Sully raconte dans ses Mémoires que le roi Henri II confondait sans cesse les peintres Bernard Buffet et Jean Dubuffet. Il ajoute que cela avait le don d'irriter le bouffon Triboulet : « Buffet, c'est celui qui s'est suicidé, qu'on te dit ! C'est quelque chose, ça ! »
En peinture, le critique Georges Poulet ne jurait que par Nicolas Poussin, artiste qui selon lui n'avait pas son pareil pour évoquer l'innocence perdue de l'enfance. Il aimait particulièrement Les Bergers d'Arcadie.
Son travail de construction donnait au facteur Cheval de terribles insomnies, à tel point qu'il était angoissé à l'idée d'aller au « paddock ». Sa bonne femme lui disait : « Viens donc te coucher », mais il renâclait et freinait des quatre fers — quand il ne prenait pas le mors aux dents.
L'écrivain Henri Michaux se débrouillait bien avec les mots mais n'était pas habile de ses mains. Chaque poteau d'angle qu'il a planté était bidouelle. Quant à la nuit, il ne l'avait pas fixée avec des vis assez solides, ce qui fait qu'elle remuait.
Un ethnologue, disons Claude Lévi-Strauss, sort de la pièce pendant que les autres ethnologues cachent un masque dogon qu'il devra essayer de découvrir. Selon que Lévi-Strauss s'éloignera ou se rapprochera de la cachette, les autres ethnologues invoqueront soit Jean Malaurie, soit Lucien Lévy-Bruhl.
« Comme ça, vous, Braudel et Duby, carbonâtes de soude ? Du verbe carboner qui signifie ajouter du carbone dans un composé ou un matériau ? Pas possible ! »
Braudel n'était pas tatif comme Duby. Ce dernier, sauf peut-être à propos de Bouvines, n'était jamais sûr de rien. Il hésitait en permanence. Alors que Braudel... Braudel fonçait. La Méditerranée ; le capitalisme; les civilisations... Il « dépotait ». Mais allez savoir pourquoi, l'extrême tativité de Duby nous touche plus que l'efficacité de Braudel.
Il paraît qu'en matière de religion, le fin du fin est de célébrer la Pâque juive à Pessac, dans les environs de Bordeaux. D'après les spécialistes, il n'y a pas meilleur endroit pour commémorer l'exode hors d'Égypte, la commune étant exposée à un climat océanique aquitain, ce qui a pour effet de — bref.
À la mort de Mahler, sa veuve Alma se remarie avec Walter Gropius. Celui-ci, maladivement superstitieux, lui demande de ne pas parler de Mahler. Elle accepte. Elle parlera de Brahms, puisque c'est ainsi.
Au Brésil, quand Bernanos rencontrait Stefan Zweig, il lui disait toujours salut vieille branche. Mais Zweig n'était pas d'humeur à plaisanter, à cause du monde d'hier qu'il voyait s'éloigner de plus en plus, devenant celui d'avant-hier, puis celui d'avant-avant-hier, et ainsi de suite, ce qui avait le don de lui mettre les nerfs en pelote.
Quand il jouait au jeu des sept familles, que ce fût avec Claudel ou quelqu'un d'autre, Gide n'arrivait jamais à avoir en entier la famille Gronarino. Il lui manquait toujours soit la fille, soit le grand-père, soit la mère... Cela l'énervait au plus haut point. Il finit par nourrir une véritable haine pour ce jeu.
Les biographes sont une vraie calamité, ce sont des êtres vils, mais heureusement, il existe un moyen d'échapper à leurs sales pattes : ne rien faire de remarquable ; ne pas écrire de textes dadaïstes ; ne fréquenter ni Drieu la Rochelle ni le surréaliste Paul Chadourne ; et bien sûr, ne pas se suicider dans la maison du docteur Le Savoureux (ce qui serait le pire du pire).
L'hypothèse de l'immortalité de l'âme nous laisse comme la stratégie de Philippe Auguste à la bataille de Bouvines laissait l'historien Duby : tatif (on se « tate »).
Avec ses maximes à la mords-nous-le-chose, le gars Confucius nous a bien fichu dedans. Et encore, heureusement qu'on n'a pas suivi toutes ses préconisations. Il n'a pas l'air de comprendre à quel point le monstre bipède est ficelle.
Ayant retenu la leçon d'Héraclite, nous ne céderons pas à l'appel de la nostalgie : nous ne reviendrons pas danser chez Temporel. Et nous ne prendrons pas non plus les vignettes (mais ça, c'est autre chose).
La femme, ou quand on n'a que son fiacre (et ses biberons Robert) pour unique raison, pour unique chanson et unique secours ; quand on n'a que son fiacre à offrir en prière pour les maux de la terre en simple troubadour.
À la buvette de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, André Leroi-Gourhan se désaltérait d'une onde pure. Claude Lévi-Strauss survient à jeun, qui cherchait aventure. Il se met à parler de Bororos. Leroi-Gourhan voudrait ne jamais être né.
Le maire d'Empeaux (Haute-Garonne) est décrit par beaucoup comme un « bougre las ». Il faut dire qu'administrer les Empeusiens, ce n'est pas une sinécure.
« Hé, Ravel ! Tu vas où comme ça ? — Chez Debussy. Il organise un tournoi de boules. Il y aura Satie et Chabrier, peut-être aussi Poulenc. — Méfie-toi de Chabrier. Il est drôlement fort. Avec sa Marche des Cipayes et tout ça... — D'ac'. Allez, à plus. — Ouais, à plus. »
Il est assez connu que le philosophe Jean-Paul Sartre était le « jules » de la femme de lettres Simone de Beauvoir. Quand celle-ci rencontrait des amis, elle s'entendait souvent demander : « Alors, comment va ton jules ? » Elle répondait : « Bien. Il écrit des trucs existentialistes. Ça va, il ne faut pas se plaindre. »
Parce qu'il s'était blessé en explorant les gouffres, l'écrivain Henri Michaux disposait d'une carte lui donnant le droit d'occuper, dans les transports en commun, une place réservée aux mutilés de cul. Il s'en vantait au négateur Émile Cioran que cela faisait bisquer.
Dans son poëme Comédie de la soif, Arthur Rimbaud déclare qu'il veut « aller où boivent les vaques ». La question qui vient immédiatement à l'esprit est : pourquoi ? Veut-il se distraire en regardant les vaques s'abreuver ? Dit-il ça simplement pour faire l'intéressant ? Dans un cas comme dans l'autre, il nous fatigue. La poésie, ça commence à bien faire si c'est comme ça.
Quand le Mômo ne pouvait pas mettre la main sur du péyote ou de l'opium, il lisait du George Sand : François le Champi, parfois La Petite Fadette. C'est le docteur Toulouse qui le lui avait conseillé. Ça le calmait un peu, mais ce n'était quand même pas la même chose.