lundi 21 octobre 2024

À bas Barthes


La vie, ç'aurait peut-être été supportable s'il n'y avait pas eu toute cette bêtise. Nous en voulons particulièrement à Gaëtan Picon. En matière de bêtise, les intellectuels sont les pis.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Harangues

 

Les harangues de Salluste sont d'une force, d'une vivacité, d'une éloquence auxquelles on ne saurait rien ajouter. Pour haranguer aussi bien que Salluste, il faut se lever de bonne heure. Ce n'est même pas la peine d'essayer, en fait. Alors puisque c'est comme ça, oublions les harangues et écoutons plutôt le Grandiloque, qui conseillait de rester allongé et de gémir. Il n'y a rien de tel pour entrevoir l'essentiel, d'après lui. C'est bath.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

dimanche 20 octobre 2024

Dialogue avec la mort

 

Quand la mort se présenta devant lui, l'écrivain Pavese lui dit qu'elle était si belle que la regarder était une souffrance. La mort, surprise, lui rappela que pas plus tard que la veille il disait que c'était une joie. Piqué au vif, il rétorqua que c'était à la fois une joie et une souffrance. Elle déclara alors que tout ça était bien gentil mais qu'il allait falloir y aller ; qu'il n'était plus l'heure de faire des phrases.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Écrasement du « conscient intérieur »

 

Quand vous êtes malade au point de devoir rester assis dans un fauteuil, courbé en avant, pâle, l'œil hagard, la parole et la respiration entrecoupées, quand le moindre mouvement vous arrache des cris de douleur, vous ne pouvez réfléchir avec toute la sérénité voulue à la notion de souci chez Heidegger. La masse rouge du viscère bouche votre horizon mental et écrase votre « conscient intérieur » comme ferait une énorme valise en cuir de vache.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Barszcz

 

Beaucoup d'auteurs ont essayé, sans vraiment y parvenir, de fixer notre attention sur un mets polonais nommé barszcz. C'est une soupe composée d'orge ou de gruau, cuits avec des carottes ou des choux acides, et qui, paraît-il, forme un mets aussi sain qu'agréable au goût. Mais nous, la seule chose qui nous intéresse, c'est que nous allons clamecer — alors le « barszcz »...
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Conseil au désespéré

 

Dans sa Pharmacopée chirurgicale théorique et pratique (Hérissant le Fils, Paris, 1771), Jean Nicolas explique ce qu'il faut faire quand on a perdu tout espoir : « Prenez un scrupule de résine jaune, cinq grains de rhubarbe, dix grains de conserve de roses rouges, et du sirop simple autant qu'il en faut. Mêlez et formez-en un bol. Ensuite... Ensuite... Ma foi... Euh... » — On voit le genre.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

samedi 19 octobre 2024

Gros lobule

 

Le docteur Frigerio, directeur de l'asile d'aliénés d'Alexandrie, dit avoir observé, à la prison de Pesaro, un criminel fou homicide à type félin qui avait un énorme lobule de l'oreille — ce qui pourrait laisser penser qu'il existe un lien entre l'hypertrophie du lobule et vous-savez-quoi.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Épreuve de vérité

 

Pour pénétrer quelqu'un, pour le connaître vraiment, il suffit de voir comment il réagit à la phrase « Guy Debord est un con ». S'il s'offusque, s'il émet des objections, pis, s'il fait du barouf, inutile de continuer : il est lui-même un con.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Ignorement de Marguerite Urcelar

 

Ce n'est pas Marguerite Urcelar mais le siège de Potidée qui fut, selon Thucydide, l'une des causes majeures du déclenchement de la guerre du Péloponnèse. L'historien ne parle même pas de Marguerite Urcelar. Il préfère l'ignorer, et c'est ce que nous devrions tous faire si nous avions un minimum de jugeote.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Vents à la Saint-John Perse

 

Quand Heidegger souffrait de constipation conceptuelle opiniâtre, il rendait des vents très fétides, d'après Hannah Arendt. Or justement, Hippocrate dit que si le malade rend des vents très fétides, il doit se servir d'un suppositoire ou de lavements jusqu'à ce que les excréments soient descendus dans les intestins inférieurs. Et bien sûr, boire de l'oxymel. Pourquoi Heidegger ne le faisait-il pas ? Mystère.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

vendredi 18 octobre 2024

Sans issue

 

Husserl a raison à propos de la conscience : il est bien le cas que toute conscience est conscience de quelque chose. Il n'y a rien à faire, on ne peut pas en sortir. On peut imiter Henri Michaux et fumer de la « beuh » ou du « shit », ça ne change rien. D'où la question : quel est l'intérêt de fumer de la « beuh » ou du « shit », si c'est comme ça ?
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Dénombrement

 

Depuis qu'il a été fait cardinal, monseigneur Vingt-Trois peut servir à désigner le nombre d'éléments d'un ensemble (il y en a exactement vingt-trois).
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Presbytie

 

Lorsque, même en clignant des yeux, l'homme n'arrive plus à distinguer les herbes des Vosges, il est forcé de constater que le cercle de ses jours s'avance et que son être va bientôt revenir à sa source primitive : le Rien.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Un gars bruyant

 

