lundi 7 octobre 2024

De l'être ! Ou nous suffoquons !

 

Il y a de ces pensées qui vous envoient au trente-sixième dessous, au premier rang desquelles celle que « rien n'est ». À peine cette pensée vous a-t-elle effleuré que vous êtes atteint d'une morosité sombre et d'une accablante mélancolie. Vous ne pouvez triompher de l'état de tristesse qui vous gagne. Il survient dans tout votre être un état extraordinaire de lassitude et de faiblesse qu'aucun repos ni aliment ne sauraient réparer. Tout vous semble vain et — après tout, pourquoi ne pas le dire — relatif au gingembre (zingibéracé). Il vous faut de l'être, et vite — sous peine de suffoquer. Oui, mais où le trouver, cet être ? À Montpellier ? 
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Une idée à creuser

 

Il paraît qu'on peut apaiser le courroux du ciel par un sacrifice expiatoire dont la victime n'est pas la personne qui a encouru la haine de la divinité. Ce serait à essayer, pour voir. Parce que subir sans discontinuer le courroux du ciel, c'est tout de même pénible. Et justement, nous connaissons une mégère difforme au faciès d'hippopotame qui pourrait faire l'affaire. Avec un garagiste de La Bourboule en prime.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

dimanche 6 octobre 2024

Histoire de fou

 

Ganne ! Lucien Ganne ! Tu es semblable au fou de l'histoire dite « du fou qui se tape la tête contre les murs parce que ça fait du bien quand ça s'arrête » ; sauf que pour toi, ça ne s'arrêtera que quand tu seras mort, et que l'hypothèse que « ça fait du bien quand ça s'arrête », tu n'y crois que très modérément.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Conseil au désespéré

 

Si on vous demande ce que vous faites, vous direz que vous arpentez en somnambule les corridors de l'existence. À longues foulées mécaniques, vous pouvez préciser. Ça devrait suffire à couper court.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Chasse au phénomène

 

Eugen Fink décrit en ces termes le changement qui s'opérait en Husserl quand il débusquait un phénomène : « Son regard luisait d'un feu sauvage et terrible ; son poil se hérissait, ses lèvres s'ouvraient, et de son gosier sortait avec un son rauque un souffle empesté. L'air, empoisonné par cette haleine, devenait funeste au phénomène qui bientôt s'écroulait, frappé de convulsions mortelles. »
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Des larmes, des saints, Dubonnet

 

Non contents de tenir pour sacrée la bouse de vache, les Hindous ont horreur du souffle et de la salive. Postillonnez chez un Hindou et vous êtes un homme mort. Le négateur Émile Cioran s'en plaignait. Chaque fois qu'il rendait visite à un Hindou, il devait faire très attention et cela exacerbait son sentiment tragique de la vie.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

samedi 5 octobre 2024

Aux chiottes le melon

 

Beaucoup de gens considèrent que parmi les plantes qui méritent d'entrer dans la composition des jardins, le melon se place au premier rang tant la nature lui a prodigué tout ce qui peut flatter à la fois la vue, l'odorat et le goût. Pourtant, il y a des grincheux qui n'aiment pas le melon. Ce n'est pas tellement qu'ils n'en aiment pas la saveur mais ils trouvent qu'il fait un peu trop le « pick me ». Et puis, ces grincheux de type dostoïevskien ne supportent pas qu'on leur force la main. Ils prétendent n'en faire qu'à leur tête. On veut leur faire bouffer du melon, eh bien on va voir.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

I buried Pan

 

Suétone raconte que du temps de Tibère on entendit crier dans les forêts : « Le grand Pan est mort ! » Tacite penche plutôt pour : « Sauce à la canneberge ! »
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Va donc chez Blanchot

 

Nous voulons bien être bonne pâte mais nous n'allons pas faire au réel le plaisir de parler de lui sérieusement. S'il veut du sérieux et du profond, il n'a qu'à s'adresser à Blanchot ou à Brice Parain.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Parasitisme

 

On peut être d'accord avec le professeur Körber quand il affirme, dans son ouvrage Parerga lichenologica (Breslau, E. Trewendt, 1865), qu'il n'y a chez les lichens aucune évidence de parasitisme. Mais chez les bonnes femmes, c'est une autre histoire. Vivre aux crochets d'une « poire » est chez elles une vocation.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

vendredi 4 octobre 2024

Monde éternel, monde engendré

 

Le monde pris en soi, dans sa substance, dans son être, abstraction faite des qualités qui le déterminent, est éternel. Par contre, le monde tel qu'il est aujourd'hui, dans son mouvement actuel, est engendré. Ça vous en bouche un coin, hein, les pots de pisse ?
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Pauvreté stylistique et homicide de soi-même

 

Presque toujours, si l'on se pend, c'est faute de posséder un style aussi riche que celui de Tite-Live ou aussi véhément que celui de Salluste pour exprimer son dégoût de la vie.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Bataille de Philippes

 

Il y a fort à parier que comme Brutus, le poëte Paul-Jean Toulet eut le triste présage du sort qui l'attendait à la bataille de Philippes. Ça se sent dans ses poëmes. Dans chacune de ses contrerimes, on sent le quidam qui sait qu'il va mourir à la bataille de Philippes. Et de fait, le lundi 6 septembre 1920...
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Pas libre

 

