de vous une "chose particulière" — une situation, il est vrai, fort pénible. » (L'Obs, 12 décembre 2013)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Un féroce lapin
La pratique de l'homicide de soi-même a fait de moi un homme inexorable.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Hommage à Edgar Allan Poe
Les mémoires de l'homme du nihil pourraient commencer ainsi : « Dès l'instant de ma naissance, je m'étais fait du monde une impression déplorable. C'était néanmoins dans cet habitacle de mélancolie que j'allais devoir séjourner pendant quelques décennies. »
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Antiphlogistique
« En rapprochant les succès obtenus dans le traitement du panaris par les frictions mercurielles réitérées, de ceux que procure le taupicide dans l'haeccéité, on est conduit à considérer ces remèdes comme essentiellement antiphlogistiques ; autrement dit, comme des moyens qui affaiblissent parfois plus l'organe que la maladie dont on veut le dégager. » (Dr Charles Segond, De l'emploi des évacuants dans les maladies du Moi, 1836)
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
L'aspiration (Raymond Carver)
J'étais sans travail, mais je devais recevoir des nouvelles du Nord incessamment. Allongé sur le canapé, j'écoutais le bruit de la pluie. De temps en temps, je me levais pour jeter un coup d'œil à travers le rideau, des fois que le facteur s'amènerait.
Mais la rue était vide, morte.
Je ne m'étais pas recouché depuis cinq minutes que j'ai entendu quelqu'un qui gravissait les marches du perron, faisait une brève pause, puis frappait. Le facteur ? Dans Expérience et jugement, le phénoménologue Edmond Husserl décrit la négation comme surgissant de la déception d'une attente, autrement dit de la suppression d'une « intentionnalité anticipatrice ». Et il cite l'exemple d'une boule rouge et lisse qui s'avère soudainement être verte et bosselée de l'autre côté, démentant ainsi la représentation anticipatrice que l'on en avait. Et encore, Husserl avait un bon job à l'Université de Fribourg, mais quand on est chômeur, on n'est jamais trop circonspect. Les mises en demeure et les sommations pleuvent. Tantôt elles arrivent par la poste, tantôt on vous les glisse sous la porte. Y en a même qui viennent vous voir pour discuter, surtout si on n'a pas le téléphone.
On a frappé une deuxième fois, plus fort. Ça n'augurait rien de bon. Je me suis soulevé tout doucement et j'ai essayé de voir qui c'était. Mais tout ce que j'ai vu, c'est une boule rouge et lisse d'un côté, verte et bosselée de l'autre. Ce bon vieux Husserl avait raison !
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
jeudi 28 juin 2018
Sphère antéprédicative
S'il est vrai que la phénoménologie de Husserl — qui prône, faut-il le rappeler, le « retour aux choses-mêmes » — ouvre dans « l'horizon poreux de la thèse prédicative » une sphère matérielle et sensorielle, la « sphère antéprédicative », et ce avec le défi de penser le sensible, alors il ne reste plus qu'à se pendre avec ses bretelles (les siennes propres, pas celles de Husserl).
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Erreur de raisonnement
Du drame survenu dans la nuit de mardi à mercredi, vers 3 h 45, il ne subsiste que des traces au marqueur sur la chaussée. « C'est d'ailleurs comme cela que j'ai compris qu'il s'était passé quelque chose », relate, interloquée, une commerçante de la rue Grande, à deux pas de la place de la République. En pleine nuit, une automobiliste de 27 ans a tué un Bellifontain de 51 ans, en lui roulant dessus, en plein centre-ville de Fontainebleau. Elle est ensuite rentrée directement chez elle.
Interpellée mercredi midi à son domicile de Vernou-la-Celle-sur-Seine, la jeune femme a nié avoir voulu fuir. « Elle a cru avoir heurté le trottoir, rapporte le procureur de la République de Fontainebleau, Guillaume Lescaux. La voiture s'est d'ailleurs arrêtée un peu plus tard au feu rouge avant de redémarrer au vert ».
En ce qui concerne la victime, la thèse du suicide semble privilégiée. « Sur les images de vidéosurveillance, on le voit s'installer sur la chaussée très calmement, sur le passage piéton, juste à côté du trottoir donnant sur la place de la République », détaille le magistrat.
Il s'agirait d'un homme dépressif, enfermé dans la solitude, qui, d'après ses voisins interrogés par les enquêteurs, ne trouvait plus de consolation que dans la lecture de Schopenhauer, la musique de Schumann, et les promenades solitaires dans la nature. Selon le médecin légiste, ce suicide serait un cas typique de « quête infructueuse et vaine d'un savoir sur la mort ». « Le suicide, précise-t-il, peut en effet être considéré comme une expérience, une question que l'homme pose à la Nature en essayant de la forcer à répondre, mais c'est une expérience maladroite, car elle implique la destruction même de la conscience qui pose la question et attend la réponse. » Le désespéré paraît donc avoir été victime d'une incroyable erreur de raisonnement. (Le Parisien, 11 janvier 2018)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
Un aimable divertissement
« Je ne m'amuserai point, à l'exemple de l'auteur de l'Égide de Pallas, à prouver l'excellence de l'homicide de soi-même par son ancienneté ou par le rapport qu'il peut avoir avec quelques traits de l'histoire ancienne ; je n'en ferai point remonter l'origine au siège de Troie, et je n'en attribuerai point l'invention à Palamède ; je me contenterai donc simplement de dire que c'est un passe-temps des plus récréatifs et des plus amusants, par la variété des incidents qui s'y rencontrent — ainsi lorsque la corde casse ou que la mèche fait long feu —, et par la multitude des combinaisons qu'il permet. La découverte que l'on y fait tous les jours de nouvelles finesses prouve qu'il n'est point d'exercice plus étendu et plus intéressant que l'homicide de soi-même. » (Essai sur l'homicide de soi-même dit « à la Polonoise », par le Sieur Manoury, Bruxelles, Le Francq, 1796)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Un être porcin
Le conformisme et la grégarité du « monstre bipède » sont des phénomènes qui semblent se prêter idéalement à une analyse de type durkheimien ou néo-durkheimien. Il convient toutefois de veiller à ne pas perdre de vue l'interpénétration constante de l'individu et du social telle qu'elle a été mise en évidence par la sociologie interactionniste influencée par les travaux de George Herbert Mead et, dans un registre tout à fait différent, par Marcel Proust, très habile à représenter un soi multiple, d'une extrême sensibilité aux influences du milieu et à l'écoulement du temps.
Mais peut-on vraiment se figurer le « monstre bipède » en train de lire, entre deux parties de pétanque et deux tournées de « pastaga », les œuvres de George Herbert Mead et de Marcel Proust ? De nombreux indices rendent cette évocation peu plausible, entre autres la propension quasi irrépressible dudit « monstre bipède » à se promener en survêtement dans les couloirs méandreux de l'être.
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Un rebelle sans cause
Le chien Milou ne manque pas une occasion de faire des remarques caustiques. Il semble ne rien respecter, n'obéit à aucune autorité et sa tournure d'esprit est typique de ce mouvement que l'on appelle l'anarcho-syndicalisme, dont on sait qu'il procède pour l'essentiel de la « pensée » de Michel Bakounine.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Théorème d'unicité de Stokes
Le théorème d'unicité de Stokes, dû à George Stokes, trouve des applications en mécanique des fluides. Ce théorème d'unicité du potentiel gravifique extérieur est important pour qui envisage de se plonger dans un liquide jusqu'à ce que mort s'ensuive, autrement dit de se noyer. Il dit qu'une solution de l'équation de Laplace satisfaisant les conditions aux limites constitue la solution unique correspondant à l'équipotentielle.
Cela constitue un avantage pour celui qui veut mettre fin à ses jours en se jetant dans un fleuve, comme fit le poëte Paul Celan dans la nuit du 19 au 20 avril 1970 (il se jeta dans la Seine, probablement du pont Mirabeau). Par contre, la connaissance du champ extérieur ne permet pas de déduire la distribution des masses qui produit l'équipotentielle, ce qui est incontestablement un inconvénient pour le suicidé philosophique qui aimerait bien savoir quelle posture adopter une fois dans l'eau.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Validation expérimentale
Se tuer pour se prouver à soi-même la mortalité de l'être mortel.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Balsamique
Comme la momordique, l'idée du Rien est rafraîchissante, dessicative, et a la réputation d'être un excellent vulnéraire. L'homme du nihil en tire un baume qu'on vante comme un bon remède dans la piqûre des tendons, les hémorroïdes, les engelures, et l'angoisse d'exister.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
mercredi 27 juin 2018
Il était une fois un festival du « vivre ensemble »
« Il y a quelques années, l'arrivée d'un cirque dans un bourg était synonyme d'évasion dans l'univers enchanté du rêve. Le chapiteau se montait devant les gamins imaginant déjà le spectacle, la magie de la piste, les clowns, les magiciens, les acrobates, représentants d'un monde éphémère qui aurait disparu au petit matin. C'est en jouant sur ce registre du chapiteau catalyseur de rêve que se tient, en cette première quinzaine d'avril, un festival réunissant une troupe et des associations locales "pour saupoudrer de rire, de joie et de vivre ensemble les bords de Vienne".
Créée en 2003 et installée aux portes de Chinon, la compagnie des FouxFeuxRieux entremêle poésie, cirque, musique et conte pour "chatouiller nos imaginaires". Et c'est logiquement au cœur de Chinon qu'elle a mis sur pied ce festival "Il était une fois un chapiteau".
Le week-end dernier, les FouxFeuxRieux ont donc posé caravane et chapiteaux sur les promenades des Docteurs Mattraits, où va se dérouler une série d'événements autour de la compagnie, dont le travail s'effectue main dans la main avec les associations culturelles locales.
Dès samedi, les FouxFeuxRieux ont monté leurs quatre chapiteaux avec l'aide de bénévoles. Jusqu'au 16 avril, les animations vont se succéder. L'école de cirque itinérante profitera des vacances scolaires pour initier enfants et adolescents aux arts du cirque, ce qui donnera lieu à un spectacle les deux samedis à venir. On pourra notamment y voir un philosophe sceptique suspendre son jugement pour parvenir à l'ataraxie. Un moment fort en perspective !
Point d'orgue du festival : une intervention de Jean-Pierre Georges, le fameux "athlète chinonais du Rien" qui lira certains de ses textes, entre autres celui où il
compare le monde aux "génitoires d'un âne".
Nul doute que le mélange des genres entraînera un mélange des publics, et l'on peut espérer que sortiront de leurs tanières les habitants du quartier voisin des Courances, peu enclins en général à fréquenter les spectacles culturels. Le chapiteau, par son côté frappant, devrait exciter la curiosité du voisinage et faciliter ce mélange, ce fameux "vivre ensemble", en le rendant concret. C'est tout ce qu'il faut souhaiter aux promoteurs de cette initiative originale. » (La Nouvelle République, 5 avril 2016)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
Force
Par des trépidations désespérées, le constipé s'efforce de résoudre le problème que pose le concept mystérieux de « force » dans la physique newtonienne. Il n'essaie pas de répondre directement à la question « Qu'est-ce qu'une force ? », mais rêve d'atteindre son but sans faire appel à la notion de « force » en tant que concept fondamental.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Diététique du suicidé
Selon Aulu-Gelle, le candidat au suicide, avant de commettre son geste fatal, doit se préserver de toute lourdeur d'estomac et donc éviter absolument : le paon de l'île de Samos, le faisan de Phrygie, la grue de l'île de Mélos, le chevreau d'Ambracie, le thon de Chalcédoine, la murène de Tartèse, la morue de Pessinunte, l'huître de Tarente, le pétoncle de Chio, l'esturgeon de l'île de Rhodes et le poisson de Cilicie ; la noix grecque, le fruit des palmiers d'Égypte, et l'aveline d'Ibérie. (Nuits attiques, Livre VII, Chapitre XVI).
(Marcel banquine, Exercices de lypémanie)
Spinozisme exacerbé
« Un homme est soupçonné d'avoir tenté de tuer sa femme, à Valensole. Un geste qui aurait été prémédité. Il a été placé en garde à vue hier matin pour "tentative d'assassinat", garde à vue qui a été prolongée hier soir.
Alors qu'elle circulait en voiture, sa femme a remarqué un comportement inhabituel de son véhicule. Elle est aussitôt allée chez un garagiste, et celui-ci a découvert que les durites de frein de son automobile avaient été sectionnées. Elle s'est alors rendue à la gendarmerie pour déposer plainte. La procédure a entraîné une ouverture d'enquête par le parquet de Digne-les-Bains, menée par la brigade territoriale autonome de Manosque et la brigade de recherches de Forcalquier.
Les soupçons se sont rapidement tournés vers le conjoint de la plaignante, un homme qui a déjà eu affaire à la justice pour des faits d'exhibitionnisme spinozien (vêtu d'un imperméable et de bas de pantalon, il opposait à la conception transcendante du divin une philosophie matérialiste de l'immanence).
Selon nos informations, le suspect se défend bec et ongles et aurait déclaré aux enquêteurs que son épouse était une "carogne" qui avait "aussi peu à voir avec un être humain, que la constellation du Chien avec le chien, animal aboyant".
Sa garde à vue devrait être levée aujourd'hui. Il sera vraisemblablement déféré aussitôt devant le pôle criminel d'Aix-en-Provence. » (Le Dauphiné, 27 janvier 2018)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Répétitions angoissantes
Quoique bon élève, Heidegger n'aime pas aller à l'école. Chaque matin, devant son bol de cacao et sa tartine beurrée, il a la boule au ventre ou, comme il dit, « la barre » (ich habe die Bar).
Difficile de ne pas voir dans ces spasmes quotidiens comme des prémices des « répétitions angoissantes » analysées dans Sein und Zeit, à partir desquelles le Dasein s'ouvre à son être-vers-la-mort.
Heidegger apprendra plus tard qu'à peu près au même âge, Albert Einstein souffrait du même genre d'angoisse — mais devant un bol de ricoré.
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Malempin (Georges Simenon)
Même de sang-froid, je reste persuadé que cette journée a été plus rapide que les autres et le mot vertigineux me vient naturellement à l'esprit. J'ai, quelque part au fond de la mémoire, un vieux souvenir similaire. Je jouais dans la cour du lycée. Non, ce n'est pas possible, puisqu'il va être question d'un tramway. Peu importe ! Dans une rue. Ou sur une place. Plutôt sur une place, car je revois des arbres et je pourrais préciser qu'ils se découpaient sur un mur blanc. Je courais. Je courais à perdre haleine. Pourquoi ? Je l'ai oublié. Je courais comme en rêve, sans rien voir, que le sol qui fuyait sous mes pieds tel le remblai d'un chemin de fer. Et soudain, malgré la vitesse déjà anormale, il y eut accélération, un crescendo finissant par un arrêt brusque qui me laissait vibrant de la tête aux pieds, les tempes battantes, les lèvres humides, les yeux écarquillés sur un tramway qui, à un mètre de moi, tremblait lui aussi de toute sa ferraille.
Je ne cherche pas à prouver. Est-ce que, ce jour-là, je courais plus vite parce que j'avais une intuition, parce que je sentais la catastrophe ?
— Imbécile ! m'a crié le conducteur, aussi pâle que moi.
J'ai dû monter sur le trottoir. Puis, je me suis assis sur un seuil.
La journée dont je veux parler n'a aucun rapport apparent. Peut-être certaine allégresse des très beaux jours de juin ? Je me suis levé à six heures, avant que la bonne fût descendue.
Pendant que je me rasais dans la salle de bains, ma femme, de son lit, m'a rappelé :
— N'oublie pas que chez Husserl, la monade caractérise le rapport intersubjectif. Ce n'est pas du tout comme chez Leibniz ! Le mot monade, chez le fondateur de la phénoménologie, désigne la conscience individuelle, l'individualité en tant qu'elle représente à la fois un point de vue unique, original sur le monde et une totalité close, impénétrable aux autres consciences individuelles ou individualités. Pour Husserl, au moi est donné d'autres moi, non pas directement, mais au travers une série d'actes extérieurs, physiques, que le moi interprète par analogie à soi-même. Ainsi, à travers les actes d'interprétation, se forment des mondes intersubjectifs, régis par des structures qui leur sont propres et qui rendent possible la constitution de personnes supérieures, collectives. On aboutit à une pluralité de monades qui communiquent entre elles, à travers la sphère neutre du monde intersubjectif.
— Je sais, j'ai dit. Me fais pas chier !
La rue de Beaune était vide. J'ai pris un taxi quai d'Orsay et je me suis fait conduire à la gare Saint-Lazare, à travers un Paris doré comme une pêche.
(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)
Angoisse bifrons
Au dire de Karl Jaspers, « l'état de mort, qui consiste à ne plus être, et l'action de mourir, qui cesse avec la mort, provoquent chez le Dasein deux angoisses bien différentes » — et cela paraît indéniable.
Pour contenir ou apaiser la seconde, le suicidé philosophique chevronné privilégie les méthodes qui expédient promptement et il évite, s'il le peut, de se jeter du viaduc de Garabit (qui culmine à 122 mètres au-dessus des gorges de la Truyère — durée de la chute : 5 secondes en négligeant les forces de frottement dues à l'atmosphère). Mais quant à la première, comme le note fort justement Jaspers, « aucun artifice technique ne peut en délivrer l'étant existant, seule la philosophie le peut »
Et en particulier la philosophie nihilique, est-on tenté d'ajouter. Car peut-on imaginer patrie plus accueillante, plus propre à réjouir le cœur de l'homme que le Rien ?
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Un inadapté
Comment se faire à la finitude du Dasein ? L'écrivain uruguayen Horacio Quiroga ne s'y fit jamais. Atteint d'un dégoût prononcé de la vie, il met fin à ses jours en 1937 dans un hôpital de Buenos Aires, en avalant une pilule de cyanure.
Dans son Journal d'un cénobite mondain, Gragerfis le dépeint comme « un dandy tourmenté, irrésistiblement attiré, comme ses personnages qui lui ressemblent tant, par la dangereuse beauté de cette grande forêt tropicale : le Rien ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
mardi 26 juin 2018
Mauvaise réputation
Ce n'est pas d'hier que le suicidé philosophique a mauvaise presse. Dans la littérature médiévale, il est constamment un personnage désagréable : il suffit de penser à celui du roman d'Eracle ou du roman de Horn pour s'en apercevoir. Constamment, il est présenté comme un individu chiche, bourru et querelleur. Chez Gerbert de Montreuil, le suicidé philosophique rappelle le « cholérique » dont parlent les traités de physiognomonie, et il s'attire la repartie :
« Vos eüssiez le cuer crevé
Se vous ne fussiez desfarcis. »
Comment expliquer une telle animosité si ce n'est par la verve caustique avec laquelle le champion de l'homicide de soi-même a de tout temps assaisonné le « monstre bipède » ?
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Délices anticipées
Le suicidé philosophique passe ses jours à savourer le clafoutis climatérique de sa propre fin.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Humeur défiante et soupçonneuse du constipé
« Le vrai constipé est ordinairement sans cœur, toujours craintif et tremblotant, ayant peur de tout, et se faisant peur à soy-mesme, comme la beste qui se mire ; il veut chier et ne le peut, il va partout soupirant et sanglotant avec une tristesse inséparable qui se change souvent en désespoir ; il est en perpétuelle inquiétude de corps et d'esprit, il a les veilles qui le consument d'un costé, et le dormir qui le bourrelle de l'autre... bref c'est un animal sauvage, ombrageux, soupçonneux, solitaire, ennemi du soleil, à qui rien ne peut plaire que la seule fausse et vaine imagination de chier. » (Dr André du Laurens, Discours de la conservation de la vie : des maladies constipatoires, des catarrhes, et de la vieillesse, à Paris, chez Jamet Mettayer, 1597, p. 119)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
À la Pépite d'Or (Larry Brown)
C'était un bar, quelque part entre Orange Grove et Pascagoula, une de ces boîtes où on entre gratuitement mais où on vous fait payer cinq dollars une bière Schlitz de trente centilitres. L'endroit était sombre. Tout le monde portait des lunettes de soleil, sauf moi. Mon pote avait disparu et je ne savais pas ce qui lui était arrivé. En revanche, je savais ce que j'étais et j'essayais de vivre avec. Je me disais que si seulement j'arrivais à passer la nuit, tout redeviendrait à peu près bien quand le soleil se lèverait.
