« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
mardi 18 septembre 2018
Poire
Le lendemain, le Bohémien, qu'une décoction d'herbes préparée par le cabaliste avait remis sur pied, put reprendre son histoire en ces termes :
« La poire est un fruit des plus savoureux, comme le nihil. On en fait des compotes et des confitures. Il existe d'innombrables variétés de poires que l'on classe d'après leur destination et l'époque de leur maturité. Il y a le doyenné, le beurré, la crassane, la bergamote, la duchesse, la louise-bonne, le bon-chrétien, la fondante, etc. »
Mais il ne put aller plus loin, car une affaire urgente réclamait sa présence parmi les gens de sa horde.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Cercle vicieux
Toute l'histoire du constipé est celle d'une issue impossible, toute son existence tend vers une libération que cette tension même empêche.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Distractions variées
Il existe plusieurs façons de dissiper l'ennui, cette complication de la funeste maladie qu'on nomme l'existence. Tandis qu'un ciel azuré, des sites pittoresques et des campagnes verdoyantes suffisent à la plupart des individus, d'autres ont besoin d'un flacon de taupicide ou d'une corde de violoncelle pour se soustraire aux tristes préoccupations qui les poursuivent.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Définitions du Moi
En psychanalyse freudienne et kleinienne, le Moi est « une instance qui aménage les conditions de satisfaction des pulsions en tenant compte des exigences du réel ». Son rôle initial est, toujours dans l'interprétation freudienne et kleinienne, d'établir un système défensif à la Vauban entre la réalité externe et les « exigences pulsionnelles ».
L'homme du nihil, lui, décrit plus simplement le Moi comme son fléau, un « sinistre polichinelle » qui l'accable de ses singeries et tente incessamment de le ridiculiser. Mais... rira bien qui rira le dernier, grommelle-t-il en fourbissant son revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
lundi 17 septembre 2018
Affectation
Hormis peut-être l'haeccéité, l'homme du nihil ne sait rien de plus horripilant que les correspondances littéraires. On s'y pousse du col, on essaie de « faire écrivain », chaque phrase semble dire « voyez comme je suis original et profond ! » En un mot, on veut, comme l'ontologue Heidegger, « péter plus haut que son fondement de l'historialité du Dasein ». — « Avant-hier, je suis allé près de Saint-Michel de Brasparts — rappelez-vous — déjeuner avec Louis Guilloux, que le grand vent a failli suffoquer. Mais toujours vert, et cachant sous une gouaille protectrice une lourdeur sanglotante sur laquelle ne pas trop se pencher. » — « Je t'en foutrai, moi, dit l'homme du nihil, des "gouailles protectrices" et des "lourdeurs sanglotantes" ! »
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Désuétude
« Excrémentiel n'est plus guère usité. » (Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, 1872-1877).
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Sentiment d'évidence
Certains « cigares japonais » bien conformés s'imposent avec une telle évidence qu'ils passent imperceptiblement du règne de l'art à celui de la nature : on a beau savoir qu'un hasard, une occlusion, un manque de fibres, solubles et insolubles, eût pu les empêcher de naître, ils font partie intégrante de notre univers au même titre que les données concrètes de notre géographie physique et mentale.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Ossu
Pressentant que les aventures du Bohémien touchaient à leur fin, nous attendîmes le soir avec d'autant plus d'impatience, et écoutâmes encore plus attentivement lorsque le chef reprit son récit en ces termes :
« L'adjectif "ossu", peu usité, s'emploie à propos de qui a de gros os : une femme ossue. »
Arrivé à cet endroit de sa narration, le chef bohémien, pris de terribles crampes d'estomac, nous demanda la permission de remettre la suite de son récit au lendemain.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Êtres ambigus
N'étant équilibrés ni horizontalement ni verticalement, les suicidés philosophiques sont des êtres ambigus qui, par leur organisation exceptionnelle, semblent devoir être classés dans le groupe qui rassemble presque tous les cheiroptères, quelques insectivores fouisseurs, les pachydermes proboscidiens, et quelques tatous.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Un ratage tragique
À la question : « pourquoi la mort ? », le médecin pythagoricien Alcméon répondait : « Si les humains déclinent, c'est parce qu'ils n'ont pas la force de rattacher le commencement à la fin. » Quiconque y parviendrait, concluait-il, serait immortel.
