« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
lundi 3 septembre 2018
Une engeance diabolique
Le mathématicien Euler s'élève dans maints de ses écrits aux plus hautes vérités théologiques, comme en témoigne le passage suivant : « Les esprits forts se moquent quand ils entendent parler des diables : mais comme les hommes ne sauraient prétendre être les meilleurs de tous les êtres raisonnables, ils ne sauraient non plus se vanter d'être les plus méchants ; il y a sans doute des êtres beaucoup plus méchants que les hommes les plus méchants, et ce sont les diables. » — Gragerfis, qui cite ces mots d'Euler dans son Journal d'un cénobite mondain, ajoute que les diables excellent à prendre une apparence presque humaine, en particulier celle de dondons acariâtres.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Corymbe
Le chef bohémien, me voyant quelques dispositions à me fâcher, voulut donner un autre tour à la conversation et dit : « Si la société le trouve bon, je continuerai l'histoire que j'avais commencée hier. » Rébecca dit que rien ne pouvait lui être plus agréable, et le chef commença en ces termes :
« Le corymbe (latin corymbus, du grec korumbos, grappe) est une inflorescence dont les pédoncules naissent de différents points de la tige et s'élèvent tous à peu près à la même hauteur. — "Tandis que je me vautrais dans une inaction propice à l'annihilation du Moi, un gel tardif a rôti mes blancs corymbes." »
Ici, le chef des Bohémiens s'arrêta et, prétextant un besoin pressant, disparut derrière un buisson.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Le Grand Jeu
« Sans le savoir, l'homme du nihil était pris dans un engrenage fatal. Après le jeu dangereux et les émotions du commerce avec le Rien, on se résigne rarement à accepter la vie rangée du petit épicier de Montrouge ou celle du paisible employé. Il faut, pour en arriver à cette sagesse, le poids des années sous lequel on sent la vanité de toutes choses... Mais il n'avait alors que trente-huit ans. »
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Herméneutique
L'homme déféquant, au terme de son affaire, rencontre tout naturellement, alors qu'il se reboutonne, l'instance de l'herméneutique (dont le thème directeur est, faut-il le rappeler, l'ouverture du sens par la situation).
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Des célibataires endurcis
Selon toute apparence, les policiers Dupond et Dupont sont des « vieux gars » et on les imagine bien, à l'automne de leur vie, en route vers l'hospice de Gouyette pour y couler des jours paisibles. Mais les deux virtuoses du contrepet supporteront-ils l'ambiance austère qui règne dans cet hospice dirigé par des sœurs ? Et ces dernières pourront-elles se faire à leur humour absurde et pince-sans-rire ? Rien n'est moins sûr...
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Cloporte
Dans son roman Alectone, Edmond-Henri Crisinel — le « Nerval vaudois » — se livre à une analyse impitoyable du « mode d'être » de l'humain et montre qu'il peut prendre la forme la plus paradoxale, sinon la plus irrationnelle de la tragédie : celle où l'haeccéité paraît à la fois inévitablement subie et librement voulue, comme dans le théâtre antique et dans le chant du harpiste de Wilhelm Meister (au dire de Maurice Nédoncelle).
Dégoûté du brouillamini de l'existence et de la méchanceté des hommes, son héros, qui a inspiré des générations de suicidés philosophiques, finit par « faire le mort, comme un cloporte ».
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
dimanche 2 septembre 2018
Une étendue désolée
La plaine caillouteuse qui s'étend au sud de l'Atlas passe à juste titre pour être très dangereuse, mais le plus redoutable de tous les déserts est sans conteste le désert de Gobi de l'existence.
