« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
lundi 28 mai 2018
Un challenge sportif pour créer du lien
« La première épreuve du challenge sportif mis en place sur la commune nouvelle de Montcuq-en-Quercy-Blanc se déroulera ce samedi 18 juin, à 18 heures, à Belmontet, à l'occasion de la fête votive. Elle fait partie des trois courses pédestres prévues dans les villages de Belmontet-Valprionde, Lebreil-Sainte-Croix et Montcuq.
Les tracés ont été délimités par une équipe organisatrice composée de bénévoles. Chacun des trois parcours fait un peu plus de 5 kilomètres. Pour participer à ce challenge amical et plein de bonne humeur, des équipes doivent se former et s'engager. Elles seront composées de trois coureurs et de trois marcheurs qui pourront changer d'une course à l'autre, l'essentiel étant que l'équipe soit représentée. Ces équipes pourront se constituer par corporation ou par profession, par village, famille, regrouper des voisins ou des amis, sans aucun esprit de compétition. Le but est de créer du lien entre les habitants.
Pour éviter toute notion de performance, c'est le temps du plus mauvais coureur qui sera retenu. Tous les kilomètres, une question concernant la philosophie heideggérienne — "définissez le concept d'Ereignis" ; "comment appelle-t-on le mode d'être des choses intra-mondaines qui ne sont pas des Dasein et qui se contentent de se trouver là ?" ; "l'être-au-monde est-il une relation unitaire et insécable ?" — sera posée aux marcheurs. Chaque bonne réponse signifiera un bonus pour le coureur. Celui qui donnera une mauvaise réponse, en revanche, sera sommé de se convaincre que la différence ontologique ne désigne pas simplement la dissociation de l'être et de l'étant, mais cette dissociation considérée en ce que l'étant n'est lui-même en tant qu'étant (et non pas tel ou tel) qu'à la faveur d'une lumière venue d'ailleurs, mais qui brille en lui par son absence — celle de l'être.
Les bulletins d'inscription sont disponibles à — révérence parler — l'antenne de Montcuq de l'office de tourisme en Quercy blanc. » (La Dépêche, 18 juin 2016)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
Accès de scepticisme grec
26 juillet. — Au réveil, pris d'un violent accès de scepticisme grec. J'en viens à ne plus même savoir s'il est possible de savoir quelque chose. Craignant de tomber dans des positions relativistes ou — horresco referens — nihilistes, je me jette sur les Topiques d'Aristote. Le soulagement est quasi immédiat et je puis vaquer à mes occupations ordinaires sans avoir à « suspendre mon jugement » à tout bout de champ.
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
Gluance molle
Dans Crime et châtiment, Sonia Marmeladova, dont le nom évoque irrésistiblement la crème de marron, est si collante qu'elle s'attache à Raskolnikov « comme le suicidé philosophique à son revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe ».
Se trouve ainsi confirmée l'intuition décisive de l'homme du nihil, à savoir que « la crème de marron, c'est plus commun [que le vouloir-vivre schopenhauerien], mais ça tient bon ».
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Concision
L'homicide de soi-même, quand il est bien mené, a cette merveilleuse brièveté de style qui caractérise les ouvrages de Salluste.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Concepts urticants
« Chacun sait que le contact d'un philosophe produit une sensation urticante et visqueuse qui est sinon douloureuse du moins désagréable. L'urtication, la viscosité de "l'ami de la sagesse" sont dues à une foule de petits corps, les "concepts", dont le philosophe, sous l'attouchement qu'il a subi, s'est immédiatement hérissé. La plus grande prudence est donc de mise lorsqu'on approche un philosophe. » (Auguste Prenant, Traité d'histologie, Tours, Arrault, 1904)
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
L'être chez Kant et Bergson
« Drôle de réveil pour un détenu espagnol de la prison de Villabona (Asturies). Gonzalo Montoya Jiménez avait tenté de se suicider en prenant des médicaments et s'est finalement réveillé à la morgue sur la table d'autopsie. Son décès avait pourtant été constaté successivement par trois médecins.
