vendredi 1 août 2025

Vie à contrecœur

 

Nos journées s'enchaînent et finissent par former ce qu'on appelle une vie. Ainsi, tout compte fait, soi aussi on aura vécu. Sans le désirer, cependant !
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Solitude du Dasein

 

Mi-cuit dans sa cochléaire carapace, ouvert à l'être mais abandonné de tous, le Dasein heideggérien pense à ce mot si véridique du poëte Achille Chavée : la solitude est un plat qui se mange seul. « Comme les petits pois », songe-t-il.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Littérature

 

On proclame que la vie est une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et fureur, et voilà, le tour est joué — tout le monde est content, on peut rentrer chez soi.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Manger seul

 

Ayant lu chez Walter Benjamin que « prendre ses repas seul tend à rendre un homme froid et dur », le négateur Émile Cioran avait convaincu son ami Eliade de lui tenir compagnie. Il avait déjà fait une vilaine chute dans le temps, il n'allait pas en plus devenir froid et dur.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

jeudi 31 juillet 2025

Self-taught philosophy

 

On voudrait savoir comment vivre, alors on cherche chez Platon, chez Leibniz, chez Schopenhauer, chez Maritain, tout ça pour finalement découvrir — par soi-même ! — que la meilleure façon de vivre, c'est allongé sur un canapé en laine, la casquette rabattue sur le nez.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Époux Jacob

 

Quelques jours après la mort du Christ, Dieu reçut une lettre ainsi tournée : « J'espère que tu mourras de chagrin, le chef. Ce n'est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils. » Quoique cette lettre fût anonyme, pour Dieu c'était signé : les époux Jacob. Ils n'allaient donc jamais le laisser tranquille ?
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Indicible rémoulade

 

En 1926, déprimé par l'échec de son Tractatus à tracer les « limites du sens », Ludwig Wittgenstein en vient à identifier la vie à une « indicible rémoulade » (eine unsägliche Remoulade). Il écrit à son ami G.H. von Wright : « Je n'ai plus le moindre espoir pour le reste de ma vie. C'est comme si je n'avais plus devant moi qu'une longue étendue de mort vivante. Je ne peux pas imaginer de futur pour moi autre qu'épouvantable. Sans amis et sans joie. La vie est une indicible rémoulade. »
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Imitation de Lugones

 

Bébert : Si ça continue, je vais faire comme Leopoldo Lugones, je vais sentir au plus profond de moi que la réalité n'est pas verbale, qu'elle peut être incommunicable et atroce, et je vais m'en aller, taciturne et seul, chercher la mort dans le crépuscule d'une île.
Frédo : Déconne pas, vieux !
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

mercredi 30 juillet 2025

Cavurne

 

Le mot cavurne désigne, faut-il le rappeler, une petite cuve creusée dans le sol, recouverte d'une dalle de granit ou de béton destinée à garantir son étanchéité et ainsi protéger de l'humidité les cendres du défunt.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

De omnibus

 

À force de pratiquer le doute systématique, on en vient à mettre en question le principe d'identité de Leibniz et à se demander si véritablement la capitale du Guatemala est la capitale du Guatemala — ou si elle ne serait pas, par exemple, celle du Honduras.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Rue Monsieur-le-Prince

 

Émile Cioran : Simone, qu'est-ce que tu penses de ça : le scepticisme est l'élégance de l'anxiété. Pas mal, non ?
Simone Boué : Mais oui, Émile, c'est très bien.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Passage difficile

 

L'appareil de Golgi, avec ses dictyosomes et ses saccules, est le lieu de passage dans lequel les protéines et les lipides fabriqués dans le réticulum endoplasmique subissent les transformations nécessaires à leur action. Comme tous les lieux de passage, il est imprégné de cette sorte d'angoisse intérieure que produit une pérégrination étouffante. Le peintre et sculpteur Alberto Giacometti a-t-il connu de première main cette détresse née du séjour dans un appareil de Golgi ? À voir ses œuvres, on le jurerait.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

mardi 29 juillet 2025

Simples coïncidences ?

