Veinards

 

Heureux qui comme Luc Pulflop pense que le réel n'existe pas. Ou comme cestuy-là qui conquit la toison, mais c'est encore autre chose.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

A hard-to-please philosopher

 

Pascal ne pouvait sacquer que les individus qui cherchent en gémissant. Les autres, ceux qui cherchent sans gémir, ou qui gémissent sans chercher, ou ni l'un ni l'autre, il ne pouvait pas les blairer.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Impératif catégorique

 

Pour Gilles Deleuze, se jeter par la fenêtre était un impératif catégorique, conforme à la règle énoncée par Kant : « Agis de telle sorte que le principe de ton action puisse être érigé en loi universelle. » Mais il y voyait un autre aspect intéressant : en se jetant par la fenêtre, on s'inscrit dans une critique de la philosophie eudémoniste propre à plusieurs auteurs antiques, notamment Aristote, selon laquelle le bonheur serait le souverain bien et la fin ultime de l'existence humaine.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Coupure épistémologique

 

Le 16 novembre 1980, le philosophe Althusser étrangle sa bonne femme dans l'intention de lui prouver : premièrement, qu'il existe bien une « coupure épistémologique » (entre le jeune Marx des Manuscrits de 1844 et celui du Capital — dont la première partie est publiée en 1867) ; et deuxièmement, que « l'histoire est un processus sans sujet » (affirmation qui contredit l'interprétation orthodoxe du marxisme selon laquelle le prolétariat est le sujet de l'histoire). Sa démonstration est un fiasco total et il est arrêté par la police.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Entre ici, Moulinot

 

« Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d'exaltation dans le soleil d'Afrique, entre ici, Moulinot, avec ton terrible cortège d'articles de pêche. Ici, c'est-à-dire dans ta boutique située place du Marché, à Cajarc ; ici, où tes conseils aux acheteurs sont murmurés comme un chant de complicité, puis psalmodiés dans le brouillard des Vosges et des bois d'Alsace, mêlés aux cris perdus des moutons des tabors. »

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Surdité des ouvriers et des paysans

 

Ohé ! Partisans ! Ouvriers et paysans ! C'est l'alarme ! Vous êtes sourds ou quoi ? Vous avez une banane dans l'oreille ? Magnez-vous un peu !

— Parle plus fort, nous avons une banane dans l'oreille. 

 

Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Bachelard fait l'andouille

 

Dans ses premiers livres, Bachelard reprend le modèle brunschvicgien de l'histoire des sciences, qu'il décrit comme un dialogue de la raison avec l'expérience. Jusque-là, rien à dire, mais voilà-t-il pas qu'il se convertit à la psychanalyse jungienne et se met à faire l'andouille avec des livres sur l'eau, le feu, etc. ! C'est dingo, ça, c'est complètement dingo ! Quelle mouche l'a piqué ? 

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

En camping avec Ernest Hello

 

Il vaut mieux ne pas partir en vacances avec Ernest Hello car il ne sait parler que des mystiques rhénans et au bout d'un moment ça fatigue. Il ne veut jamais jouer aux boules. Dans le genre pisse-froid, on ne voit guère d'analogue à cet écrivain désorbité que le solitaire Pascal.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Jugement brunschvicgien

 

« Sur le soir, comme nous nous trouvions rassemblés à l'ombre d'un figuier de Barbarie et que le chef des Bohémiens paraissait de loisir, Rébecca lui demanda la suite de son histoire, et il en reprit le fil en ces termes : “Le concept brunschvicgien par excellence est celui de jugement.” Comme il en était à ce point de son récit, un homme le vint interrompre pour l'entretenir des affaires de sa horde et nous dûmes patienter jusqu'au lendemain pour apaiser notre curiosité. » (Jan Potocki, Manuscrit trouvé à Saragosse)

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Quantité de souffrance (exprimée en joules)

 

En termes de souffrance, il n'y a que tant qu'on puisse infliger à un être humain. Mais ce tant suffit largement. Plus, ce serait de l'art pour l'art.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Appertisation du Moi

 

Il faudrait pouvoir garder sa jeunesse pour plus tard, la mettre à l'abri dans un récipient étanche et ne l'utiliser qu'au moment où l'on serait devenu moins bête. Malheureusement, la jeunesse, ça ne conserve pas, c'est à consommer tout de suite et justement quand on est bête.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Lecture risquée

 

Quand on entreprend de lire du Tchekhov, il vaut mieux être désespéré d'avance parce que sinon c'est un coup à s'en mordre les doigts.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Déception de Rée

 

À l'époque où il étudiait à l'Université de Leipzig, Paul Rée avait participé à une course de soldo. On avait le droit de trafiquer le moteur, mais il fallait conserver le système de transmission par galet. Il était arrivé dernier à cause d'une crevaison, ce qui l'avait fortement chagriné. Il en parle dans son Origine des sentiments moraux.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Absence de dérangement du Grandiloque

 