"La première chose dont il se souvient est qu'il était dans un sac noir. Comme il ne pouvait pas parler, il a commencé à pousser des petits cris. Le médecin l'a entendu. Il a ouvert le sac. Mon mari a commencé à crier et à sortir ses bras du sac", a raconté sa femme à la Voz des Asturias. Pour expliquer leur erreur, les médecins ont avancé l'hypothèse d'une catalepsie.
Gonzalo Montoya Jiménez a contracté une pneumonie dans la chambre froide mais son état n'est plus inquiétant. Il s'agissait de sa troisième tentative de suicide. À chaque fois, il a pu être miraculeusement sauvé.
Selon son épouse, c'est le kantisme qui a fait naître chez Gonzalo ce désir compulsif de se détruire, en le persuadant que l'expérience ne nous livre que ce qui est relatif à nos facultés de connaître et ne nous permet pas d'accéder à la réalité en soi, de percer les secrets de l'être. Elle assure lui avoir répété maintes fois que, selon Bergson, c'est par fausse modestie que nous nous prétendons coupés de l'être et croyons ne pouvoir atteindre que du relatif, il n'a jamais rien voulu entendre.
Peut-être sera-t-il maintenant plus réceptif à ses arguments ? » (La Dépêche, 10 janvier 2018)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Ils t'ont pas épousée (Raymond Carver)
Earl Ober, représentant de son métier, était momentanément sans emploi, mais Doreen, sa femme, avait trouvé une place de serveuse dans l'équipe du soir d'une cafétéria des faubourgs où l'on pratiquait les trois-huit. Un soir qu'il buvait, Earl décida de passer à la cafétéria pour manger un morceau. Il voulait voir l'endroit où Doreen travaillait, voir aussi s'il pourrait s'envoyer quelque chose aux frais de la princesse.
Il s'installa au comptoir et étudia la carte.
— Tiens, qu'est-ce que tu fais là ? dit Doreen en l'apercevant.
— J'essaie d'égaliser les points de vue de l'être substantiel et du soi fini, dit Earl. C'est ce que Fichte appelle la synthèse quintuple.
— Oh, je vois. Et qu'est-ce que tu vas prendre, Earl ? dit-elle.
— Donne-moi un café et un de ces sandwichs « numéro deux ».
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
Association d'idées
Juin flamboie. Étendu dans une prairie en fleur, le suicidé philosophique rêve au bord d'une eau charmante de lenteur où les brins d'herbe font des arches d'émeraude. Son regard observe l'araignée à l'affût dans ses fils et la ciguë avec sa blanche ombelle où bouge un insecte luisant et rond.
La ciguë ! À peine ce mot s'est-il formé dans son « conscient intérieur » que la pensée de l'homicide de soi-même le poigne. Adieu ruisseau, argyronète, adieu insecte luisant et rond ! Seul subsiste en son esprit le sentiment de légèreté qui est la mort même ou, mieux dit, l'instant de sa mort désormais toujours en instance.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Période de doute
Mobilisé en 1917 malgré son « épilepsie transcendantale », Heidegger est affecté au service météorologique de l'armée à Verdun (il est chargé de surveiller l'anémomètre).
Pendant cette période où la routine de son service l'empêche de « créer des concepts », Heidegger se sent devenir hébéphrénique et cherche désespérément à se prouver à lui-même qu'il existe. Quand on l'interroge sur la réalité de son Dasein, il ne peut que répondre, avec défiance et en hésitant : « Il est probable que je suis ».
À partir de 1918, il s'éloigne du catholicisme, se met à lire Luther et affirme son indépendance, en tant que philosophe, par rapport à toute religion.
Il se voit toujours comme un phénoménologue et ne se déplace jamais sans sa loupe et son carnier.
