« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
samedi 15 septembre 2018
Éloge du néant
« Les Bramènes asseurent que le monde n'est qu'une illusion, un songe, un prestige ; et que les corps, pour exister véritablement, doivent cesser d'estre en eux-mesmes, et se confondre avec le néant, qui par sa simplicité fait la perfection de tous les estres... Ils poussent si loin l'apathie ou l'indifférence, à laquelle ils rapportent toute la sainteté, qu'il faut devenir pierre ou statue, pour en acquérir la perfection. Non seulement ils enseignent que le sage ne doit avoir aucune passion ; mais qu'il ne lui est pas permis d'avoir mesme aucun désir. De sorte qu'il doit continuellement s'appliquer à ne vouloir rien, à ne penser à rien, à ne sentir rien, et à bannir si loin de son esprit toute idée de vertu et de sainteté, qu'il n'y ait rien en lui de contraire à la parfaite quiétude de l'âme. C'est, disent-ils, ce profond assoupissement de l'esprit, ce repos de toutes les puissances, cette continuelle suspension des sens, qui fait le bonheur de l'homme. » (Charles le Gobien, Préface de l'Histoire de l'édit de l'empereur de la Chine en faveur de la religion chrestienne, 1698)
Dans son Journal d'un cénobite mondain, Gragerfis assure « n'avoir jamais rien lu d'aussi exaltant ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Par surcroît
L'homme ne possède-t-il qu'une âme et un corps, n'a-t-il pas aussi dans sa luxueuse besace l'excrément qui n'est ni l'un ni l'autre ?
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Un vorace voïvode
Le temps convoite ma pachyméninge, et d'autres encore de mes viscères.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
De Charybde en Scylla
À l'instar du lieutenant Pirogov qui, chez Gogol, oublie en mangeant des pâtés lorrains 1 la « dégelée » qu'il a reçue d'un mari trompé, le sectateur du Rien cherche l'apaisement de ses douleurs nihiliques dans la goûteuse et fort onctueuse musique de Schumann. Mais ce « perlimpinpin prismatique » (Jutique) s'avère aussi redoutable que le cratère funèbre du vide qu'il cherchait à fuir, et finit par l'engloutir tout entier !
1. Les pâtés lorrains renferment, dans une enveloppe de pâte feuilletée croustillante à souhait, une farce à base de porc mariné.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
vendredi 14 septembre 2018
Soupault
Nous nous réunîmes à l'heure habituelle, et le Bohémien, étant de loisir, continua sa narration en ces termes :
« Né à Chaville le 2 août 1897, Philippe Soupault rencontre Aragon et Breton avec qui il fonde la revue Littérature en 1919. »
Lorsque le Bohémien en fut à cet endroit de sa narration, on vint lui dire que les affaires de sa horde exigeaient sa présence. Je me tournai vers Rébecca et lui dis que nous avions entendu le récit d'aventures extraordinaires qui cependant avaient toutes été expliquées d'une manière naturelle.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
L'angoissante randonnée du « Suisse »
Dans toute l'odyssée de l'excrément, on retrouve cette angoisse intérieure qui se nourrit et se détruit de son propre mouvement, « forcée pour durer à manger sa propre durée, comme le catoblépas mangeait sa propre chair. » Elle imprègne ces lieux de passage, ces couloirs, ces galeries mal éclairées où il transite, ces boyaux qui évoquent tout à la fois l'atelier du Tintoret et une pérégrination étouffante.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Ascétisme et articulations ginglymoïdes
On dit — mais cela est-il vrai ? — que saint Colomban, anxieux de surclasser les ascètes de son temps, en arriva à faire 12 000 génuflexions par jour. Tout ce qu'il en retira, s'il faut en croire l'abbé Pétin 1, fut « une tuméfaction très-considérable du genou et des ligaments très-distendus ». La contraction des muscles fléchisseurs était si forte que la jambe formait avec la cuisse un angle droit, et restait invariablement fixée dans cette position !
1. Dictionnaire hagiographique, Paris, 1850.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Introuvable possible
L'homme du nihil est parfois tenté d'imiter le philosophe danois Søren Kierkegaard et d'aller, vêtu d'un caleçon long, par les cités et par les places, des viandes et des poissons pendus à son cou, en criant : « Du possible ! Du possible, sinon j'étouffe ! »
Mais à quoi bon « faire le zouave », puisque du possible, ici-bas, il n'y en a « pas plus que de beurre au prose »...