Il n'oppose pas seulement aux voyageurs ses sables arides et ses chaleurs excessives ; mais les animaux les plus féroces le parcourent, ainsi que de hideux anthropopithèques en survêtement. La seule végétation qui s'y développe est la pensée de l'homicide de soi-même.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Ésaïe, chapitre 53
« Tel un rejeton qui sort d'une terre desséchée, l'excrément n'avait ni beauté, ni éclat pour attirer nos regards. Et son aspect n'avait rien pour nous plaire. Méprisé et abandonné des hommes, créature de douleur et habituée à la souffrance, semblable à celui dont on détourne le visage, nous l'avons dédaigné, nous n'avons fait de lui aucun cas. Cependant, ce sont nos souffrances qu'il a portées. C'est de nos douleurs qu'il s'est chargé ; et nous l'avons considéré comme puni, frappé de Dieu et humilié. On a mis son sépulcre parmi les méchants, quoiqu'il n'eût point commis de violence et qu'il n'y eût point de fraude dans sa bouche. »
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Du cas
Jadis, le vocable « cas » avait, parmi d'autres, le sens de déjection, d'excrément. Il a fait son cas au pied d'un mur. Mais il pouvait aussi désigner le fondement ou les parties sexuelles. On trouve ainsi chez Huysmans, dans Là-bas : « ... il [le diable] donnait à mâcher ces dégoûtantes espèces aux fidèles qui lui avaient préalablement baisé la main gauche, le cas et le croupion. »
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
À cent à l'heure
Les suicidés philosophiques vieillissent rapidement et meurent avant l'époque ordinaire de la caducité.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Un radical quinquet
L'homme n'a de lumière que celle qu'il emprunte du Rien, affirme l'évêque Théophane le Reclus dans l'une de ses Lettres de direction spirituelle. Et il est de fait, comme peut en témoigner l'homme du nihil, que le Rien est la lumière universelle, il est le flambeau qui éclaire tout homme qui vient dans le monde. Illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Détestation exhaustive
L'homme du nihil, excédé qu'il est par les mauvaises manières du monstre bipède, appelle l'exécration sur le genre humain tout entier, se montrant en cela plus radical que le sévère et consciencieux Tacite qui ne l'appelait que sur les Néron et les Tibère, non sur le peuple romain dans son ensemble.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Une figure de carême
À tout moment, le suicidé philosophique se croit au terme de sa vie d'ici-bas, au seuil de la mort et de la vérité suprême, et l'examen de conscience qu'il fait incessamment l'affuble d'un rictus qui épouvante les foules. Charles Du Bos, qui l'a rencontré en mai 1923, à Londres, au congrès du Pen-Club, en esquisse dans son Journal ce portrait dépourvu d'aménité : « Le suicidé philosophique, dans la coupe du visage, le teint, le regard, relève du régime de pain et d'eau d'une prison qui doit être située près de Genève. » (T. I, p. 273)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Vivre
Lorsque je vis que le monde s'assemblait à la grotte, je m'y rendis aussi. L'on se pressa de déjeuner et Rébecca fut la première à demander au chef Bohémien de reprendre son histoire. Il ne se fit pas prier et commença en ces termes :
« Quand j'entends le mot "vivre", je sors mon revolver ou du poison. »
Comme le chef bohémien en était à cet endroit de son récit, un Bohémien vint lui parler d'affaires. Il se leva et nous demanda la permission de remettre au lendemain la suite de son histoire.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Vocation
Chez certains individus, la pachyméninge ne connaît jamais de calme plat et c'est en permanence que la pensée de se détruire « siffle et souffle dans la mâture ». L'écrivain italien Cesare Pavese était de ceux-là.
Dans son journal intime, découvert après sa mort et publié sous le titre Il mestiere di vivere (Le métier de vivre), il affirme avoir eu de tout temps une vocation suicidaire : « C'est seulement ainsi que s'explique mon actuelle vie de suicidé. Et je sais que je suis pour toujours condamné à penser au suicide devant n'importe quel ennui ou douleur. C'est cela qui me terrifie : mon principe est le suicide, jamais consommé, que je ne consommerai jamais, mais qui caresse ma sensibilité. » Le 27 août 1950, dans une chambre d'hôtel de Turin, Pavese met pourtant fin à ses jours en absorbant une vingtaine de cachets de somnifère. Il laisse sur sa table un dernier texte, La mort viendra et elle aura tes yeux, terminé par « Assez de mots. Un acte ! »
Selon Gragerfis, ce seraient « une sensibilité morale exacerbée » et « une capacité d'autoanalyse sans complaisance et sans concession sur le plan esthétique » qui auraient porté Pavese à son geste ultime.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Capharnaüm
Ses hontes, ses faiblesses, sa crainte clairvoyante de lui-même, l'homme du nihil les conserve dans un musée secret toujours gardé par un molosse aux babines saignantes — son Moi —, et ce musée renferme aussi « la pensée de la mort, les heures mélancoliques et le sombre jardin » 1. C'est là le lieu de toutes les ombres et de toutes les vagues certitudes que seule l'idée du Rien parvient à dissiper ou à déplacer dans l'âme du moment.
