dimanche 1 juillet 2018

Une vie de clochard (Charles Bukowski)


Harry se réveilla avec la gueule de bois. Une sévère gueule de bois.
— Merde, fit-il doucement.
Il y avait un petit lavabo dans la chambre.
Harry se leva, pissa dans le lavabo, le rinça, puis mit sa tête sous le robinet et but un peu d'eau. Après quoi, il s'aspergea la figure et s'essuya avec un pan de son maillot de corps.
On était en 1943.
Harry ramassa ses vêtements éparpillés par terre et commença à s'habiller. Les stores étaient baissés et des rayons de soleil filtraient au travers des déchirures.

Il sortit dans le couloir pour aller aux toilettes. Il ferma la porte au verrou et s'installa, étonné de pouvoir encore chier. Ça faisait des jours qu'il n'avait rien mangé.
Bon dieu, se dit-il, les gens ont des intestins, des bouches, des poumons, des oreilles, des nombrils, des organes génitaux, et... des cheveux, des pores, des langues, des dents parfois, et tout le reste... des ongles, des cils, des orteils, des genoux, des estomacs...
Il y avait quelque chose de tellement ennuyeux dans tout ça. Pourquoi est-ce que personne ne se plaignait ? Pourquoi les gens n'envoyaient-ils pas balader toutes ces conneries et n'adoptaient-ils pas le nihilisme phénoménologique de Fichte, selon lequel le monde n'est que « la manière dont le néant prend figure et apparence pour lui-même en se comprenant comme tel et en s'opposant à l'être en lui-même invisible » ?

Comme l'idéaliste allemand, Harry était persuadé que « le monde conserve la trace ineffaçable de son néant », ce qui ne l'empêcha pas de donner bientôt naissance à un odoriférant « cigare japonais ».

(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

Le plus important


Maintenant que nous connaissons par le papyrus Rhind les problèmes relatifs à la pyramide, et par le papyrus Golenichtchev la formule du tronc de pyramide et les recherches sur la surface de la sphère, que sont traduites nombre de tablettes géométriques de la première dynastie babylonienne, en particulier sur les sections du triangle et le trapèze, nous pouvons nous occuper du plus important (to timiotaton) : la réunion du Moi au Rien par le moyen de l'homicide de soi-même.

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Pauvreté en monde


« Geoffray Baloche n'en a pas cru ses yeux quand il a découvert que trois de ses vaches avaient été tuées par balle ce dimanche. Cet éleveur de bovins de la race Bleu blanc belge, domicilié à Entraigues dans le Vaucluse, allait visiter son troupeau lorsqu'il a fait cette macabre découverte. Il a porté plainte auprès des gendarmes. 

 "Je suis retourné voir mes bêtes. Il était environ 10 h 30. Trois vaches étaient mortes. Tuées d'une balle voire deux dans la tête. Une autre a été blessée. j'ai enlevé des plombs de son cou. Je pense qu'elle s'est fait tirer dessus avec de la chevrotine. Un veau a également été blessé. Il a reçu des petits plombs à l'intérieur de la gueule", explique-t-il, désespéré. 

 Selon lui, elles ont été abattues de nuit, "alors qu'elles dormaient". C'est un coup dur pour le jeune homme qui s'est lancé dans l'élevage en 2016. Deux petits veaux se retrouvent aujourd'hui sans mère et la vache fétiche du troupeau, prénommée Marguerite, a été abattue aussi. 

"C'était comme un animal de compagnie. C'est grâce à elle que ma femme Manon et moi avions décidé de nous lancer dans l'aventure", se souvient Geoffray Baloche.

"Je tiens à souligner, continue-t-il, que contrairement à ce que soutient Heidegger, les bovins possèdent comme nombre d'animaux supérieurs l'intuition vitale, élémentaire bien qu'authentique, de la mort. La thèse heideggérienne selon laquelle « l'animal est pauvre en monde » est donc d'une indigence phénoménologique abyssale."

Il espère, primo, pouvoir acheter une nouvelle vache au plus vite, deuzio, que les progrès des "neurosciences" donneront bientôt un démenti définitif au diagnostic du lugubre ontologue wurtembourgeois. » (France Soir, 9 janvier 2018)

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

L'endurante passion de la vérité


Le suicidé philosophique, encalminé qu'il est sur la mer plate du Rien, dédaigne l'historicité de la pensée qu'il ne voit que sous la forme du déclin et de l'errance. Quant à son œuvre maîtresse, l'homicide de soi-même, elle représente la tentative de surmonter la différence nominaliste entre concept et réalité par la logicisation, et finalement la révolvérisation du concept d'être.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

samedi 30 juin 2018

Interlude

     L'actrice Scarlett Johansson lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier

Sudation conceptuelle


Ô philosophe ! Ami de la sagesse ! Ce que tu dois suer mon brave !

