On
peut choisir, par goût de l'exotisme, d'écrire une œuvre en forme de
pastèque. Tout n'est-il pas louable, en un sens ? Mais il y a le
problème des pépins. Ceux-ci, riches en fibres, contribuent au bon
fonctionnement du tube digestif, aident à réguler la flore intestinale
et, pris en grande quantité, ont un effet laxatif, mais ils nuisent en
général à la fluidité de l'ouvrage.
Si
le nihilique ne pavoise pas, s'il ne mange pas de pain d'épice ni de
kouglof, s'il ne pousse pas de cris de liesse pour célébrer son passage
dans le Disney World de l'existence, c'est parce qu'il n'est pas aveugle
et qu'il voit bien que sa vie, malgré tous ses efforts pour être « festif », n'aura été qu'une longue et ennuyeuse « promenade automnale de
l'inexploité ».
Le
temps, l'espace, la vie, qui sommes-nous pour oser en user de la sorte ?
Dirait-on pas que le monstre bipède se prend pour la reine d'Angleterre ? Un peu de modestie, monstre bipède !
Les
hippocastanacées (marronniers d'Inde, paviers, etc.) ont une dignité
que l'homme ne possède pas. Ils ne produisent pas de concepts ni de « pensées profondes », et échappent ainsi au ridicule.
Récemment,
une rumeur a couru selon laquelle le réel serait tératogène. Puis une
contre-rumeur a prétendu le contraire. La vérité est qu'il l'est bel et
bien — et il suffit de sortir dans la rue pour s'en convaincre. Les
monstres pullulent. Ils sont là. Ils sont dans les campagnes. Ils sont
dans les villes. Comme Lucien Rebatet et Pierre-Antoine Cousteau, ils
sont partout !
On
a longtemps cru que les choses (c'est-à-dire les réalités concrètes ou
abstraites perçues ou concevables comme des objets uniques) étaient
recouvertes d'une membrane pyrophorique, du fait qu'elles paraissaient
s'enflammer spontanément à l'air ou donner des étincelles par léger
frottement. Mais les savants d'aujourd'hui estiment plutôt que c'est le
crépuscule aux paupières flavescentes (comme celles d'un brasier) qui
produit cet effet trompeur.
Avec
une bonne hache et un peu d'entraînement, on pourrait peut-être
trancher le monde en deux coupoles visqueuses d'où s'échapperait une
sorte de gélatine rouge ? Et peut-être, mue par la force de gravité,
cette gélatine coulerait-elle jusqu'aux pierres froides du couvent ? —
Non, tout cela n'a pas de sens, il n'y a pas de couvent, et puis il
faudrait se procurer une hache, il vaut mieux laisser tomber et
réfléchir à un autre plan.
La
place du nihilique n'est pas parmi les hommes. Il n'appartient pas à ce
monde. Il s'y sent comme une capucine amicale au milieu d'un champ de
primevères.
Parfois,
pas très souvent, le nihilique rêve de noyer l'écrivain Georges Perec
dans une bassine de matière plastique rose. Son côté hircin l'a toujours
irrité (la petite barbiche). Et il fait un peu trop « monsieur le
malin ». Oui, enfin... ça ou autre chose...
La « réalité empirique » est d'une saleté repoussante et d'un désordre sans
remède. Vous pouvez la nettoyer à fond, vous pouvez la parer de colliers
opalins, elle grouillera bientôt à nouveau de scarabées gigoteux, de
palmiers, de promontoires verdoyants, d'hexaèdres aux sécrétions
réfléchies, et d'un tas d'autres choses plus ou moins dégoûtantes.
Dans
une lettre au cardinal de Retz, le célèbre moraliste La Rochefoucauld
appelle son crâne une « cave meublée ». Il dit que s'y trouvent des
radicelles sécrétant un « liquide diastasique » et que ces radicelles
s'agitent crescendo molto pour expulser le réel.
Dans
le Livre de Mu, il est dit que celui qui, après avoir longuement
pratiqué la méthode d'Urbantschitch, parvient à prononcer correctement
la phrase « Mimi vit six perdrix », celui-là devient invisible à soi-même
et à l'omnitude.
Nos
villes sérielles sont sillonnées de rues maussades qui toutes se
caractérisent par une absence quasi totale de genévriers et de spondias
(et ne parlons pas des ancolies).
Certains
disent que l'anachorétisme n'est qu'une pièce annexe de l'expérience
humaine. Peut-être, mais c'est la seule de la fichue baraque où l'on
sente le parfum léger des momordiques (quand les fenêtres sont
ouvertes).
Les
gens font des choses (ils se trémoussent, ils voyagent, ils ont des
aventures sentimentales, etc.) simplement parce qu'ils ne voudraient
pas, au moment de clamecer, avoir à se dire qu'ils ont « gâché leur vie »
(en ne voyageant pas, en n'ayant pas d'aventures sentimentales, etc.).
Mais ces choses, ils n'ont qu'à imaginer les avoir faites, c'est moins
fatigant et ça revient exactement au même.
Pour
naviguer dans l'existence, l'Ecclésiaste est un piètre portulan. Il vous
convainc si bien de l'inanité de toute action qu'on ne se donne même
plus la peine de prendre des ris. Alors on se laisse dériver, et
résultat : on heurte un récif. Merci l'Ecclésiaste.
Qui,
mieux que la coloquinte, dira la poignante beauté des plantes
dicotylédones à vrilles caulinaires spiralées, dotées de tiges cannelées
et de feuilles alternes à pétioles allongés mais sans stipules ? Et
qui, mieux que cette cucurbitacée, fera sentir à l'homme qu'il vit dans
un monde de néant ?
À
la différence du poisson, qui est parfois servi dans une décoction de
piment et un crépuscule de sang de mandrill, le Rien est toujours servi
sans accompagnement et dans une lumière aveuglante. Une autre différence
est qu'il n'y a pas moyen d'en laisser, il faut tout bouffer.
La
discrétion quasi cénobitique des crossoptérygiens est remarquable,
comme sont leurs nageoires au lobe basal charnu bordé d'une frange de
lépidotriches. Le monstre bipède, au contraire, fait un barouf de tous
les diables : c'est un « gueulard ».
L'homme
est une créature précaire et débile, le moindre souffle peut
l'anéantir, mais il n'est pas complètement démuni : il dispose de
multiples soies, de quarante fusils Remington, de cartouches Vetterli et
d'un peu de poudre.
L'essence
des choses n'est pas localisée au centre d'une place fort gaie entourée
de palmiers ronds et juteux, elle se situe plutôt à un lugubre « carrefour à bascule » aux alentours duquel il ne fait pas bon
s'attarder. On y perdrait le sommeil — et peut-être la raison — car
en ce « carrefour à bascule », l'être et le non-être s'entremêlent d'une
façon très-horrifique.
À
force d'être frappé par l'ourlet des vagues lointaines, le crâne
devient spumeux et on est obligé de l'essuyer, ce qui peut se faire par
exemple en utilisant une « lingette ».