Frédéric
Nietzsche a raison de dire que la plus grande humanité se manifeste
dans le geste d'éviter la honte à quelqu'un. Car le souvenir d'une
humiliation est comme conservé dans un régosol non tamisable, il est
voracement indélébile.
Jeune,
on envisage le monde avec anxiété, on s'imagine que la « réalité
empirique » est faite de rocs retors ; mais en vieillissant, on
s'aperçoit qu'elle n'est composée que de strates gélatineuses,
auxquelles il ne sert à rien de se heurter — sauf à vouloir attraper
un douloureux « tour de rein ».
C'est
dans les couloirs méandreux de la conscience que « le tangible se meut ».
Et où d'autre pourrait-il se mouvoir, vu qu'il est enserré tout entier
dans la pachyméninge comme dans un fromage de Hollande ?
Le
nihilique n'est pas à proprement parler un « esprit errant », mais il
n'est pas non plus un « incarné ». Il se sent entre les deux — il a,
pourrait-on dire, le prose entre deux chaises. Alors ? Le « périsprit »
sert-il chez lui de lien entre l'esprit et la matière, ou constitue-t-il
le « corps fluidique » de l'esprit ? Ou n'est-il qu'un burlesque « perlimpinpin prismatique » ?
« Rien
n'est » est un âcre constat qui n'est pas sans parenté avec la
laccolite, cette masse lenticulaire de roches magmatiques mises au jour
par l'érosion (ici, non de l'écorce terrestre, mais du « vouloir-vivre »
schopenhauerien).
Comme
les troglobies qui peuplent certaines grottes de Transylvanie, les
nihiliques sont des êtres cavernicoles possédant la singulière propriété
de n'être pas fossilisables. La lumière, l'air, la terre les
décomposent.
Celui
qui ne se sent à l'aise ni avec son époque ni avec « l'être », il peut
toujours s'enfermer dans une austère chambre palléale et se rendre saoul
à en crever.
Grâce
aux tâcherons de la modernité et du progrès, il n'y a plus aujourd'hui
de civilisation, il n'y a qu'un tourniquet décervelant. Les énantioses
profectives des maîtres de jadis, leurs chapelets panoramiques, ont été
recouverts par un déluge de rémoulade. — Une rémoulade onctueuse et
goûteuse en apparence, en réalité puissamment vomitive.
« Parcourir
les eaux du tangible à la manière d'une laimargue, ce requin carnivore
du Groenland dont les dents de la mâchoire inférieure sont plus grosses
et plus larges que celles de la mâchoire supérieure, avec des cuspides
très obliques ; vivre ordinairement entre cent quatre-vingt mètres et
sept cent trente mètres de profondeur ; être un prédateur du flétan, de
l'omble et du hareng... Ah, quel délice ! » (Les trente-trois délices de
Louis Ribémont, Trad. de Simon Leys)
La
coque du monde — la peu reluisante « réalité empirique » — est-elle
digne de pardon ? Si oui, elle est rémissible. Sinon, il ne reste qu'à
la broyer comme une pelote de laine épaisse.
L'écrivain
allemand Ernst Jünger croyait possible de découvrir le sens caché de
l'univers en observant les insectes. Mais il faut dire que d'après son
ami Gottfried Müller, il « tâtait de la chopine » plus souvent qu'à son
tour et passait dans son village (Wilflingen) pour un « bredin ».
Qui
sont ces « pâles rapaces » dont parle le poëte, ces terrifiants volucres
qui « percent nos cervelles endormies pour en détruire le suc nourricier » ? Des magistes noirs ? Des théosophes ? Des électriciens ? Ou plus
simplement... « les autres » ? (le fameux « autrui » lévinassien).
Au
dire de Basile Munteanu, Émile Cioran voyait en la femme « un amas
spongieux, plein de ces follicules palingénésiques par lesquels le
calvaire de l'humanité perdure et ne s'use point ». Mais, toujours
d'après Munteanu, il n'osa jamais confier cette pensée à Simone Boué,
car celle-ci « avait la tête près du bonnet » et le penseur des Carpates « était obligé de filer doux ».
Quand
on le laisse faire, le réel produit des déchets contingents qui
s'accumulent en grumeaux et finissent par boucher nos « portes de la
perception » !
Bien
que pulvérin et néocore soient deux substantifs — le premier
désignant une poudre très fine dont on se servait pour l'amorçage des
armes à feu, le second une ville que les Romains consacraient à une
divinité —, il est admissible de parler de « l'acide labeur des
pulvérins néocores qui s'emploient à éteindre le feu de l'âme ». Certes,
cela ne veut pas dire grand chose, mais ça sonne bien.
« J'apprends
avec stupéfaction que dans certains milieux, se jaccardiser est
devenu synonyme de commettre l'homicide de soi-même. » (Stylus Gragerfis, Journal d'un cénobite mondain)
Pour
accéder à l'infini infundibuliforme, il faut d'abord ouvrir les valves
de l'invisible, ce qui n'est pas une mince affaire. On peut y arriver
par exemple en criblant lesdites valves de ces particules dénégatrices
dont est chargée l'idée du Rien (un peu comme on utilise un canon à
positrons pour simuler les jets d'antimatière des trous noirs).
