Pessimisme kierkegaardien

 

Échapper au désespoir ; devenir soi-même ; réussir à exécuter le saut de la foi ; récupérer Régine Olsen... Kierkegaard croit que ça ne va pas être possible — pas être possible.

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Deux brillants sujets

 

D'après Jules Quicherat qui les eut tous deux comme élèves, l'avenir d'Alphonse Aulard était doré, celui de Lavisse platiné.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Exonération de Christo

 

Dans les années cinquante, l'existentialisme suscita un emballement si extraordinaire qu'on pourrait y voir la main du plasticien Christo. Mais celui-ci n'a commencé à sévir que dans les années soixante, ça ne peut donc être lui.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Ameublement sommaire

 

Ressentir une violente antipathie pour la poétesse Anna de Noailles peut suffire à meubler une existence — pauvrement, il est vrai. 

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Peussédicité du dandysme

 

Le dandy est un être peussédique et même « fucking peussédique ». On n'abolit pas le ridicule d'exister en portant des guêtres. Au contraire, même : on l'accroît.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Chance de Lavisse et infortune de Lapointe

 

Celui que sa Katie a quitté, ce n'est pas Ernest Lavisse, trop avisé et trop versé dans l'histoire de France pour se faire larguer par une pochetée. Non, celui que sa Katie a quitté, c'est le chanteur Boby Lapointe. Lui, il faut dire qu'il collectionnait les déboires.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Qualis ceoenex pereo

 

Au moment de dévisser son billard, s'exclamer : « Quel céoène meurt avec moi ! Astheûre ! » — C'est ça qui serait drôle — peut-être.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

C'est bon mais ça pince

 

Dans sa conclusion à l'ouvrage de Herr et de Seignobos, c'est une méditation sur l'histoire de France que nous sert Lavisse.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Bleuité

 

Si l'on veut absolument que la terre soit bleue, elle le sera comme une myrtille, non comme une orange. Le stalinisme du poëte Éluard lui fait dire n'importe quoi. Il « yoyote de la touffe ». Bleue comme une orange ! Et pourquoi pas comme une tête de chien couché, tant qu'on y est ?

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Ancrage de Lavisse

 

En 1886, afin de s'assurer une position inébranlable dans l'Université, Lavisse se met en cheville avec le Conseil général des Facultés de Paris. Ses efforts tardent à porter leurs fruits, mais en 1904, il parvient enfin à percer le « placo » de l'École normale supérieure. Il en prend la direction et plus rien ne le fera bouger. Il est désormais solidement ancré.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Tromperie sur la marchandise

 

Il faut espérer qu'on va obtenir une compensation sous une forme ou sous une autre, parce que la vie... ce n'est pas du tout ce qu'on nous avait dit. Faudrait-il pas saisir la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ?

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Deux féroces lapins

 

Sans s'être concertés, Henry de Montherlant et Romain Gary émirent non du Qatar mais l'idée que la vieillesse est quelque chose de dégoûtant. Dès qu'ils en eurent confirmation, ils ne firent ni une ni deux, ils empoignèrent un revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe et se firent « sauter le caisson ».

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Puanteur universelle

 

Tout pue, en ce monde de néant : l'amour, les tableaux de peinture, la poésie de René Char, la philosophie, la science... Une exception, toutefois, à cette puanteur universelle : le Grand Babu. Lui sent l'eau de Cologne. C'est du moins ce qu'on dit.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Invention du surhomme

 

Lou Andréas-Salomé prétend que Nietzsche a inventé son surhomme dans l'unique but de faire chier Paul Rée. Vérité ? Erreur au-delà des Pyrénées ? Comment le savoir ?

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Destins tracés

 

« Toi, Jean, tu seras ministre de l'Éducation nationale. Et toi, Guy, tu construiras un sphinx et une pyramide. » Ainsi parlait-on, chez les Zay.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Réflexe reptilien

 

Quand on entend quelqu'un dire « en tant que tel », on ajoute mentalement « et en tel que tant ». C'est caïman automatique.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Crabes du souvenir

 

Dans Présence des morts, Emmanuel Berl évoque le souvenir de la douce Marguerite Grumbach — un souvenir, hélas, rempli de crabes — comme c'est souvent le cas quand il s'agit de personnes « décédées ».