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Thermalisme existentiel


Aussi inouï que cela puisse paraître, les Grands Thermes de La Bourboule proposent « des cures thermales et des séjours santé dans le cadre du traitement des affections liées aux voies respiratoires 1, à la dermatologie, aux muqueuses bucco-linguales ou encore aux troubles de l'haeccéité ». 

La brochure précise même qu'« outre le savoir-faire des Grands Thermes en matière de cures thermales et l'exceptionnelle qualité de son air, La Bourboule dispose de nombreux équipements pour les enfants (manèges du parc Fenestre, halte-garderie Les Gribouilles,...) et les suicidés philosophiques (taupicide, cordes de violoncelle, gazinières, puits busés, et cetera) ».

1. Les « usuelles asphyxies » où s'embouque l'étant existant ?

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Si c'est un homme


Tout commence mercredi vers 18 h 30, sur la route Nantes – Cholet : à la limite des deux départements du Maine-et-Loire et de la Loire-Atlantique, deux voitures s'accrochent. Les deux conducteurs impliqués se garent sur le côté pour établir un constat. Alors que les discussions commencent à peine, l'un des deux protagonistes décide de partir à pied et franchit la glissière de sécurité, abandonnant son chien dans sa voiture.

Arrivés sur les lieux, les gendarmes de Vallet tentent de repérer le fuyard. Mais dans le noir et sous des trombes d'eau, les recherches sont rapidement interrompues.

Ce n'est que le lendemain matin que l'homme sera retrouvé par un promeneur. Sans vie. Dans un fossé, non loin d'un chemin. Ce Finistérien de 44 ans s'était, selon les premiers éléments de l'enquête, donné la mort en se tailladant les veines de l'avant-bras. « On a retrouvé un cutter dans les buissons », rapporte un gendarme. Le Breton était de passage. Il n'avait aucune attache dans le secteur.

« On suppose qu'il a fui parce qu'il était en défaut de permis. Il lui avait été retiré pour conduite en état d'ivresse. Pour le reste, difficile à expliquer si ce n'est par quelque fragilité psychologique, par la difficile cohabitation avec une belle-mère envahissante, ou par le sentiment de culpabilité lié à son statut de rescapé », conclut le gradé qui, inexplicablement, semble confondre ce cas avec celui de l'écrivain Primo Levi. Des examens médicaux supplémentaires seront toutefois menés sur le corps du défunt. (L'Hebdo de Sèvre et Maine, 7 janvier 2016)


(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)

Complétude de la désolation


L'accablement du sujet pensant en proie aux affres de l'haeccéité est complet, tant au sens de Cauchy qu'à celui de Dedekind.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Interlude

    Jeune femme méditant les Scènes de la vie de Heidegger de Jean-René Vif

Méphistophélique


Aux yeux de ses détracteurs, le suicidé philosophique passe pour une nature démoniaque à outrance, un résumé de toutes les difformités morales. À tel point que quand il le rencontre, l'« homme de la Nature et de la Vérité » se figure tomber sur l'infernal garde-chasse du Freischütz de Weber — confusion qu'encourage, il est vrai, la pétoire que trimballe en permanence le zélateur de la mort volontaire.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Mélancolie bourboulienne


Lorsque plusieurs suicidés philosophiques se rencontrent, il n'est pas rare qu'après avoir échangé leurs impressions, ils constatent avec stupéfaction que, comme les frères Robinhoude, « ils sont tous de La Bourboule » ! Cette station thermale du Puy-de-Dôme serait-elle aussi propice à la mélancolie que la grande plaine hongroise balayée par la bora ?

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Scrupule excessif


Quelques-uns, comme Esquirol, veulent qu'on descende dans la conscience de chaque individu, qu'on scrute les secrets intimes du cœur humain, que dans tous les cas, l'on examine et l'on pèse les sentiments qui habitent un individu frappé de rétention fécale, avant de faire l'application du mot constipé

Mais quand on songe que la constipation se manifeste presque toujours dans l'ombre et le secret, et sans aucune espèce de témoins, il nous est impossible de connaître quelles passions, quels sentiments peuvent agiter l'âme du malheureux incapable de « faire » !

