« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
jeudi 21 novembre 2019
Ma chérie (Stephen Dixon)
On frappe à la porte.
« Entre. »
C'est Kant. Il entre et me regarde, je suis installé au bureau. Il continue à me regarder, je demande : « Oui ? Tu veux quoi ? »
Il s'assied dans un fauteuil près de moi, croise les mains et regarde vers la gauche, là où se trouve le placard qui me sert de bar.
« C'est un peu tôt, non ? Tu veux boire quelque chose ? »
Il décroise les mains, les regarde, fixe ses souliers, puis le sol. Je regarde à mon tour mais ne vois rien que ses souliers et le tapis sur lequel ils sont posés.
« C'est à quel sujet ? »
Il me regarde droit dans les yeux.
« Le vin des Canaries est agréable, dis-je pour dire quelque chose. Tu en veux un verre ?
— Non, cher ami, répond-il, ce n'est pas le vin des Canaries qui est agréable. Ce qui est agréable, c'est l'expérience que tu en fais. Agréable ne caractérise pas un objet mais une sensation. Or, la sensation est un vécu subjectif. Tu dois donc dire : "Mon expérience du vin des Canaries est agréable."
— Non mais tu me fais chier, mon vieux ! Quand je dis "Le vin des Canaries est agréable", c'est évidemment une manière elliptique de parler. Je veux dire qu'il est agréable pour moi. Tu es bouché à l'émeri ou quoi ? »
Il fixe le sol.
« Ne me parle pas comme ça ou je te synthétise a priori. »
Il se lève, quitte la pièce, claque la porte derrière lui.
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
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