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Du Fu

 

Pour parler du poëte Tou Fou, Simon Leys dit Du Fu. Au début, on se demande de qui il s'agit, puis on s'habitue. L'homme est un être qui s'habitue à tout, Dostoïevski avait raison.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Esquive littéraire

 

Nous n'avons lu ni le Journal de Barnabooth, ni Fermina Márquez, ni Allen. Nous avons victorieusement fui Valéry Larbaud.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Anch'io son pittore

 

Devant un beau suicide philosophique — par exemple celui de Philipp Mainländer —, on a envie de s'exclamer, imitant le Corrège : « Moi aussi, je suis un suicidé philosophique ! »

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Scrupules de Lacretelle

 

« Morand m'horripile, Montherlant m'interloque et Mauriac me braque. Je n'en peux plus. J'ai des scrupules. Il faut que ma femme soit au courant », écrit Jacques de Lacretelle dans son Journal.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Vision simiesque

 

L'obsédante image mentale d'un Paul Morand faisant la moisson — d'un Paul Morand aoûtant.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Et omnia vanitas

 

L'Ecclésiaste dit que la supériorité de l'homme sur la bête est nulle « car tout est vanité ». Dès qu'il peine à argumenter, il dit que tout est vanité — et c'est bien vrai, quand on y pense.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Un terrible spectacle

 

Grâce à l'intervention du ministre Duruy dont il avait été le secrétaire, Lavisse put assister à une levée d'écrou.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Un pédagogue hors pair

 

Lisez l'Histoire de France depuis les origines jusqu'à la Révolution et vous verrez que ce qui sert le mieux Lavisse, c'est son talent de pédagogue.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

L'espagnol sans peine

 

Boire se dit en espagnol comme le chat de Céline : Bébert. Quant à manger, cela se dit commère (comme une commère).

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Henri II et les peintres

 

Sully raconte dans ses Mémoires que le roi Henri II confondait sans cesse les peintres Bernard Buffet et Jean Dubuffet. Il ajoute que cela avait le don d'irriter le bouffon Triboulet : « Buffet, c'est celui qui s'est suicidé, qu'on te dit ! C'est quelque chose, ça ! »

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Et in Arcadia ego

 

En peinture, le critique Georges Poulet ne jurait que par Nicolas Poussin, artiste qui selon lui n'avait pas son pareil pour évoquer l'innocence perdue de l'enfance. Il aimait particulièrement Les Bergers d'Arcadie.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Insomnies du facteur Cheval

 

Son travail de construction donnait au facteur Cheval de terribles insomnies, à tel point qu'il était angoissé à l'idée d'aller au « paddock ». Sa bonne femme lui disait : « Viens donc te coucher », mais il renâclait et freinait des quatre fers — quand il ne prenait pas le mors aux dents.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Malhabileté de Michaux

 

L'écrivain Henri Michaux se débrouillait bien avec les mots mais n'était pas habile de ses mains. Chaque poteau d'angle qu'il a planté était bidouelle. Quant à la nuit, il ne l'avait pas fixée avec des vis assez solides, ce qui fait qu'elle remuait.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Jeu pour ethnologues

 

Un ethnologue, disons Claude Lévi-Strauss, sort de la pièce pendant que les autres ethnologues cachent un masque dogon qu'il devra essayer de découvrir. Selon que Lévi-Strauss s'éloignera ou se rapprochera de la cachette, les autres ethnologues invoqueront soit Jean Malaurie, soit Lucien Lévy-Bruhl.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Étonnement de Furet

 

« Comme ça, vous, Braudel et Duby, carbonâtes de soude ? Du verbe carboner qui signifie ajouter du carbone dans un composé ou un matériau ? Pas possible ! »

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Deux historiens

 

Braudel n'était pas tatif comme Duby. Ce dernier, sauf peut-être à propos de Bouvines, n'était jamais sûr de rien. Il hésitait en permanence. Alors que Braudel... Braudel fonçait. La Méditerranée ; le capitalisme; les civilisations... Il « dépotait ». Mais allez savoir pourquoi, l'extrême tativité de Duby nous touche plus que l'efficacité de Braudel.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Pessac

 

Il paraît qu'en matière de religion, le fin du fin est de célébrer la Pâque juive à Pessac, dans les environs de Bordeaux. D'après les spécialistes, il n'y a pas meilleur endroit pour commémorer l'exode hors d'Égypte, la commune étant exposée à un climat océanique aquitain, ce qui a pour effet de — bref.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Superstition

 