S'il
faut en croire Buffon, le bec du pélican — et particulièrement celui
de l'espèce dite gloméruleuse — serait capable d'exciser les « membranes laborieuses du temps ». Mais les savants d'aujourd'hui
estiment plutôt que cette prouesse est à la seule portée des gibbons
(bien que ces derniers soient dépourvus de bec).
De
tout temps, la cervelle philosophique s'est cru panoptique — les « amis de la sagesse » n'ayant jamais brillé par leur modestie. Mais
panoptique ou non, il ne s'en est jamais échappé qu'une mixture puante.
Quand
il était frappé de « constipation conceptuelle opiniâtre », le philosophe
Heidegger buvait un grand bol d'eau salée car d'après les Anciens, « c'est de l'eau salée que sont émanées toutes choses » (donc aussi les
concepts).
Au
dire de son compatriote Basile Munteanu, Émile Cioran ne sortait dans
la rue que par masochisme et, quand il faisait trop chaud, pour « baigner
sa face jaunie dans les vents carnassiers ».
« Étang
de Soustons, deux heures de l'après-midi. Je mangeais une biscotte
confiturée. Et tandis que je mâchais laborieusement, il m'apparut
qu'être et non-être s'étaient entendus secrètement — les misérables ! — pour nuire au Dasein et à moi tout spécialement. »
En
mécanique quantique, un boson est une particule de spin entier qui obéit
à la statistique de Bose-Einstein. Parmi les bosons, les plus
remarquables sont les gluons, ces corpuscules responsables de
l'interaction forte. Ils tiennent les quarks ensemble en les liant très
fortement pour empêcher que la « réalité empirique » ne se désagrège !
L'absolu
ténébreux n'est qu'une idée. Pas même une sauce, juste une idée — qui
souffle dans le vacuum et s'infiltre dans le bocal des suicidés
philosophiques (exemple : Nerval).
Les
argyraspides, ces fantassins d'élite de l'armée macédonienne au temps
des conquêtes d'Alexandre, étaient agiles et endurants, ils battaient
sans se lasser les territoires du non-sens, mais ils ont montré une
certaine déloyauté envers les Diadoques.
Les
mots (les vocables) rappellent un tant soit peu les périboles des
anciens palais : ils sont une enceinte sacrée et ils introduisent à
quelque chose, mais à quoi ? Au cœur du processus de l'âme ? Ou
peut-être, plus simplement, à l'ampleur catastasique de sa trajectoire ?
Les « organes » (cerveau, cœur, rate, estomac, etc.) ont certainement une
utilité, mais ils sont aussi et surtout « les arcanes branchus de notre
déchéance ».
“Achingly
beautiful ! Coruscating ! Wickedly funny ! Delaunay's Glomérules holds the
reader's attention in an iron grip. It will appeal to the serious
scholar and general reader alike. A stunning debut !”
“Glomérules
is a groundbreaking achievement, impeccably researched and brilliantly
argued. Fernand Delaunay's work is accessible but also comprehensive,
really turning the topic on its head and taking an unflinching look at
the concept of taupicide. This is an ambitious and timely piece that
absolutely cannot be ignored.”
“A
rollicking good time ! Fernand Delaunay is known for his razor-sharp
wit, and Glomérules is no exception. Hilarious and thought-provoking,
this book had me laughing out loud from beginning to end. An absolute
delight, compulsively readable. I can't wait to see what Fernand
Delaunay does next.”
L'homme
du nihil en a soupé des « événements » et de l'inattendu. Il est
possible, comme l'a prétendu Héraclite, que la vie soit dans le
mouvement. Mais la vie, justement, c'est ce qui le rend malade. Il
n'aspire qu'à se dissoudre dans « les frimas languissants d'une routine
en forme de gluon ».
Quand
on trouve la chair triste, on se tourne vers les livres, mais une fois
qu'on les a tous lus ? On est dans de beaux draps. — Heureusement, il y
a le taupicide.
Une
femme qui veut être aimée « pour sa personnalité », nous ne pouvons que
lui souhaiter bonne chance. Mais après tout, il y a bien des zozos qui
aiment les reptiles (les herpétophiles, comme cela s'appelle), alors
tout est possible.
« Alors ? Qu'est-ce qu'ils ont dit ? — Pas grand chose. Juste “Frère, il faut mourir”. — Les salops. Mourir, hein ? Ça ne va pas se passer comme ça ! »
On
peut être misanthrope et avoir un bon fond. Souvent, l'homme du nihil
pense aux malheureux bipèdes qui, dans un dénuement extrême, sillonnent
comme lui le « désert de Gobi de l'existence ». Il leur exprime sa
compassion et sa sollicitude. Il serait prêt à faire don de sa personne
pour atténuer leur malheur, mais il ne sait pas à quoi ni à qui.
Alors
même qu'il n'était pas de Cappadoce puisque originaire de Bezons,
l'homme du nihil rêvait de rejoindre Grégoire de Naziance, Basile de
Césarée et Grégoire de Nysse dans le petit groupe ultraselect des « pères
cappadociens ».