 

Étrangement, l'existence humaine possède un certain nombre de points communs avec le film de Zapruder. Les deux débutent par un plan montrant des policiers d'escorte à moto ; les deux se terminent avec la voiture qui disparaît sous le pont ferroviaire. Mais il y a aussi quelques différences, il serait vain de le nier.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Une irritation

 

Quand Adorno prétend que les déterminations catégorielles d'un objet ne sont pas le produit de la subjectivité transcendantale (comme chez Kant), mais des propriétés intrinsèques de l'objet lui-même, il faut se retenir pour ne pas le « maraver ».
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Choix du chagrin

 

Dans le roman de William Faulkner intitulé Si je t'oublie Jérusalem, le personnage principal, Harry, dit qu'entre le chagrin et le néant, il choisit le chagrin. Nous en prenons bonne note.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Une effarante conjecture

 

L'hypothèse émise par Bergson que la matière inerte est douée d'une conscience minimale stupéfia ses collègues philosophes et le fit même soupçonner de « fumer de la weed ».
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

lundi 28 juillet 2025

Un obsédant tam o' shanta

 

Ce tam o' shanta dont parle Perec... Porté par un marin en chandail jaune vif... Il nous aura poursuivi. Peut-être pas à mobylette, mais il nous aura poursuivi.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Idée de cadeau

 

C'est l'Arioste qui ne sait pas quoi offrir au Tasse pour son anniversaire. Et alors il y a l'Arétin qui dit à l'Arioste : « T'as qu'à lui offrir un mug. » Mais l'Arioste n'est pas chaud car il pense que le Tasse en a déjà plein.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Soif d'infini

 

Un quidam frappé de finitude existentielle pense à l'infini infundibuliforme comme l'alcoolique pense à un « kil » de Tigron ou de Gévéor.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Gingerbread sadness

 

Sans se prendre pour le poëte Fernando Pessoa — « Ô roues, ô engrenages, r-r-r-r-r-r-r éternel ! Violent spasme retenu des mécanismes en furie ! » —, on sent que la tristesse est comme le pain d'épice, mais on est incapable d'expliquer pourquoi. La spongiosité ? L'arrière-goût de cannelle, de muscade et de clou de girofle ?
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

dimanche 27 juillet 2025

Un besoin gros comme le Ritz

 

L'écrivain suédois Stig Dagerman estime que le besoin de consolation de l'homme est grand comme deux terrains de football à peu près. 
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Bordélisme chronique de la mort

 

Quand on lui demande où se trouve sa victoire, la mort est incapable de vous le dire. Et pareil pour son aiguillon. Elle perd tout, c'est incroyable.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Invention de la mort

 

Dans un de ses poëmes, le dandy irlandais William Butler Yeats dit que l'homme a inventé la mort — « man has created death » — et il vaut mieux entendre ça que d'être sourd.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

À la librairie

 

« Vous avez quelque chose sur le dégoût d'exister ?
 — Oui, j'ai de l'Émile Cioran. Il n'est pas mal pour les commençants.
 — Très bien. Va pour de l'Émile Cioran. Mettez-m'en une grosse. »
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

samedi 26 juillet 2025

Tribulations de Boudin

 

Chez lui ou au restaurant, le peintre Eugène Boudin se voyait souvent servi avec de la compote de pomme ou du chou rouge braisé, ce qui ne laissait pas de l'irriter. « Je suis Eugène Boudin ! explosait-il. Le peintre des beautés météorologiques ! Pour l'amour de Dieu ! »
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Épicurisme

 

Penser à offrir une carpe au président Diêm aujourd'hui même. Demain, il sera peut-être trop tard.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Toujours plus

 

Rien n'est jamais assez beau pour le monstre bipède. Il en veut toujours plus. Un proverbe géorgien dit qu'on donna des yeux à un aveugle, et que ce dernier se mit aussitôt à réclamer des sourcils. L'histoire est peut-être apocryphe, ce sidi.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Moments de la légende

 

Cioran achetant une cuillère en bois dans un grand magasin ; Cioran à la recherche de deux robinets « vieux modèle, hélas » sur le boulevard Richard-Lenoir ; Cioran se disputant avec un commerçant à propos d'une bouteille de butane ; Cioran se coinçant le pouce dans une portière de voiture : ce sont là des moments cruciaux de la légende, et chacun restera à jamais gravé dans les mémoires.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

vendredi 25 juillet 2025

Monomanie

 

L'écrivain japonais Dazai Osamu. Quand il n'essayait pas de se suicider, il écrivait. Mais la plupart du temps, il essayait de se suicider.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)