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Vains conseils
Celui que la pensée du suicide taraude, c'est en pure perte qu'on lui recommandera l'amour du travail, la sobriété en toutes choses, la propreté, la plus grande attention à se vêtir selon les diverses saisons de l'année ; qu'on lui ordonnera les voyages, l'équitation, l'horticulture, une vie très régulière ; qu'on lui offrira toutes les consolations de l'amitié. Il finira tôt ou tard par se jeter dans un puits busé ou par s'asphyxier en se claquemurant dans un sac en papier.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Orang-outan
Le lendemain matin, le Juif errant était en vue ; il descendait la montagne à grands pas. Arrivé près de nous, le malheureux vagabond jeta un regard meurtrier sur le cabaliste ; mais remarquant qu'il ne pouvait se dérober, il se mit comme d'habitude entre moi et Velasquez, se tut un instant, puis reprit son récit en ces termes :
« Les orangs-outans sont de grands animaux roux, à douze paires de côtes, à bras extrêmement longs. On a cru longtemps qu'ils étaient, de tous les animaux existants, ceux qui se rapprochent le plus de l'homme ; mais les savants d'aujourd'hui estiment plutôt que ce sont les gibbons. »
Sur ce, le vagabond disparut dans une gorge proche.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Révélation
« Et assis là, sur mon thomas, je compris combien l'acte défécatoire était important, combien il m'était nécessaire de pouvoir accomplir quotidiennement le cathartique "Grand Œuvre". Dans l'apothéose excrémentitielle, l'univers explosait, chacune de ses particules s'écartait des autres, nous lançant, le "Suisse" et moi, dans un espace obscur et désert, nous arrachant éternellement l'un à l'autre, chacun suivant son chemin vers la cage ultime de la mort solitaire. »
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Cataclysmologie
Je scrute en autrui les multiples formes du désastre existentiel.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Tête de cheval
Dans certains pays, jusqu'à une époque récente, la tête de cheval passait pour protéger l'espèce humaine. Ainsi, dans la région d'Arkhangelsk, on la plaçait sur le poêle, convaincu qu'elle allait éloigner les miasmes pestilents. Au solstice d'été, dans la Russie centrale, on jetait une tête de cheval sur un brasier ardent pour s'immuniser contre les maléfices des sorciers, ces « pernicieux fils de la nuit » (Gragerfis). Chez ces peuples, la tête de cheval représentait le soleil, vu comme une divinité bienfaisante, aux vertus salutaires.
L'écrivain Otto Weininger, en revanche, voyait quelque chose de sinistre et de profondément malsain dans ce morceau d'anatomie du « bourrineau ». Ne prétendait-il pas avoir constaté, chez plusieurs individus redoutant la folie, « une parenté morphologique avec la tête de cheval » !
L'ambivalence de cette tête de cheval confirme l'intuition décisive de l'homme du nihil, à savoir que « tout est une question de point de vue » et que la connaissance est un terrain mou, marécageux, et plein de roseaux.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
jeudi 13 septembre 2018
Instants de grâce
Comme l'agonie, le processus naturel de la défécation peut se dérouler sans souffrance : il y a des étrons instantanés. Dans ce cas, le phénomène n'a pas le temps de parvenir à la conscience. Il peut consister en un affaiblissement du « boyau culier », ou se produire pendant le sommeil, auxquels cas on ne le remarque pas, ou à peine.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Alpinisme nihilique
Cependant nous arrivâmes au gîte, et Rébecca pria le duc de vouloir bien continuer à l'instruire de son système. Il donna quelques instants à la réflexion, ensuite, il commença en ces termes :
« Je me souviens de l'existence comme d'un portement de croix au milieu d'un Himalaya d'immondice, d'une Alpe de charogne. »
Velasquez ajouta encore à cette comparaison quelques autres développements, dont Rébecca parut sentir toute la valeur, et ils se séparèrent, réciproquement persuadés de leur mérite.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Chasse aux nuisibles
Il serait à souhaiter qu'on pût reconnaître quel est l'aliment favori du Moi, afin de s'en servir pour l'empoisonner, comme on empoisonne les rats et toutes les espèces nuisibles. Le docteur Étienne Rufz, dans son Enquête sur le serpent de la Martinique, relate que M. Barillet, directeur du Jardin des Plantes, conservait un serpent en cage ; l'animal refusait tous les aliments qu'on lui présentait, lorsque ledit Barillet eut l'idée de mettre du lait devant lui : aussitôt le serpent en but avec avidité. — Ne serait-il pas possible de mettre à profit cette observation, en se fondant sur la similitude du Moi et du serpent, et de séduire le « sinistre polichinelle » par un coquetèle de lait et de taupicide ?
