Quand on
demandait à Schopenhauer si ça « boumait », il répondait : « La vie
n'est qu'une sorte de moisissure apparue incongrûment sur la croûte
minérale du globe. La conscience, la douleur, le plaisir ne servent à
rien. Et d'ailleurs, tout l'univers ne sert à rien. » En général, les
questionneurs ne demandaient pas leur reste.
Pour chasser
de son esprit la pensée que « tout pue », la philosophie hindoue est d'un
grand recours, en particulier la Vajracchedikâ Prajnâpâramitâ où sont
exposés les principes de la doctrine de la vacuité. Sa stance finale,
l'une des plus belles de toute la littérature bouddhique, en exprime la
quintessence sous une forme extrêmement poétique. Après qu'on l'a lue,
rien ne cocotte plus, tout sent l'eau de Cologne.
Il faut être
profondément désespéré pour trouver quelque consolation dans le vocable
jabiru. Il faut avoir rejoint Cioran « sur les cimes du désespoir ».
Être
misanthrope, c'est haïr les individus qui prononcent en public le
vocable bouillabaisse — et ne haïr pas moins ceux qui s'abstiennent de
le faire.
Dans
ses Méditations, Descartes entreprend de démontrer l'existence de Dieu à
l'aide de la « preuve par l'idée de parfait ». Il imagine un parfait au
chocolat et... — bref ; de toute façon, ça ne marche pas.
Une personne
convaincue que « rien n'est » et que « tout pue » est merveilleusement apte à
imaginer le désespoir des singes (qu'on appelle aussi araucaria).
Dans le
roman Mystères de Knut Hamsun, le personnage principal, lorsqu'on lui
demande qui il est, répond simplement : « Je suis un état de fait. »
Cette définition nous convient intégralement et épuiserait presque notre
nature (si nous avions une nature à épuiser).
Les dernières
paroles du poëte Félix Arvers : « On ne dit pas colidor, on
dit corridor. » Et de fait, on dit corridor — quand on veut parler
d'un passage couvert mettant en communication plusieurs pièces d'un même
étage, tout au moins.
S'il est une
chose à laquelle nous tenons, c'est l'authenticité au sens de Heidegger.
Nous devons donc nous résigner à l'angoisse, puisqu'elle seule, selon
Heidegger, est capable de révéler « l'être-vers-la-mort » comme modalité
essentielle d'être du Dasein. Mais c'est dur, oh, c'est bien dur !
Les individus
qui emploient le mot crustacé, on rêve de leur infliger le supplice
que Sapor Ier, roi des Perses, fit subir à l'empereur Valérien. On
aimerait les écorcher vifs et suspendre leur peau teinte en rouge aux
voûtes d'un temple.
Quand
Blaise Pascal dit que « Jésus sera en agonie jusqu'à la fin du monde »,
et qu'en conséquence, « il ne faut pas dormir pendant ce temps-là », il
pousse un peu le bouchon. Parce que l'oubli que procure le sommeil,
c'est tout ce qu'il nous reste comme consolation d'exister.
Il suffit
d'observer le monstre bipède dans la rue ou dans un coquetèle pour
s'apercevoir qu'il a tout d'un automate. Ses actes, ses paroles et ses
attitudes sont désespérément prévisibles. Et le pis, c'est que
contrairement à celui de Spinoza, cet automate n'est pas même spirituel !
Victime d'un
panaris, on trouve tout odieux, on blasphème contre le ciel, on se
désespère et, au sein même du désespoir, on goûte toute l'amertume de la
douleur. Ne manque que Sonia Marmeladova pour faire de soi un complet
« héros dostoïevskien ».
Si Spinoza
vous dit que « la gaieté est toujours bonne » et que « la mélancolie, au
contraire, est toujours mauvaise », répondez-lui : « Oh ! Oh ! Comme tu
y vas, mon ami ! »
À l'instar de
la vengeance et du gaspacho andalou, le suicide est un plat qui se
mange froid — qui devrait, en tout cas : car attention aux « fausses
queues ».
Espérer, même
un pou en est capable. Mais pour désespérer dans les règles de l'art,
il faut un certain doigté. Prenez Kierkegaard : il avait du doigté.
Pavese aussi, dans son genre.
En 1970,
touché par la détresse des petits commerçants, le négateur Émile Cioran
décide, en violation de sa doctrine de non-participation à l'être,
d'adhérer à la Cidunati de Gérard Nicoud. Il ne tarde pas à s'en mordre
les doigts (vus de près, les petits commerçants ne lui font pas bonne
impression).
L'idée
du Rien a des rapports avec l'hypne prolifère, mais elle est plus
élégante et plus filiciforme. Au surplus, elle diffère de ce végétal —
de cette « mousse cosmopolite » — par le fait qu'elle exalte
l'homicide de soi-même comme un remède à l'amertume d'exister.
On a
subordonné à la métonymie des tropes antithétiques comme la synecdoque
et l'hypallage, mais de la vie, impossible d'extraire le moindre trope :
elle est trop absurde pour qu'on puisse en tirer autre chose qu'un
sentiment d'intense dégoût.