À la mort de Mahler, sa veuve Alma se remarie avec Walter Gropius. Celui-ci, maladivement superstitieux, lui demande de ne pas parler de Mahler. Elle accepte. Elle parlera de Brahms, puisque c'est ainsi.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Vieille branche

 

Au Brésil, quand Bernanos rencontrait Stefan Zweig, il lui disait toujours salut vieille branche. Mais Zweig n'était pas d'humeur à plaisanter, à cause du monde d'hier qu'il voyait s'éloigner de plus en plus, devenant celui d'avant-hier, puis celui d'avant-avant-hier, et ainsi de suite, ce qui avait le don de lui mettre les nerfs en pelote.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Un rageux

 

Quand il jouait au jeu des sept familles, que ce fût avec Claudel ou quelqu'un d'autre, Gide n'arrivait jamais à avoir en entier la famille Gronarino. Il lui manquait toujours soit la fille, soit le grand-père, soit la mère... Cela l'énervait au plus haut point. Il finit par nourrir une véritable haine pour ce jeu.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Brasserie du Panthéon

« Puis-je entrer ici avec mon terrible cortège ?
— Ça dépend, vous êtes combien ? »

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

N'être pas Rigaut

 

Les biographes sont une vraie calamité, ce sont des êtres vils, mais heureusement, il existe un moyen d'échapper à leurs sales pattes : ne rien faire de remarquable ; ne pas écrire de textes dadaïstes ; ne fréquenter ni Drieu la Rochelle ni le surréaliste Paul Chadourne ; et bien sûr, ne pas se suicider dans la maison du docteur Le Savoureux (ce qui serait le pire du pire).

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Dimanche de Bouvines et lundi existentiel

 

L'hypothèse de l'immortalité de l'âme nous laisse comme la stratégie de Philippe Auguste à la bataille de Bouvines laissait l'historien Duby : tatif (on se « tate »).

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Un conseiller à la noix

 

Avec ses maximes à la mords-nous-le-chose, le gars Confucius nous a bien fichu dedans. Et encore, heureusement qu'on n'a pas suivi toutes ses préconisations. Il n'a pas l'air de comprendre à quel point le monstre bipède est ficelle.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Résolutions négatives

 

Ayant retenu la leçon d'Héraclite, nous ne céderons pas à l'appel de la nostalgie : nous ne reviendrons pas danser chez Temporel. Et nous ne prendrons pas non plus les vignettes (mais ça, c'est autre chose).

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Smacznego

 

Aller en Pologne quand on s'appelle Pierre ou Guy est un pari risqué. On s'expose à ne pas revenir en un seul morceau, ni même du tout.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Un suicide qui ne manque pas de sel

 

Se tuer dans la maison du docteur Le Savoureux, ça l'est assez quand on y pense. Et justement, c'est ce que Rigaut fit.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Distique

 

Ils aimaient l'un le borchtch et l'autre l'aligot ;
On voudrait tout savoir de Bove et de Rigaut.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Et couvrir de soleil la laideur des faubourgs

 

La femme, ou quand on n'a que son fiacre (et ses biberons Robert) pour unique raison, pour unique chanson et unique secours ; quand on n'a que son fiacre à offrir en prière pour les maux de la terre en simple troubadour.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Ces horripilants Bororos

 

À la buvette de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, André Leroi-Gourhan se désaltérait d'une onde pure. Claude Lévi-Strauss survient à jeun, qui cherchait aventure. Il se met à parler de Bororos. Leroi-Gourhan voudrait ne jamais être né.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Lassitude de l'édile

 

Le maire d'Empeaux (Haute-Garonne) est décrit par beaucoup comme un « bougre las ». Il faut dire qu'administrer les Empeusiens, ce n'est pas une sinécure.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Et la lune descend sur le temple qui fut

 

« Hé, Ravel ! Tu vas où comme ça ?
— Chez Debussy. Il organise un tournoi de boules. Il y aura Satie et Chabrier, peut-être aussi Poulenc.
— Méfie-toi de Chabrier. Il est drôlement fort. Avec sa Marche des Cipayes et tout ça...
— D'ac'. Allez, à plus.
— Ouais, à plus. »

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Jules

 

Il est assez connu que le philosophe Jean-Paul Sartre était le « jules » de la femme de lettres Simone de Beauvoir. Quand celle-ci rencontrait des amis, elle s'entendait souvent demander : « Alors, comment va ton jules ? » Elle répondait : « Bien. Il écrit des trucs existentialistes. Ça va, il ne faut pas se plaindre. »

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)