Quand il était frappé d'insomnie, le négateur Émile Cioran voyait le temps s'effondrer devant lui par paquets de secondes et de minutes, telle une falaise rongée par l'érosion. Ça lui flanquait un traczir à tout casser. Il en avait des palpitations. Mais dès qu'il était remis de ses frayeurs, il en faisait un usage littéraire, ce qui montre qu'il n'était pas dérangé, comme gars.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Barrès investit dans le foncier rural

 

Maurice Barrès aimait la terre et les morts. Il s'était acheté un petit lopin du côté de La Garenne-Colombes.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Voix intérieure

 

« Qu'as-tu fait, toi que voilà, pleurant sans cesse ? Hein ? Le con, voilà ce que tu as fait ! »

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Solénoïde

 

Nombreux sont les philosophes qui ont vu en la vie un dispositif constitué d'un fil électrique en métal enroulé régulièrement en hélice : un solénoïde (certains disent une bobine). Cette définition soulève des questions, mais elle a le mérite d'expliquer pourquoi la vie est pleine de répétitions kierkegaardiennes (c'est à cause de la forme en hélice).

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Temps libre

 

Disposer librement de son temps... Faire ce qu'on veut de ses journées... On en rêve, mais quand on le peut enfin, on s'aperçoit qu'on ne veut rien. Alors on peint des tableaux de peinture ou on écrit des aphorismes. La vie est d'une ironie, mon cher vieux...

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Maldonne

 

Émile Cioran aimait la calligraphie, la poésie de Li Po et le canard laqué. Il aurait voulu être sinologue comme Simon Leys. Mais il y a eu maldonne, et au lieu de ça il est devenu « rienologue ».

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Vérités cachées

 

Le Svidrigaïlov de Crime et châtiment a raison de dire que certaines vérités sont révélées au malade mais restent cachées à l'homme bien portant. « La vie est une grosse tourte de m... » en est un bon exemple.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Marmottes, rhubarbe et sens de l'existence

 

Le négateur Émile Cioran pense que les marmottes ont quelque chose de relatif à la rhubarbe. D'après lui, quand on aperçoit vingt ou trente pieds de cette plante, on peut être sûr de trouver plusieurs terriers de marmottes sous leurs larges feuilles. Il en tire, cela ne surprendra personne, des conclusions plutôt désenchantées.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Tertullianisme du monstre bipède

 

Plus le réel est absurde, plus le monstre bipède y croit. Il est comme Tertullien, en un sens : credo quia absurdum. Sauf que lui, en plus, il est con.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Trinité

Si Paul Dupert avait rencontré Raoul Dufy, il n'aurait plus manqué que le Saint-Esprit.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

L'un des deux

 

Polybe raconte qu'il naît dans les Alpes un animal d'une forme singulière ; il ressemble à un cerf, si ce n'est que par le cou et le poil, il tient du sanglier. Il porte sous le menton une excroissance de la forme d'un cône, velue à son extrémité, et aussi grosse que la queue d'un cheval. Pourrait-il s'agir du généticien Albert Jacquard ? Ou du sociologue Edgar Morin ? C'est l'un des deux, en tout cas.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Pyramide de Ponzi philosophique

 

Les jugements synthétiques a priori de Kant sont la plus grande escroquerie de l'histoire de la pensée. Car — et c'est malheureux à dire —, il n'y pas plus de temps, d'espace ou de causalité que de beurre au prose. Kant est le Bernard Madoff de la philosophie.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Voracité

 

Pour arriver, en une matinée, à avaler cinq cents figues sèches, cent pêches de Campanie, dix melons d'Ostie et vingt livres de raisin, il faut se lever de bonne heure, mais c'est pourtant ce que faisait Albin, l'usurpateur qui disputa l'empire à Septime Sévère. Il avait la voracité des fruits, comme Émile Cioran celle de l'irréparable.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Mutisme de l'être

 

Il n'y a pas que le Manitoba qui ne répond plus, il y a aussi... l'être. En voulant le saisir avec ses grosses pattes, Heidegger l'a effrayé, et maintenant, impossible de lui tirer un mot. Ricœur a essayé de l'amadouer avec de l'herméneutique et des petits gâteaux, mais il aurait uriné dans un violon que ç'aurait été pareil. Ils sont beaux, les ontologues.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Astigmatisme de Schiller

 

« Das Leben is doch schön », dit Schiller qui décidément n'en loupe pas une. Schön, cette vieille couasse peinturlurée ? Il n'est vraiment pas difficile, le gars Schiller ! Ou peut-être qu'il est miraud ?

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Algèbre linéaire et homicide de soi-même

 

Annuler son propre polynôme caractéristique, tel est le rêve de tout endomorphisme d'un espace vectoriel de dimension finie sur un corps commutatif quelconque — et de toute personne qui en a soupé d'exister et brûle de fuir là où les oiseaux sont ivres d'être parmi l'écume inconnue et les cieux (so to speak).

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)