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
dimanche 27 mai 2018
Amputation
« Je crois qu'il n'est pas permis d'enlever les quatre derniers orteils en laissant subsister le premier ; il me semble qu'il serait plus nuisible qu'utile à la marche. » (J. Lisfranc, Précis de médecine opératoire, Paris, 1846)
C'est aussi ce que pense le suicidé philosophique, qui décide d'y aller « franco de port et d'emballage » et de ne pas faire de quartier en s'attaquant à son Moi.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Le remède à tant de maux
« Un prisonnier resserré dans un estroit cachot, priué de la lumiere du iour, enchaisné, & garotté de tous costez, ne respire qu'apres sa liberté : & nous qui sommes en ceste mortelle prison, entrauez à la cadéne de tant d'infirmitez, subiects à tant de douleurs, nous cherissons cet esclauage, & n'auons rien en plus grande horreur que nostre deliurãce : en ce mortel exil nous sommes subiects à mille & mille incommoditez, bastantes de nous faire abhorrer cette vie : & neantmoins nous craignons la mort, vray et singulier remede à tant de maux. »
(Les diuersitez de Messire Iean Pierre Camus, Euesque & Seigneur de Belley, Paris, Cl. Chapelet, 1612)
Sortir du moment dialectique
Exténué par le commerce des idéalistes allemands, l'homme du nihil recherche la paix de l'âme dans la contemplation des moineaux sur la neige, d'une théorie de tortues, d'un vol de canards sauvages, d'une touffe de roseaux. Mais la dissolution dialectique des concepts abstraits a laissé ses nerfs à vif : une tache, une ombre, et l'absolu le terrasse !
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Vaincre la solitude du Dasein
« Vous avez plus de cinquante ans, vous avez besoin de convivialité, de dialogue, de liens amicaux...Vous voulez sortir de la solitude...Vous aimez les jeux, les sorties, les échanges... Alors venez rejoindre le club Accueil et Amitié.
Parties de cartes, scrabble, jeux de société autour d'un café, d'un chocolat ou d'un verre de taupicide dans une ambiance conviviale.
Club Accueil et Amitié, 76 Impasse Haute de Quaire, 63150 La Bourboule. »
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Suicide d'un chien
Dimanche vers 10 h, les passants à la hauteur du 19 rue Georges Clémenceau à Romorantin ont eu la surprise de voir un chien sauter du deuxième étage de l'immeuble et s'écraser sur la chaussée, dix mètres plus bas.
Ce drame, constaté quelques instants plus tard par les gendarmes, résulte de l'inconscience de sa propriétaire de 32 ans, bourrelle irresponsable et sous curatelle renforcée. La jeune femme, trouvant qu'il faisait trop chaud dans son petit logement, abandonnait ses animaux sans soins pour rejoindre des amis habitant une maison plus agréable en été !
Les gendarmes ont trouvé dans son appartement un chat, une deuxième chienne de race berger allemand, ainsi qu'un chaton d'un mois qui s'était réfugié dans un placard. D'après les premières constatations effectuées par la gendarmerie, le désespéré, un berger suisse de couleur blanche, aurait cassé un carreau et forcé les volets fermés pour fuir la situation intenable qui régnait dans la chambre où s'accumulaient depuis un mois déjections et urine de ces quatre animaux enfermés par forte chaleur et sans eau.
Seul aspect positif de cette triste affaire : elle discrédite définitivement la thèse de l'ontologue Heidegger qui soutenait que l'animal est « pauvre en monde » parce que « ses inhibitions le cloisonnent dans une dépendance pulsionnelle panique et aliénante ». On voit au contraire que, comme le Dasein, l'animal ressent la présence d'une absence, d'un vide, d'un creux, donc d'une porosité au sein de son être. Et la privation d'être qui permet le contingent, ce n'est rien autre chose que la trace de la finitude, la conscience qu'a l'étant existant de son être-pour-la-mort, autrement dit le néant. (Le Petit Solognot, 19 juillet 2017)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
Théorème d'arrêt de Doob
Le théorème d'arrêt de Doob, dû à Joseph Leo Doob, est un résultat important en théorie des probabilités : il permet par exemple à l'homme du nihil de déterminer avec une marge d'erreur très faible le moment idéal où « arrêter les frais ».
Il utilise pour ce faire la notion de martingale qui est une sorte de demi-ceinture placée dans le dos d'une capote ou d'un manteau pour marquer la taille, dont on peut aussi, quoiqu'elle soit un peu courte, se servir pour se pendre.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Aux fines herbes
Le 9 août 1896, après plus de deux mille essais de vol plané, Otto Lilienthal perd le contrôle de son planeur et tombe de dix-sept mètres de hauteur. Il meurt peu de temps après, à l'âge de quarante-huit ans, en prononçant ces derniers mots : « Opfer müssen gebracht werden ! » (Il faut qu'il y ait des victimes !)