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Lettre de M. Jutique à l'auteur
Mon cher Doppelchor,
J'ai parcouru avec le plus grand intérêt les épreuves de votre ouvrage sur le Rien, et je vous en fait mes sincères félicitations.
Cette science du Rien, comme vous le dites très-bien, n'est encore qu'à l'état d'ébauche, mais votre méthode, votre travail consciencieux, contribueront certainement à ses progrès.
Vos observations personnelles en éclairent plusieurs parties, entre autres celle consacrée au Pachynihil. Vous avez été à même, pendant vos nombreux et lointains voyages, de constater à diverses reprises ses lois si bien formulées maintenant, et que vous avez grandement contribué à faire connaître par vos communications à l'Institut.
Vous avez fait un beau et bon livre, qui sera utile non-seulement aux gens du monde, mais même aux savants.
Personne plus que moi, qui suis vos efforts incessants depuis près de trente ans, n'est heureux de voir la place honorable que vous avez su vous créer dans la science en dehors de toute coterie.
Votre ami,
Jutique, de l'Institut,
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Un roi de l'élégance
« Un homme qui est toujours réel, a dit Rivarol, peut n'être pas vrai, mais il est vraiment homme. Un homme vrai est toujours un vrai homme, un homme réel, sans quoi il serait un fantôme ». Suprêmement fatigué d'être un « homme réel », le poète et écrivain portugais Mário de Sá-Carneiro décide, le 26 avril 1916, de « prendre le taureau par les cornes ». Il enfile son smoking, avale de la strychnine et attend la mort, qui ne tarde guère. Il avait annoncé son suicide à son ami Fernando Pessoa 1 à peine un mois auparavant. Gragerfis le considère comme l'un des représentants essentiels du courant symboliste et de « l'école du désenchantement ».
1. « Ô roues, ô engrenages, r-r-r-r-r-r-r éternel ! Violent spasme retenu des mécanismes en furie ! »
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Tribulations de l'étant existant
Sang, sueurs froides, maladies nerveuses, pachynihil, oui, tout cela est vrai.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Lavement
Le lendemain, nous nous remîmes en route, et fûmes bientôt rejoints par le Juif errant, qui reprit en ces termes le fil de son discours :
« Dans les Nouvelles formules de médecine de Pierre Garnier, on trouve la recette suivante du Lavement pour les Crottes ou grande constipation de ventre : "Prenez de grandes et petites passerilles de chacune deux onces ; faites boüillir tout dans s. q. de boüillon de tripes, puis dans chopine de coulûre on dissoudra demi-livre d'huile commune, quarante grains de trochisques alhandal en poudre, pour un lavement." »
Comme le Juif errant en était à cet endroit de sa narration, il se tourna vers Uzeda et lui dit : « Un cabaliste plus puissant que toi me force à te quitter. » Et il disparut à nos yeux.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Efficacité douteuse du pyrrhonisme
Le scepticisme grec n'est pas sans vertu, puisque Lorry a remarqué que les aphorismes tirés de ce système sont sédatifs d'une manière très marquée, et qu'il en faisait préparer dont il se servait assez fréquemment dans cette intention. Le docteur Nysten dit pourtant qu'il n'a que peu d'action dans les cas d'allergie aiguë à l'existence et qu'un revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe est d'un plus grand secours.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Grands problèmes
Perché sur un « cognassier-plateforme » qui lui tient lieu d'échafaudage épistémologique, le suicidé philosophique, tente, au moyen de son colt Frontier, de donner à des problèmes comme ceux de la nature du nombre, de l'infini, du continu — qu'il a hérités de son maître Dirichlet —, une réponse plus élaborée que celles, selon lui trop terre à terre, fournies par le IV e siècle grec.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Un défi de taille
Dans la philosophie heideggérienne, l'être-jeté signifie que le Dasein ne s'est pas posé lui-même, il a « à être » et à « être lui-même ». C'est à lui-même qu'il est remis, il a donc à être, révérence parler, son propre fondement.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
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