Malgré tous ses efforts, le poète argentin Leopoldo Lugones n'y parvint pas. À soixante-trois ans, sa belle moustache « en guidon de vélo » s'avère incapable de le protéger plus longtemps du désespoir et il met fin à ses jours le 18 février 1938 dans une chambre de l'hôtel El Tropezón, à Tigre, en buvant un mélange de cyanure et de whisky.
De façon un peu grandiloque, Gragerfis, prétend qu'« il sentit au plus profond de lui que la réalité n'est pas verbale et qu'elle peut être incommunicable et atroce, et il s'en fut, taciturne et seul, chercher la mort, dans le crépuscule d'une île. »
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Aveuglement sceptique
D'après Jamblique, Pyrrhon disait qu'il n'y avait aucune différence entre vivre et être mort et, comme un mauvais plaisant lui demandait un jour : « Pourquoi donc ne meurs-tu pas », il répondit : « Parce que cela ne fait aucune différence ».
Ainsi, et aussi incroyable que cela puisse paraître, le fondateur du scepticisme ne connaissait pas — contrairement au sculpteur Giacometti — le si terrible tragique d'être ceci ou cela ! L'haecceité, il « s'assoyait dessus » ! Il faut se pincer !
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
dimanche 16 septembre 2018
Franc parler (suite)
« Vous êtes bien heureuse d'aller chier quand vous voulez ; chiez donc tout votre chien de soûl. Nous n'en sommes pas de même ici, où je suis obligée de garder mon étron pour le soir ; il n'y a point de frottoir aux maisons du côté de la forêt. J'ai le malheur d'en habiter une, et par conséquent le chagrin d'aller chier dehors, ce qui me fâche, parce que j'aime chier à mon aise, et je ne chie pas à mon aise quand mon cul ne porte sur rien. Item, tout le monde nous voit chier ; il y passe des hommes, des femmes, des filles, des garçons, des abbés et des suisses. Vous voyez par là que nul plaisir sans peine, et que, si on ne chiait point, je serais à Fontainebleau comme le poisson dans l'eau. » (Lettre de la princesse Palatine à sa tante Sophie, datée du 9 octobre 1694)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Gorille
Le lendemain, nous attendîmes le soir avec impatience. Lorsque le Bohémien parut, nous étions rassemblés depuis longtemps. Heureux de l'intérêt que nous lui marquions, il ne se fit pas prier et continua sa narration en ces termes :
« Singe anthropoïde de l'Afrique équatoriale, le gorille est le plus grand de tous les primates ; sa taille dépasserait pour un peu celle de l'homme, mais il est plus massif, avec des bras énormes et des jambes courtes. Sa robe est noire. Il est craintif, peu intelligent ; il fuit l'homme, mais il se défend avec une énergie féroce quand il est blessé. On le dirait hanté par l'idée du Rien, tant les forêts où il vit sont humides et impénétrables. »
Le moment étant venu de s'occuper des affaires de sa horde, le Bohémien nous quitta, et remit la suite de sa narration au lendemain.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Un grandiose isolement
Parce qu'il trouve ses contemporains vomitifs, l'homme du nihil commerce exclusivement avec quelques grandes figures du passé, de celles qui ont laissé un nom dans les annales de l'homicide de soi-même : les Nerval, les Trakl, les Weininger, les Caraco, etc. Avec son temps, il ne communique pas — et personne ne se risque à franchir la pampa de dégoûtation au centre de laquelle il trône, guère plus engageante, il faut l'avouer, que « les espaces de sable autour des Bouddhas rupestres ou des statues de l'Égypte ».