En effet.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Contre le suicide
L'hypothétique de cette existence tempère ma hâte d'y mettre fin.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Plus jamais mal aux dents
Quand il s'agit d'un remède contre les maladies, on ne saurait être trop défiant, surtout quand le remède est inusité, extraordinaire, ou peu en accord avec les principes admis. Mais de ce qu'il est inusité et extraordinaire, il ne s'ensuit pas qu'on doive le rejeter !
Or, si l'expérience démontre qu'en certains cas, des maladies graves telles que l'haeccéité ont cédé à la puissance du revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe, cela prouve que cet instrument est utile. — Ou bien ?
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Zouaverie philosophique
Lorsque le professeur Tournesol, courroucé au delà de toute expression, entraîne le capitaine Haddock à travers le centre spatial de Sbrodj et, lui désignant un groupe de philosophes occupés à extruder des concepts, s'exclame : « Et ces gens-là, ils font aussi les zouaves, sans doute ? », il ne croit pas si bien dire. Car ces « amis de la sagesse », comme tous ceux qui les ont précédés, s'escriment en vain à disséquer la réalité empirique : tout ce qu'ils parviennent à produire, c'est de la « catalepsie conceptuelle ». Autrement dit, sous couvert d'idéalisme, de nominalisme ou d'empirisme logique, ils « font les zouaves ».
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Souvenir de vacances avec le Moi
Je me souviens d'un long moment où je restai seul avec mon désastreux camarade, une certaine année, au bout du verger, face au flanc abrupt du Salève, dans l'entourage du Chaffardon. J'entends encore l'entrechoc des boules sur le rectangle de gazon qui s'étendait devant la maison, les rires, le timbre des voix.
Déjà, in petto, ma pensée était de le détruire.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
samedi 26 mai 2018
Passagers (Tobias Wolff)
Glen quitta Depoe Bay quelques heures avant le lever du soleil pour échapper aux embouteillages et il se trouva noyé dans un épais brouillard ; il devait se pencher et faire marcher les essuie-glaces pour distinguer la route. Bientôt, l'effort constant et le rythme hypnotique des essuie-glaces le plongèrent dans l'hébétude, et il sortit vers une station-service pour s'asperger la figure et se payer un café.
Il complétait son plein d'essence en écoutant le grondement des vagues sur la plage de l'autre côté de la route quand une fille sortit de la station et commença à nettoyer son pare-brise. Elle avait des mèches décolorées et portait des bottes montantes à talons hauts par-dessus son blue-jean.
Quand elle eut fini, il lui tendit sa carte de crédit, mais la fille rit et lui dit qu'elle ne travaillait pas là.
— « En fait, dit-elle, j'étais en train de me demander vers où tu allais.
— Vers le nord, dit Glen. Seattle.
— Quelle coïncidence ! fit-elle C'est là que je vais, moi aussi.
— Il n'y a pas plus de coïncidence que de beurre au prose, dit Glen. Tout est coïncidence et tout est nécessaire. Aucune explication ne dissipe le sentiment de hasard qui suit, comme son écho, l'intuition que le monde est à la fois étrange et explicable, injustifiable et impérieux, nécessaire, mais sans pourquoi. L'énigmatique absence de mystère est une invitation permanente à nous livrer en aveugles au hasard qui nous entraîne, comme on accorde à la vie le bénéfice du doute. "Le caractère général du monde, écrit Nietzsche, est de toute éternité chaos, non pas au sens de l'absence de nécessité, mais au contraire au sens de l'absence d'ordre, d'articulation, de forme, de beauté, de sagesse, et de tous nos anthropomorphismes esthétiques quelque nom qu'on leur donne..."
— Mon vieux, tu m'as l'air d'un drôle de zigue ! On croirait entendre cette cloche de Raphaël Enthoven. Je crois que je vais plutôt aller à pied. »
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
Espérance marcellienne
« Plonger en pleine nuit dans la Manche, tout habillé et équipé d'un gilet pare-balles, pour sauver un homme à la dérive : c'est ce qu'a vécu un gendarme normand lundi soir, tard, sur une plage de Pirou (Manche).