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Métamorphose


Selon Jean Chrysostome  (Clavis Patrum Græcorum), l'illusionniste Bruno, qui dans son numéro au Music-Hall Palace change l'eau en vin, est capable d'améliorer de même nos volontés lâches et rebelles. « Il est des  hommes, dit-il, qui ne diffèrent point de l'eau, tant ils sont froids, mous et flottants. Ces sortes de gens ainsi malades, amenons-les à Bruno, afin qu'il change leur volonté ; à l'eau, il donnera la qualité du vin : ils coulent et se répandent de tous côtés, il les rendra stables et solides, et ils seront un sujet de joie pour eux-mêmes et pour les autres. »

Mais qui sont ces hommes froids ? Ce sont ceux qui s'attachent aux biens passagers de cette vie, ceux qui ne méprisent pas les plaisirs de ce monde, ceux qui aiment la gloire et la puissance, exempli gratia le général Tapioca.

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

Complication inattendue


En géométrie symplectique, le théorème de non-plongement de Gromov affirme l'impossibilité de plonger de manière symplectique une boule de rayon R dans un cylindre de rayon r < R.

Ce théorème complique singulièrement la tâche au suicidé philosophique qui veut mettre fin à ses jours en utilisant une arme à chargement par la gueule, par exemple un tromblon ou un fusil à canon rayé Springfield modèle 1855.


(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

vendredi 29 juin 2018

Interlude

    Nihilique beauté réfléchissant à la Mathématique du néant de Włodzisław Szczur

Et si on lançait une initiative citoyenne ?


« Mettre sur pied un Repair Café mensuel, lancer un potager collectif, fonder un groupe d'achat commun, définir un lieu où les habitants pourraient échanger leurs savoirs, créer une monnaie locale, planifier des marchés fermiers, faire de l'école de vos enfants une "école en transition", etc.

En deux ans, en Belgique francophone, le nombre d'initiatives en transition a triplé. La preuve qu'il n'est pas forcément difficile de se jeter à l'eau, et de mener des projets à bien. Alors ? Si on lançait une initiative citoyenne ? » (La Libre Belgique, 31 décembre 2017) 


— « En effet, si on lançait une initiative citoyenne ? Ou mieux encore, si l'on se pendait ? », répond l'homme du nihil.

(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)

L'assassin (Georges Simenon)


Le mélange était si intime entre la vie de tous les jours, les faits et gestes conventionnels et l'aventure la plus inouïe que le docteur Kupérus, Hans Kupérus, de Sneek (Frise néerlandaise) en ressentait une excitation quasi voluptueuse qui lui rappelait les effets de la caféine, par exemple.

Il était à Amsterdam, comme tous les premiers mardis du mois. C'était en janvier ; il avait revêtu sa pelisse à col de loutre et, comme il neigeait, il portait des caoutchoucs sur ses chaussures.


Ces détails sont sans importance, mais c'est pour dire que les choses étaient les mêmes que les autres premiers mardis du mois. Jusqu'à ce menu fait encore : en sortant de la belle gare en briques rouges, il était allé boire un verre de genièvre en face, ce qu'il ne disait jamais à personne car il n'est pas convenable, à dix heures du matin, d'entrer seul dans un café vergunning 1 et d'y consommer de l'alcool.


Il avait neigé toute la nuit, il neigeait encore, mais l'atmosphère était très gaie. Les flocons descendaient doucement, fort rares, sans risquer de se rencontrer en l'air, et de temps en temps, le soleil paraissait dans un ciel déjà bleu pâle. Par terre, la neige tenait. Des hommes la balayaient pour en faire des tas. Sur les canaux, près des rives, se formaient des pellicules de glace, et des aiguilles de givre auréolaient la coque des bateaux.


L'aventure commença avec le deuxième verre de Bols, dans lequel Kupérus fit mettre un peu de bitter, pour enlever le goût, qu'il n'aimait pas. Puis il paya, s'essuya la bouche, releva son col et sortit, les mains dans les poches, sa serviette sous le bras.


Normalement, il aurait dû se rendre chez sa belle-sœur, dans le quartier élégant du Jardin Botanique, en prenant le tram. Il aurait déjeuné, puis, à deux heures, il serait allé à pied à trois cents mètres de là, dans un bâtiment neuf, en briques vernissées, où se réunissent, le premier mardi du mois, les médecins de l'Association de Biologie.