1. Il n'y manque que la chaise percée du dalaï-lama !
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Un original
« L'Inde a une multitude de santons ou fakirs, c'est-à-dire de gens qui se sont retirés du monde, et elle en a de toutes les couleurs. Le nombre des fakirs mahométans qu'on y trouve s'élève à huit cent mille, et celui des païens à douze cent mille », nous dit le médecin, botaniste et philosophe suisse Johann Georg Zimmermann dans son livre De la solitude paru en 1756.
Le fakir Cipaçalouvishni est l'un de ces excentriques « santons ». Il semble défier la douleur. Rien ne lui fait peur : ni le verre brisé sur lequel il saute avec entrain, ni les lames aiguisées qui lui percent le corps, ni même la terrifiante haeccéité dont, comme tant d'autres, il doit porter le joug.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
samedi 1 septembre 2018
Un mollusque trapu
Comment ne pas être d'accord avec le peintre Salvador Dali quand il affirme que l'idée du Rien « possède l'élasticité moléculaire de l'escargot et, tout à la fois, la consistance de la gare de Perpignan » ?
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Manie suicide
Armé d'un couteau de cuisine, j'élis avec le seul génie et l'avare silence et la massive nuit.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Renaissance
Quoiqu'il ne soit pas un humaniste — c'est peu dire ! — l'homme du nihil se voit comme « le dernier homme de la Renaissance, avec votre permission » et se croit en droit de disputer le titre de « représentant majeur du néoplatonisme médicéen » à Marsile Ficin.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Agent de change
Voyant que l'on prenait le chemin de la grotte pour y déjeuner, je dirigeai mes pas du même côté. Nous mangeâmes comme des gens qui avaient dormi à l'air des montagnes et, lorsque notre appétit fut satisfait, nous priâmes le chef bohémien de reprendre le fil de son récit, ce qu'il fit en ces termes :
« L'homme du nihil éprouve à vivre le dégoût qu'un esthète aurait à visiter l'intérieur d'un agent de change. »
Comme le chef bohémien en était à cet endroit de son récit, il se rappela une affaire qui exigeait sa présence et nous demanda la permission de se retirer.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Paléontologie nihilique
« Mon goût pour l'étude du Rien m'avoit fait recueillir dès mon enfance, dans des couches anciennes des environs de Caen, des ammonites, des cypricardes, des pintadines et d'autres coquilles aussi vides de sens que je l'étois moi-même dans ma pâteuse redingote d'haeccéité. » (Jacques Louis Marin Defrance, Tableau des corps organisés fossiles, Levrault, Paris, 1824)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Paranoïa philosophique
« Au début de sa carrière, le philosophe est exclusivement préoccupé des intérêts de ce qu'il nomme la "vérité", qu'il croit incessamment compromise.
Plus tard, après qu'il a créé quelques concepts, il s'aperçoit que ces derniers ont une incidence nulle sur la réalité empirique, et à peu près autant d'utilité qu'un clystère dans le traitement d'un panaris. On le voit devenir inquiet, fantasque, impérieux, et singulièrement irritable ; il change ses habitudes, modifie son hygiène, ne se lave plus les pieds, etc. Il en vient à supposer que ses aliments sont empoisonnés, ou tout au moins qu'ils renferment des substances qui lui occasionnent des sensations pénibles.
Des hallucinations surgissent alors, et c'est dans cette période de la maladie que l'on observe une infinité de suicides, auxquels les "amis de la sagesse" sont poussés par la crainte de subir des supplices terribles, et pour se préserver du déshonneur et de l'infamie : or, chose remarquable, presque tous les philosophes ont une terreur invincible de la mort. » (D. Aubert, De la démence, Paris, Rignoux, 1862)
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Solipsisme existential
Ce « kiosque dans le Kamtchatka du néant », qui a nom le Moi.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
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