Il est presque minuit, ce soir-là, lorsque Stéphane Durieux et David Lepreux patrouillent sur la côte. Les sapeurs-pompiers leur signalent un homme à la mer, "désespéré, agressif et alcoolisé, voulant mettre fin à ses jours". Quand ils arrivent sur place, les forces de l'ordre découvrent les pompiers en train de scruter la mer avec des lampes de poche. Les sauveteurs en mer ne sont toujours pas là.
"Quand les sapeurs-pompiers m'ont dit qu'ils avaient la sensation que plus ils criaient, plus l'homme s'éloignait, je n'ai pas réfléchi", a raconté le héros d'une nuit, Stéphane Durieux, 51 ans. Il se débarrasse de son arme, de son ceinturon et de son téléphone portable et se jette à l'eau, malgré ses lourdes chaussures et son gilet pare-balles. "Ça s'est fait comme ça, à l'instinct. Je me suis dit qu'il fallait que j'y aille, je ne pouvais pas laisser un homme se noyer sous mes yeux."
Un instinct qui aura permis de sauver une vie. À environ cent mètres du bord, le gendarme attrape le désespéré bien décidé à en finir et parvient à le ramener sur la terre ferme. "Je lui ai dit mon prénom, j'ai tenté de le rassurer, de lui parler, je lui ai rappelé que l'espérance, chez Gabriel Marcel, se présente comme l'expérience d'un avenir qui n'a pas été encore vécu et qui se donne comme inobjectivable", confie-t-il.
Le jeune homme, âgé de 27 ans, sera pris en charge par les pompiers et transporté à l'hôpital de Coutances.
"Je suis fier de ce que j'ai fait, glisse Stéphane Durieux. J'espère que, comme Gabriel Marcel, l'homme que j'ai sauvé sera désormais habité par une assurance invincible : fondée sur l'amour, l'espérance doit triompher du désespoir". » (Le Parisien, 9 août 2017)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Silure phénoménal
À l'automne 1916, à sa grande joie, Heidegger devient l'assistant personnel de Husserl, qui vient d'être recruté à l'Université de Fribourg et dont il partage les réflexions et les recherches sur la phénoménologie.
Les deux hommes s'entendent bien et partent souvent à la pêche aux phénomènes sur le lac de Constance, dans un puissant canot à moteur que Husserl s'est acheté avec les droits d'auteur de sa Philosophie de l'arithmétique. Un jour, Heidegger attrape un silure de près de soixante kilos, ce qui lui vaut l'honneur de passer dans le journal.
Cependant, il se détache rapidement de l'enseignement de son maître, dont les Recherches logiques lui paraissent de plus en plus scabreuses. Progressivement, il reprochera à Husserl son tournant vers une philosophie de la subjectivité transcendantale et plus encore son cartésianisme.
Au dire de Hans Cornelius, dans les controverses philosophiques qui opposaient de plus en plus fréquemment les deux hommes, « Husserl privilégiait les armes du logos, tandis que Heidegger se servait d'un bélier suspendu, composé d'une forte poutre, armée à son extrémité d'une masse de fer : en donnant à cette poutre un mouvement oscillatoire dans un plan horizontal, il parvenait à produire des chocs violents qui ébranlaient les concepts de son adversaire ».
Mais peut-on croire un original tel que ce Cornelius, qui prétendait que « les hommes ont perdu la faculté de reconnaître le divin en eux-mêmes et dans les choses », que « leur vie s'écoule de façon insensée », et que « leur culture commune est creuse et va s'effondrer car elle ne mérite rien d'autre » ?
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Conseil au philosophe
« Épluchez votre cervelle, c'est-à-dire ôtez le sang caillé, la petite peau et les fibres qui renferment la cervelle ; vous la mettrez dégorger dans de l'eau tiède pendant deux heures, pour bien en éliminer toute trace de concept, après vous la ferez cuire entre des bardes de lard, deux feuilles de laurier, des tranches d'oignons, des carottes, un bouquet de persil et ciboule, un verre de vin blanc et du bouillon ; après qu'elle a mijoté une demi-heure au feu, égouttez-la; mettez du beurre noir dessous, et du persil frit dans le milieu. — Vous êtes prêt à aller dans le monde. » (A. Viard, Le cuisinier impérial ou L'art de faire la cuisine et la pâtisserie pour toutes les fortunes, Barba, Paris, 1808)
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Sortie de l'être
L'antipathie que nourrissait Levinas à l'endroit de Heidegger ne venait pas, comme l'a prétendu Gabriel Marcel, de ce que le métaphysisien wurtembourgeois « sentait fort du Dasein », mais tenait plutôt au fait que l'ontologie heideggerienne constituait, selon Levinas, une négation de la subjectivité humaine, à laquelle le « métaphysicien d'autrui » était quant à lui viscéralement attaché.