Au lieu de ça, il alla se se placer au milieu du boulevard qui longe la gare, il baissa son pantalon et son caleçon, montrant son « fondement de l'historialité du Dasein » aux passants, et se mit à hurler : « Entre la finitude d'un pouvoir limité par la mort et l'infinité du devoir moral, la contradiction paradoxale s'aiguise jusqu'au paroxysme de l'absurde et de l'intenable ! » Le docteur Kupérus était frappé d'une crise aiguë de « jankélévitchisme ».


1. Il existe en Hollande des cafés vergunning qui ont le droit de vendre de l'alcool, et les cafés verlof qui ne servent que des boissons non alcoolisées.

(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)

Contre Bergson


En 1915, Heidegger prononce une conférence intitulée Le concept de vérité dans la philosophie moderne. Il s'en prend violemment à Bergson qu'il accuse de se laisser envoûter par les mots.

Bergson lui paraît le type même du philosophe qui fonde ses réflexions non pas sur des observations précises du monde réel (par exemple celle d'un presse-purée ou d'un porte-parapluie) mais sur des structures linguistiques purement arbitraires. On devine sans peine les termes bergsoniens qui offensent le plus le sens aigu de la rigueur intellectuelle chez Heidegger : le mot si vague d'« intuition », l'expression « élan vital », à laquelle Bergson lui semble accorder une valeur presque mystique, et le mot-clef « durée ».

« Ce prétentieux Bergson n'a rien compris à la situation tragique du Dasein, lâche-t-il en conclusion. Pour l'être-jeté, il n'y a pas plus d'élan vital que, révérence parler, de beurre au prose ».


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

Être-là (dans le monde)


« Une aide-soignante de la maison de retraite du Césalet, située à Jacob-Bellecombette, près de Chambéry (Savoie) a été mise en examen, jeudi 12 décembre, pour six empoisonnements et trois tentatives d'empoisonnement sur personnes vulnérables. C'est ce qu'a indiqué jeudi après-midi le vice-procureur de Chambéry, Dietlind Baudoin. Les six décès sont survenus lors de ces trois derniers mois. Les trois personnes qui ont survécu ont été prises de "malaises inexpliqués".

L'aide-soignante est soupçonnée d'avoir administré un "cocktail de psychotropes" à neuf résidents de l'établissement rattaché au centre hospitalier de Chambéry, tous octogénaires, depuis octobre dernier. Ces résidents, originaires de la région, présentaient "des fragilités psychologiques ou physiques liées à l'âge" mais "n'étaient pas en fin de vie", a assuré le vice-procureur.

L'aide-soignante prétend que les défunts ont en fait été empoisonnés par "la pénible sensation de vivre isolés dans un univers de menace et de désolation sans autre perspective que la mort". Quant aux "malaises inexpliqués" dont ont été victimes les trois survivants, elle les met sur le compte de l'haeccéité, c'est-à-dire le fait de posséder un ensemble de caractéristiques, matérielles et immatérielles, qui font de vous une "chose particulière" — une situation, il est vrai, fort pénible. » (L'Obs, 12 décembre 2013)


(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Interlude

      Jeune femme lisant la Mélancolie bourboulienne de Léon Glapusz

Un féroce lapin


La pratique de l'homicide de soi-même a fait de moi un homme inexorable.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Hommage à Edgar Allan Poe


Les mémoires de l'homme du nihil pourraient commencer ainsi : « Dès l'instant de ma naissance, je m'étais fait du monde une impression déplorable. C'était néanmoins dans cet habitacle de mélancolie que j'allais devoir séjourner pendant quelques décennies. »

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Antiphlogistique


« En rapprochant les succès obtenus dans le traitement du panaris par les frictions mercurielles réitérées, de ceux que procure le taupicide dans l'haeccéité, on est conduit à considérer ces remèdes comme essentiellement antiphlogistiques ; autrement dit, comme des moyens qui affaiblissent parfois plus l'organe que la maladie dont on veut le dégager. » (Dr Charles Segond, De l'emploi des évacuants dans les maladies du Moi, 1836)

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

L'aspiration (Raymond Carver)