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Métaplaque métallique
Le 9 février 1994, le poëte Ghérasim Luca met fin à sa pondéreuse existence en se jetant dans la Seine « puisqu'il n'y a plus de place pour les poètes dans ce monde » comme il l'écrit dans une lettre d'adieu. À vrai dire, son travail manifestait depuis le début une véritable « obsession de la mort sous toutes ses formes », au dire de Gragerfis qui ne se montra donc pas autrement étonné.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Fulgurance
« Il arrive qu'on interprète l'excrément comme une fatalité, au sens où la fatalité fulgure dans la mythologie grecque, n'est-ce pas ?
— Oui. Cela est vrai. La fatalité y fulgure. »
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Comme ci et comme ça
Contraint et forcé par l'exécrable haeccéité, j'établis ma demeure dans la fange suspecte du particulier.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Mauvais coucheurs
Comme les empiristes logiques sont très susceptibles et délicats sur le fait des injures, il est bon d'éviter leur rencontre, et — s'il faut en croire Froude — les voyageurs qui fréquentent leur contrée allument de grands feux la nuit et battent de la caisse pour les empêcher d'approcher.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Échec
Le soir, le Bohémien reprit son récit en ces termes :
« Candidat toujours recalé au suicide compulsif... »
Lorsque le Bohémien eut dit ces mots et comme nous tendions tous l'oreille, curieux de ce qui allait arriver, un homme de sa horde vint l'entretenir des affaires de la journée. Le chef nous quitta et nous ne le revîmes plus de la soirée.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Comédie larmoyante
On croyait avoir perdu toutes ses illusions, et voilà-t-il pas qu'un matin, au sortir d'un rêve agité, on s'éveille transformé en une véritable vermine ! Le temps a fait son œuvre et l'on se découvre, avec son mufle raviné, sa bedaine et son crâne déplumé, un objet d'horreur pour soi-même et de rigolade pour l'omnitude, cette omnitude que l'on a toujours méprisée, mais dont le regard ! le regard !... Ou pis encore le non-regard, car on est devenu un « vieux schnoque », autrement dit un homme transparent comme les habitants de Thulé (d'après Hérodote) !...
Ô vanité des vanités ! Ô rictus bestial de l'existence !
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Franc parler (suite)
« Je le pardonne à des crocheteurs, à des soldats aux gardes, à des porteurs de chaise et à des gens de ce calibre-là. Mais les empereurs chient, les impératrices chient, les rois chient, les reines chient, le pape chie, les cardinaux chient, les princes chient, les archevêques et les évêques chient, les généraux d'ordre chient, les curés et les vicaires chient. Avouez donc que le monde est rempli de vilaines gens ! Car enfin, on chie en l'air, on chie sur la terre, on chie dans la mer. Tout l'univers est rempli de chieurs, et les rues de Fontainebleau de merde, principalement de la merde de suisse, car ils font des étrons gros comme vous, Madame. » (Lettre de la princesse Palatine à sa tante Sophie, datée du 9 octobre 1694)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
samedi 15 septembre 2018
Solipsisme attributif de l'urbain diffus
On sait que le solipsisme est une attitude philosophique d'après laquelle il n'y aurait pour le sujet pensant d'autre réalité certaine que lui-même. Ce que l'on sait moins, c'est que cette « vision du monde » a causé des dégâts considérables dans le domaine de l'urbanisme. Le géographe Augustin Berque en trace le tableau suivant : « La décomposition des paysages urbains par les formes solipsistes du mouvement moderne, par exemple, exprime ainsi une désurbanité profonde : un rejet de l'être-en-commun et du souci d'autrui dont la notion d'urbanité dit si éloquemment qu'ils s'exprimaient par excellence dans la cité. [...] L'être-vers-la-mort caractérise le solipsisme attributif de l'urbain diffus où l'on ne se soucie pas de transmettre un monde soutenable aux générations futures. »
« Voilà qui est à peine croyable ! », note Gragerfis dans son Journal d'un cénobite mondain avant de prescrire « un petit clystère, un petit clystère, bénin, bénin », pour « restaurer l'être-en-commun de la notion d'urbanité » et « éradiquer le solipsisme attributif de l'urbain diffus ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
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