Pour se démarquer de Heidegger, Levinas résolut donc de donner comme fil conducteur à sa pensée la « sortie de l'être », mais cela tourna vite au fiasco. Ainsi, quand Levinas, pour convaincre l'homme du nihil que la vie humaine ne se résume pas à un tragique « aller vers la mort », prétendit que « nous vivons de bonne soupe, d'air, de lumière, de spectacles » et que « les choses dont nous vivons ne sont pas des outils, ni même des ustensiles au sens heideggerien du terme » mais que « ce sont toujours, dans une certaine mesure, objets de jouissance, s'offrant au goût, déjà ornées, embellies », il ne s'attira en retour que des sourires narquois.
Le concept de « sortie de l'être » n'est certes pas pour déplaire à l'homme du nihil, mais comparer la vie à une « bonne soupe », non, tout de même !
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Théorème d'élimination des coupures
Le théorème d'élimination des coupures (ou Hauptsatz de Gentzen) a été prouvé par Gerhard Gentzen en 1934 dans son article « Investigations in Logical Deduction » pour les systèmes formalisant les logiques intuitionniste et classique. Il dit que si l'on peut prouver une déclaration dans le calcul des séquents en faisant usage de la règle de coupure, alors cette déclaration possède aussi une preuve sans coupure.
Ce théorème fut toutefois impuissant à sauver le peintre Mark Rothko — qui l'ignorait sans doute. Devenu hypochondriaque, et n'en pouvant plus d'être classé parmi les représentants de l'expressionnisme abstrait américain, catégorisation qu'il jugeait « aliénante », Rothko se suicide début 1970 à New York.
Le 25 février, son assistant trouve le peintre dans sa cuisine, allongé, mort, couvert de sang, devant l'évier. Il s'était tailladé les bras au-dessus de l'articulation des coudes avec un rasoir !
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Grands moyens
Un homme de 51 ans s'est donné la mort de manière particulièrement atroce, hier lundi.
Le drame s'est produit dans le Loir-et-Cher, à Lamotte-Beuvron, sur le chemin de Maisonfort situé au bord de l'ancien canal de la Sauldre. Il était environ 9 h 30 du matin.
Francis D., selon la lettre qu'il a laissée, ne supportait plus sa condition d'« être-vers-la-mort », ce mode d'être mis en évidence par l'illustre ontologue Heidegger dans l'analytique existentiale d'Être et Temps, qui implique un « pouvoir-mourir » vécu par le Dasein comme une attente craintive de son anéantissement.
Francis D. semble avoir préparé froidement et méticuleusement son suicide, ne laissant rien au hasard pour en assurer la réussite.
Selon l'enquête des policiers, il s'est passé autour du cou une chaîne dont il avait préalablement attaché une extrémité à un poteau situé sur le trottoir. Le désespéré est ensuite monté dans sa voiture, une Honda, avant de démarrer brutalement. Sous le choc, son cou n'a pas résisté et la décollation a été immédiate.
Les policiers, prévenus par des riverains qui trouvaient suspect le manège de l'homme, sont arrivés sur les lieux trop tard et n'ont pas pu l'empêcher de commettre son geste fatal. (La Nouvelle République, 2 septembre 2014)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
vendredi 25 mai 2018
Pessimisme encore
« Les affects particulièrement déplaisants, qui font de qui les éprouve un pessimiste, ne se font sentir d'ordinaire que dans les états morbides : la maladie, le réveil qui suit un cauchemar, la constipation, etc. ; cela dit, il y a pas mal de gens dont toute la vie n'est rien autre chose qu'un état morbide. » (Ladislav Klima, Le monde comme conscience et comme rien)
Oh ! Oh ! Comme tu y vas, mon ami !
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
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