J'étais sans travail, mais je devais recevoir des nouvelles du Nord incessamment. Allongé sur le canapé, j'écoutais le bruit de la pluie. De temps en temps, je me levais pour jeter un coup d'œil à travers le rideau, des fois que le facteur s'amènerait.
Mais la rue était vide, morte.
Je ne m'étais pas recouché depuis cinq minutes que j'ai entendu quelqu'un qui gravissait les marches du perron, faisait une brève pause, puis frappait. Le facteur ? Dans Expérience et jugement, le phénoménologue Edmond Husserl décrit la négation comme surgissant de la déception d'une attente, autrement dit de la suppression d'une « intentionnalité anticipatrice ». Et il cite l'exemple d'une boule rouge et lisse qui s'avère soudainement être verte et bosselée de l'autre côté, démentant ainsi la représentation anticipatrice que l'on en avait. Et encore, Husserl avait un bon job à l'Université de Fribourg, mais quand on est chômeur, on n'est jamais trop circonspect. Les mises en demeure et les sommations pleuvent. Tantôt elles arrivent par la poste, tantôt on vous les glisse sous la porte. Y en a même qui viennent vous voir pour discuter, surtout si on n'a pas le téléphone.
On a frappé une deuxième fois, plus fort. Ça n'augurait rien de bon. Je me suis soulevé tout doucement et j'ai essayé de voir qui c'était. Mais tout ce que j'ai vu, c'est une boule rouge et lisse d'un côté, verte et bosselée de l'autre. Ce bon vieux Husserl avait raison !


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

jeudi 28 juin 2018

Interlude

          Jeune fille lisant Forcipressure d'Étienne-Marcel Dussap

Sphère antéprédicative


S'il est vrai que la phénoménologie de Husserl — qui prône, faut-il le rappeler, le « retour aux choses-mêmes » — ouvre dans « l'horizon poreux de la thèse prédicative » une sphère matérielle et sensorielle, la « sphère antéprédicative », et ce avec le défi de penser le sensible, alors il ne reste plus qu'à se pendre avec ses bretelles (les siennes propres, pas celles de Husserl).

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Erreur de raisonnement


Du drame survenu dans la nuit de mardi à mercredi, vers 3 h 45, il ne subsiste que des traces au marqueur sur la chaussée. « C'est d'ailleurs comme cela que j'ai compris qu'il s'était passé quelque chose », relate, interloquée, une commerçante de la rue Grande, à deux pas de la place de la République. En pleine nuit, une automobiliste de 27 ans a tué un Bellifontain de 51 ans, en lui roulant dessus, en plein centre-ville de Fontainebleau. Elle est ensuite rentrée directement chez elle.

Interpellée mercredi midi à son domicile de Vernou-la-Celle-sur-Seine, la jeune femme a nié avoir voulu fuir. « Elle a cru avoir heurté le trottoir, rapporte le procureur de la République de Fontainebleau, Guillaume Lescaux. La voiture s'est d'ailleurs arrêtée un peu plus tard au feu rouge avant de redémarrer au vert ».

En ce qui concerne la victime, la thèse du suicide semble privilégiée. « Sur les images de vidéosurveillance, on le voit s'installer sur la chaussée très calmement, sur le passage piéton, juste à côté du trottoir donnant sur la place de la République », détaille le magistrat.

Il s'agirait d'un homme dépressif, enfermé dans la solitude, qui, d'après ses voisins interrogés par les enquêteurs, ne trouvait plus de consolation que dans la lecture de Schopenhauer, la musique de Schumann, et les promenades solitaires dans la nature. Selon le médecin légiste, ce suicide serait un cas typique de « quête infructueuse et vaine d'un savoir sur la mort ». « Le suicide, précise-t-il, peut en effet être considéré comme une expérience, une question que l'homme pose à la Nature en essayant de la forcer à répondre, mais c'est une expérience maladroite, car elle implique la destruction même de la conscience qui pose la question et attend la réponse. » Le désespéré paraît donc avoir été victime d'une incroyable erreur de raisonnement. (Le Parisien, 11 janvier 2018)


(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)

Un aimable divertissement


« Je ne m'amuserai point, à l'exemple de l'auteur de l'Égide de Pallas, à prouver l'excellence de l'homicide de soi-même par son ancienneté ou par le rapport qu'il peut avoir avec quelques traits de l'histoire ancienne ; je n'en ferai point remonter l'origine au siège de Troie, et je n'en attribuerai point l'invention à Palamède ; je me contenterai donc simplement de dire que c'est un passe-temps des plus récréatifs et des plus amusants, par la variété des incidents qui s'y rencontrent — ainsi lorsque la corde casse ou que la mèche fait long feu —, et par la multitude des combinaisons qu'il permet. La découverte que l'on y fait tous les jours de nouvelles finesses prouve qu'il n'est point d'exercice plus étendu et plus intéressant que l'homicide de soi-même. » (Essai sur l'homicide de soi-même dit « à la Polonoise », par le Sieur Manoury, Bruxelles, Le Francq, 1796)

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)