Né en 1883 à Paris, mort en 1965 à New York, Varèse a traversé son siècle comme un marginal et un solitaire, selon le mot de Pierre Boulez. Mais le bruit qu'il a fait, pour un marginal et un solitaire ! Inimaginable. Des sirènes, des bruits de camion, des rugissements... Qu'est-ce que ç'aurait été s'il avait été sociable... On frémit rien que d'y penser.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

jeudi 17 octobre 2024

Conseils à un jeune poëte


« Tu peux écrire des poëmes, ça ne fait de mal à personne et à vrai dire tout le monde s'en tamponne le coquillard ; mais tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras certainement. Non mais tu écoutes ce que je dis, là ? Bon sang ! Il n'écoute même pas, le con ! »
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Solitude du normal

 

Quand on croit déceler dans chaque personne que l'on rencontre les symptômes de la démence, on commence par se sentir soulagé de ne pas être semblable à ces mabouls, et puis très vite on se sent « seul comme Franz Kafka ». Alors pour ne plus y penser, on se lance dans les préparatifs d'une noce à la campagne ou on écrit une « lettre au père ».
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Des méchants

 

Ce qui rend les écrivains comiques, ce sont les efforts qu'ils font pour trouver quelque chose d'intéressant et de profond à raconter. Regardez-les patauger ! En plus, ils n'ont pas compris que l'intéressant ne nous intéresse pas. Et le profond encore moins. Aux chiottes, l'intéressant et le profond ! Aux doubles-vécés ! Nous, ce qu'on veut, c'est des méchants. Des méchants, compris ? Ce n'est quand même pas compliqué !
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Self-control

 

Chacun, une fois dans sa vie, a eu la tentation d'envahir un pays — sans que ce soit d'ailleurs nécessairement la Pologne. Oui mais voilà : un homme, ça s'empêche (comme l'a dit fort justement Albert Camus).
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

mercredi 16 octobre 2024

Tout ça pour ça

 

Quand on y réfléchit, Commode avait le droit d'être furax. Échapper au poignard de Quintianus, à celui de Quadratus, au complot de Maternus, pour finir étouffé par un esclave — le fameux « athlète Narcisse » —, il y avait de quoi l'avoir sec.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Humilité du poil de fiak


 
Préposé à la régulation thermique du Dasein, le poil de fiak fait son travail en silence, modeste rouage de la grande machine de l'univers.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Tuf de Pausilippe

 

Si vous voulez vous procurer du tuf de Pausilippe, allez faire un tour du côté des champs Phlégréens. C'est dans le golfe de Pouzzoles, au nord-ouest de Naples. Là-bas, du tuf de Pausilippe, il y en a en veux-tu en voilà. Mais attention, il peut y avoir des inclusions de piperno, dans ce tuf. Et les inclusions de piperno, c'est comme l'existence, ça fait mal au fiak.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Démenti

 

Dans sa chanson Les Copains d'abord, Georges Brassens affirme que son bateau favori, celui qui « naviguait en père peinard sur la grand mare des canards », n'a jamais congédié le célèbre situationniste Guy Debord, ni même envisagé de le faire. Il s'agit selon lui d'une rumeur absurde.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

mardi 15 octobre 2024

Congédiement de Debord

 

Dans son Navigateur en solitaire, Joshua Slocum raconte qu'à un moment de sa traversée, à la fois pour éviter une baleine et parce qu'il n'en pouvait plus de la suffisance de l'auteur de la Société du spectacle, il vira Guy Debord (de son esquif, comprenons-nous).
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Un champion du concept


Les bonnes années, le philosophe Gilles Deleuze pouvait produire jusqu'à une grosse de concepts, ce qui correspond à une moyenne de presque trois concepts par semaine. Foucault, Derrida, Lyotard, Kristeva étaient loin, très loin derrière. Et attention : que du fait main, pas du made in China. Du solide, du qui vous fait de l'usage. Le rhizome, le pli, la machine-organe... Des concepts comme ça, on n'en fait plus, ce ne serait pas rentable.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Hallucination

 

La vie, la réalité empirique, l'autrui lévinassien, il est douteux que tout cela soit un rêve. Calderón doit se tromper. Il s'agit plus sûrement d'une maladie de la « calebasse ». Quelque cochonnerie — un streptobacille ? un spirochète ? — fait qu'on voit des choses qui ne sont pas. Pourvu que ce soit ça !
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Un rêve impossible

 

Si l'on pouvait, à soi seul, constituer un genre dans la nomenclature binominale de Linné, on aimerait que ce genre terminât les myriapodes et la branche isolée des arachnides crustacéens. Mais c'est compliqué, il faudrait connaître des gens, et puis ça risquerait de créer un sacré chambard. Il vaut sans doute mieux ne plus y penser.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

lundi 14 octobre 2024

Barbares

 

Si quelqu'un, dans un esprit de prosélytisme, s'était avisé de porter l'idée du Rien chez les Gélons ou chez les Daces, il est probable qu'il se serait pris un coup de massue sur le cassis. Et pareil chez les Alains et les Sicambres. Tous croyaient dur comme fer au « quelque chose ». Et avec les barbares, il vaut mieux ne pas insister car ils pensent tout de suite que vous les avez « mal regardés ».
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Échec de la philosophie à dérider Foucault

 

Morose de nature, et même neurasthénique, Michel Foucault attendait de la philosophie qu'elle le déridât, mais cela ne se produisit pas. Il y a beaucoup de sa faute, à vrai dire, car il avait le don de choisir les thèmes les plus déprimants : la folie, la prison, la « mort de l'homme »...
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Contamination

 

À force de manipuler la réalité empirique avec ses gros doigts, la philosophie lui a communiqué une odeur nauséabonde, très désagréable, et qu'il est extrêmement difficile d'éliminer. Même les acides végétaux sont sans effet. Bravo, les philosophes, ça c'est du boulot.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)