« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
dimanche 17 juin 2018
Débranchés (Raymond Carver)
En pleine nuit, sur le coup de trois heures du matin, le téléphone se met à sonner et ça nous fiche une trouille bleue.
— Va répondre ! Va répondre ! me crie ma femme. Oh, mon Dieu, qui ça peut bien être ? Mais va répondre !
Je n'arrive pas à trouver l'interrupteur, et je passe à tâtons dans la pièce voisine, où se trouve le téléphone. Je décroche à la quatrième sonnerie.
— Est-ce que Bud est là ? fait une voix de femme.
Elle est très saoule. Je lui dis :
— Il n'y a personne de ce nom ici, et je lui raccroche au nez.
J'allume la lumière et je me dirige vers la salle de bains. Je n'y suis pas plus tôt entré que la sonnerie reprend.
— Mais va répondre ! me hurle ma femme depuis la chambre à coucher. Mon Dieu, Jack, mais qu'est-ce qu'ils nous veulent ? C'est intolérable à la fin !
Je me rue hors de la salle de bains et je décroche.
— Bud ? dit la femme. Qu'est-ce que tu fais, Bud ?
Je lui dis:
— Écoutez, hein. Je suis Emmanuel Levinas, métaphysicien d'autrui. Selon moi, la philosophie occidentale n'a jamais su penser l'Autre qu'à partir du Même (donc du Moi) et témoigne dans toutes ses œuvres de l'insurmontable allergie qu'inspire l'Autre. Alors ne refaites plus jamais ce numéro.
Je raccroche, j'attends que la sonnerie reprenne, puis je soulève le combiné et je le pose sur le guéridon, à côté de son socle.
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire