lundi 29 août 2022

Moment métaphysique

 

On regarde un cadavre de mouche sur le sol et tout à coup on est frappé par le fait que la vie est finie quand la mort, elle, est infinie. — On vient de passer par un « moment métaphysique ».

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Schisme cotonneux

 

Le suicidé philosophique, en accomplissant son geste fatal, entend faire sécession d'avec le reste de l'humanité — « ces poux, ces cloportes, ces sarcophages anthropomorphes ». Hélas ! Son acte lui-même est « humain, trop humain », ce qui donne à sa dissidence une consistance spongieuse : c'est un schisme cotonneux.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Le sens du parfait en latin

 

Empoigner le vocable, un marteau, et s'en servir pour fracasser les tenants de la thèse aspectuelle, ces empaillés qui accordent une importance prééminente aux données de la morphologie. Défendre au contraire la thèse temporelle et donner la primauté aux faits d'emploi, à l'usage qui est fait des formes dans le discours, aux valeurs qui leur sont attachées dans les divers énoncés.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

dimanche 28 août 2022

Valeur de l'idée

 

Une idée a beau être brillante et gratinée, elle ne vaut pas grand chose si elle n'est pas en sus, comme celle du Rien, farcie d'une avoine transmutatrice.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Vos gueules, les pesses !

 

À celui que l'existence accable, les roucoulades nocturnes du rossignol comme celles diurnes du moineau font l'effet d'un bel canto esquilleux. « Tu es une nullité ! », semblent lui dire ces importuns volucres. — « Eh bien oui, j'en suis une, et alors ? »

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

L'appel du Dévonien

 

Nostalgie de ce monde antérieur à l'ineffable homme des cavernes, où ne pullulaient que les arthropodes et les amphibiens, dans d'immenses forêts de lycophytes, de sphénophytes, de progymnospermes et d'aimables ptéridospermales.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Coups de fourchette

 

Selon Basile Munteanu, le « négateur universel » Émile Cioran portait sans cesse des coups de fourchette à la gorge de l'être, au point que c'en était gênant pour les autres convives et qu'il se faisait rabrouer par Simone Boué (qui, possédant une maison à Dieppe, n'avait quant à elle rien contre l'être, bien au contraire).

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

samedi 27 août 2022

Rubéfaction du vulgaire

 

Le vulgaire est si chichiteux, il s'offense si facilement que l'on peut, par la simple mention du terme pachynihil, rubéfier son éternelle face de rat (ou de porc).

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Fenouil phrastique

 

Le vocable agit sur l'âme comme un vigoureux vilebrequin — cela est connu et n'a pas besoin d'être documenté —, mais aussi comme un emplâtre. Il apaise les angoisses périphériques et atténue la crépitation du temps. Un peu de poésie giclante, un peu de fenouil phrastique, et l'homme oublie pour un instant sa triste condition de « perdant de la mondialisation ». Un instant, il se croit vibratile... mais il est mortel, le scélérat ! Et tous les vocables du monde n'y changeront rien.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Spiritualisme effréné

 

La peine capitale pour l'ignoble matière ! Qu'une balle en pulvérise l'affreuse cervelle !

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Orogenèse

 

Le temps passe, la vie s'écoule. On effectue des recherches minéralogiques et cristallographiques. On se consacre à des études pétrographiques sur les roches massives, les roches éruptives et les terrains cristallophylliens. On s'occupe de géologie régionale dans les Alpes, les Pyrénées, la Corse et l'Afrique du Nord. On réunit diverses observations tectoniques sur ces régions montagneuses, et on en déduit des conclusions générales intéressant l'orogenèse, c'est-à-dire l'étude des dislocations de l'écorce terrestre. Mais pour passionnante qu'elle soit, l'orogenèse échoue à détourner l'esprit de ce point fixe : le suicide, et arrive un moment où il faut passer à l'action. Adieu orogenèse ! Adieu Bourboule aimée, dont la tête hardie défie les hauteurs des cieux ! Adieu philosophie marcellienne !

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

vendredi 26 août 2022

Amphibologie

 

L'idée du Rien, dans sa pureté originelle, est amphibologique. Peut-être pas autant que le fameux « Que vêt parmi l'exil inutile le Cygne » de Mallarmé, mais tout de même, elle est entachée d'une certaine ambiguïté et ce n'est que dans l'homicide de soi-même qu'elle acquiert la netteté de l'œuvre d'art.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Mollusques marins

 

Il n'y a pas que l'huître, il y a aussi le pétoncle, pour incarner une opiniâtre idée du bon goût (c'est-à-dire pour refléter le Rien). En fait, tous les mollusques marins bivalves ont quelque chose de nihilique — à l'exception peut-être de la moule, trop solidement ancrée dans la réalité empirique par son faisceau de filaments appelé byssus.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Omphalos

 

Quand votre vie a été dévastée de fond en comble par une bourrelle, que vous vous sentez abandonné de Dieu et des hommes, et que vous souffrez de surcroît d'un cruel panaris, vous n'avez plus le choix qu'entre contempler la bouche d'un revolver et pleurer devant un sanctuaire presque incongru en forme d'omphalos.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Quintessence du jet

 

Cracher sur le monde est à la portée du premier venu. Mais pour avoir quelque efficacité, le crachat doit être une véritable quintessence du jet. Et seul le nihilique est maître dans cet art.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

jeudi 25 août 2022

To each his own

 

Quand on est médecin, on ne croit qu'aux glandes à sécrétion interne. Quand on est nihilique, on ne croit qu'au Rien. C'est ainsi.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Empyreume

 

La métempsychose et la résurrection seraient des mythes consolants si la vie avait un goût de revenez-y. Mais au contraire, elle a un goût atroce d'empyreume (causé par une certaine quantité de lie qui s'est attachée aux parois intérieures de l'alambic, et qui a été en partie décomposée par le calorique).