« Je peux pas, là, je suis pas libre.
— Comme Claude-Emmanuel ? Le compositeur du Prélude à l'Après-midi d'un sexe aphone ? »
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

jeudi 3 octobre 2024

Monde étagé

 

Qu'est-ce qui a pris à Jean Philopon de s’opposer à la théorie du monde étagé de Cosmas Indicopleustès ? Quelle mouche l'a piqué ? Ce n'était pourtant pas mal, cette idée d'un univers réparti sur deux étages superposés... D'un univers en forme de parallélépipède rectangle... Il faut dire que Philopon avait la manie de tout dénigrer. Il s'en est même pris à Théodore de Mopsueste et à Proclus. C'est tout juste s'il n'a pas attaqué Basile de Césarée. Une vraie tête à claques.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Un plaisir d'esthète

 

Contempler un tableau de Bram van Velde, le soir, au fond des bois... Avec en arrière-plan le son du cor et les aboiements de la meute... Ah ! Quel délice !
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Syndrome de l'écrivain

 

On a tous des moments de faiblesse, comme de penser à la tombe de Celan ou de ramer sur l'étang de Soustons, mais de là à le publier !!! De là à en informer la terre entière !!! Qui ça intéresse ? Hein ?
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

L'endroit où l'on en bave des rondelles

 

La capitale de la douleur, ce n'est ni Paris — contrairement à ce qu'insinue le poëte Éluard — ni Bichkek — qui est la capitale du Kirghizstan — mais Bezons, dans le Val-d'Oise. On y dérouille comme ce n'est pas permis et il s'y trouve d'ailleurs plusieurs cliniques.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

mercredi 2 octobre 2024

Bonheur toujours

 

Le bonheur est faux tandis que le malheur est vrai. Il faut en avoir conscience pour s'orienter convenablement dans l'existence. Après, bien sûr, la question est de savoir à quel point on aime la vérité...
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Une extravagante obsession

 

Beaucoup de gens pensent et même « croivent » que pour n'avoir pas à reconnaître, au moment du bilan, qu'ils ont gâché leur vie, ils doivent s'efforcer d'être heureux un maximum de minutes, d'heures et de jours. Mais il y aurait beaucoup à dire là-dessus ; car le bonheur pue pas mal du cul. Et puis gâcher sa vie... Qu'est-ce qu'on peut faire d'autre ?
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

On demande des moroses

 

Les gens à joie de vivre, on aimerait leur faire rentrer leur joie de vivre dans la gorge ou dans le fiak à l'aide d'une pince à circlips. Ils nous dépriment, avec leur joie de vivre. Ils nous donnent envie de nous pendre ou d'avaler du taupicide. Nous, ce qu'on veut, c'est des moroses. Des moroses, vous entendez ?
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Scepticisme thrace

 

Plusieurs entre les Thraces niaient l'immortalité de l'âme, mais lesquels précisément, nous ne saurions le dire.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

mardi 1 octobre 2024

Lapins


Parmi les individus, et ils sont nombreux, qui méritent le supplice du pal, il y a ceux qui aiment répéter qu'il ne faut pas les prendre pour des « lapins de six semaines ». À ces individus, nous disons solennellement : trouvez autre chose ou vous allez finir empalés, c'est clair ?
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Physiognomonie

 

D'après Lavater, la narine petite est le signe d'un esprit timide, incapable de hasarder la moindre entreprise. Or regardez, nous avons justement la narine petite ! C'est extraordinaire, ça !
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Explosions


Humboldt raconte que lors de son séjour sur la côte de l'Équateur, le 4 janvier 1803, les détonations du volcan Cotopaxi ébranlèrent les fenêtres dans le port de Guayaquil, et qu'alors son secrétaire Bonpland fit semblant de croire que c'était lui, Humboldt, qui avait largué une série de caisses. La marrade !
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Pourquoi l'homme

 

La Bible raconte que Dieu a créé le monstre bipède mais elle ne dit pas pourquoi. La réponse est simple : le monstre bipède a été inventé pour nous faire chier. Par exemple, à la caisse d'un supermarché : il faut toujours qu'il prenne des articles où il n'y a pas le prix, cet abruti ! Ou encore pis, il veut une facture !
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

lundi 30 septembre 2024

Souvenirs de Houilles (en banlieue)

 

Autant il est aisé de ressusciter une souffrance morale qu'on a subie il y a des années, autant pour une souffrance physique, c'est impossible : c'est comme si elle n'avait jamais existé. Elle nous en a fait baver des ronds de chapeau mais il n'en reste pratiquement rien ; juste un vague souvenir. Ça vaut peut-être mieux comme ça, ce sidi.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Sentiment du bonheur

 

Le bonheur est le sentiment d'avoir comparativement de la chance, et le malheur, celui d'avoir comparativement de la malchance. Une solution pour se trouver heureux est donc de ne se comparer qu'à des individus affublés de grosses dondons acariâtres et — cerise sur le gâteau — frappés d'un panaris. À supposer bien sûr qu'on ne le soit pas aussi soi-même.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Trois écoles

 

Pour détruire les pucerons, Pallade dit (De re rustica, liv. I, ch. 35.) d'employer le jus de jusquiame mêlé de fort vinaigre. Ferrari conseille (Flora, liv. III, ch. 4.) d'employer l'huile de pétrole. Doppelchor, quant à lui, propose une méthode toute différente : il préconise (Océanographie du Rien, ch. 3) de... se pendre. Car en se tuant, assure-t-il, on détruit le monde et les pucerons avec.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)