Cette boîte affichait des danseuses nues. Rien que les seins, pas le cul. Je me suis dit : bon, allons-y pour les danseuses. Je savais que je souffrais d'intoxication par l'alcool et que ça portait sur mon cerveau. Il suffisait que je boive une seule bière et toutes mes idées changeaient. Je passais de la phénoménologie à l'empirisme logique, parfois même au pragmatisme de Charles Sanders Peirce, et j'avais alors l'impression que le sens d'une expression résidait dans ses conséquences pratiques. Oh, bon dieu ! Il fallait vraiment que tout ça s'arrête.
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
Théorème bipolaire
En mathématiques, le théorème bipolaire est un résultat d'analyse convexe qui fournit les conditions nécessaires et suffisantes pour qu'un cône soit égal à son cône bipolaire.
Coïncidence ou non, le 28 mars 1941, la romancière Virginia Woolf, qui souffrait depuis longtemps de psychose maniaco-dépressive, décide d'anéantir son « cône bipolaire ». Elle remplit ses poches de galets et se jette dans la rivière Ouse, près de Monk's House, sa maison de Rodmell.
Son corps sera retrouvé trois semaines plus tard, le 18 avril, et son époux, le toujours débonnaire Leonard, enterrera ses cendres dans le jardin de Monk's House.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Acte désespéré
C'est le corps d'une femme de 42 ans, originaire de Saint-André-de-Cubzac qui a été retrouvé ce matin, dimanche, dans les eaux du petit port à Arcachon. La disparition de la malheureuse avait été signalée la veille à la gendarmerie.
À une heure du matin, dimanche, les policiers du commissariat d'Arcachon ont repéré sa voiture aux abords du port. Une adresse figurant dans les effets qui y ont été trouvés les a d'abord conduits vers un hôtel d'Arcachon, où ils ont fait chou blanc. Les chiens policiers ont ensuite été mis à contribution, et ce n'est que ce matin que le corps sans vie de la quadragénaire a été retrouvé.
Il s'agirait d'un acte désespéré, « comme ceux qu'accomplit parfois le Dasein soucieux et "devançant", quand il vient à être lui-même en faisant face à la possibilité de sa mort », selon le commissaire chargé de l'enquête, qui se présente lui-même comme « féru de heideggerianisme ». « Cette venue à soi, ajoute-t-il, provient en quelque sorte de "l'a-venir" en un sens tout à fait particulier : il ne s'agit pas du non encore présent mais, pour le Dasein, de "la modalité d'un possible accomplissement de soi-même". » (Sud Ouest, 26 novembre 2017)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
Édredon
Le poëte illuminé Antonin Artaud, qui n'hésitait jamais devant les pensées inouïes, soutenait que l'édredon du lit de Van Gogh était « d'un rouge de moule, d'oursin, de crevette, de rouget du Midi, d'un rouge de piment roussi », affirmation qui exaspérait l'écrivain mondain Paul Valéry, car il y voyait un sophisme. « Si j'admets, disait-il, que l'édredon de Van Gogh est rouge (avant toute expérience particulière), c'est à l'objet même (qui s'appelle édredon) que va mon approbation. Si c'est au contraire le mot d'édredon, que j'approuve, je puis le trouver gracieux, sonore, agréable à prononcer, je ne songerais pas à le manger. »
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
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