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Croyances

 

Le monstre bipède croit à la causalité, à la gravitation, à l'évolution, aux atomes, au libre arbitre, à l'année de naissance de Blek le Roc (1954), au progrès, à la Révolution française, mais il ne croit pas au pachynihil. Pourquoi ? Tout simplement parce que, contrairement au nihilique, il n'est pas habité par un sentiment catastrophique de la vie.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

« Le » mot

 

On aimerait s'épancher au seuil d'un seul vocable, dont tout le reste découlerait. Mais comment le trouver, ce vocable ? Une chose est sûre, il ne s'agit ni de reginglette, ni de lagéniforme, ni de zingibéracé, mots thaumaturgiques mais à partir desquels il paraît impossible d'opérer une déduction logique et systématique du réel. Alors ? Alors il faut chercher, encore et toujours... Et si nécessaire, on essaiera aussi les paires de mots (xéranthème xénotropique, etc.).

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

mercredi 24 août 2022

Purée mentale

 

Les expériences faites par la commission ont montré que la brosse de chiendent employée seule ne suffit pas toujours pour nettoyer la purée mentale qui glisse sur nos os. Quand cette purée est trop collante, trop gluante, il faut recourir à l'expédient suprême : l'homicide de soi-même.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Littérature

 

Sous les cirrus du texte, une citadelle inexpugnable : le rotond caillou.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

No place to feast

 

On voudrait mordre les fruits mûrs de l'existence, mais le « prisme » — ainsi que le béhavioriste Burrhus Frederic Skinner appelle la réalité empirique — n'est pas un endroit où festoyer (il est trop fétide). Il n'y a donc pas le choix, il faut festoyer hors du prisme. Seulement voilà : la perspective de festoyer dans le pachynihil engendre une angoisse sourde, antagoniste à l'idée même de festoiement. On ne festoiera donc nulle part, mais ce n'est pas très grave car des études récentes ont montré que les fruits mûrs de l'existence étaient vénéneux — alors...

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Reliques inertes

 

Les gens célèbres — même médiocrement — sont tous morts. Mais la plupart d'entre eux ne s'en rendent pas compte. On ne les rencontre pas dans les cimetières, ils sont plutôt du genre à hanter les coquetèles. Ils écrivent des livres, ils peignent des tableaux de peinture, ils composent des pièces pour récitant, orchestre et bande magnétique, mais ils sont bel et bien morts, secs, poussiéreux, hallucinés et fantomatiques. Ce sont des reliques inertes.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

mardi 23 août 2022

L'anti-Sartre

 

Le nihilique n'est pas un penseur et ne prétend pas au titre de philosophe. Dans sa cervelle sacculiforme, seule palpite l'idée du vide, unique affaire de tout anachorète digne de ce nom.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Mangonneau

 

Le nihilique est un vrai diable à quatre : détruire le comble, dilacérer lui est familier. Et ce ne sont pas les outils qui lui manquent pour opérer son carnage. La nature ne fourmille-t-elle pas d'armes parfaites ? Par exemple le mangonneau ? Cette forme médiévale de l'onagre qui permet de lancer des projectiles contre les murs des châteaux forts ?

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Vertige

 

Dès qu'il sort dans la rue et se mêle à la foule, la tête tourne au nihilique, il est pris dans un tourbillon chargé de fluides homicides.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Convolvulus

 

Au début, on joue avec l'idée du Rien, elle n'est qu'une hypothèse séduisante et quelque peu baroque. Mais le pachynihil est une plante vivace, et on se retrouve bientôt la carcasse emprisonnée dans le convolvulus du nihilisme le plus radical. C'est déjà « malaisant », mais il y a encore la gêne causée par les moucherons : car comme le liseron, l'idée du Rien attire les syrphes.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

lundi 22 août 2022

Rituel bacchique

 

Quand le nihilique touille le vin, le rhum, la cassonade, le poivre et la cannelle dans le bol à punch, il est inexorable : rien ne peut s'opposer à la lustrale giration de sa cuiller. Il faut dire que pour lui, s'enivrer est chose sérieuse. En se « beurrant la tartine », il entend célébrer la volonté du Rien par la crémation rituelle du Tout. Il espère trouver dans le vin « l'énergie causale ». Mais jusqu'à présent, il a fait chou blanc. Chaque fois, à l'issue de son ivresse, le Tout était toujours là, et il n'avait tiré de sa soûlographie qu'un intense « mal aux cheveux ».

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Paronomase

 

Toute l'astuce de la paronomase est d'employer dans une même phrase des mots dont le son est à peu près semblable, mais le sens différent. Des exemples classiques sont : « À bon chat bon rat » et « Qui vole un œuf vole un bœuf ». On le remarque : comme la femme mais sur un plan purement sonore, la paronomase est chevillée dans l'artifice.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)