dimanche 10 juin 2018

Le fils de Satan (Charles Bukowski)


J'avais onze ans et mes deux copains, Hass et Morgan, tous les deux douze, et c'était l'été, pas d'école, et on était assis dans l'herbe au soleil derrière le garage de mon père en train de fumer des cigarettes.
Merde, dis-je.
J'étais assis sous un arbre. Morgan et Hass étaient assis par terre, adossés au garage.
— Qu'est-ce qui y a ? demanda Morgan.
— Faut qu'on coince ce salaud. C'est la honte du quartier.
— Qui ? demanda Hass.
— Simpson.
— Ouais, fit Hass. Trop de taches de rousseur. Il m'agace.
— C'est pas ça, dis-je.
— Ah, bon ? fit Morgan.
— Ouais. Ce salaud raconte partout que l'expérience ne nous livre que ce qui est relatif à nos facultés de connaître et ne nous permet pas d'accéder à la réalité en soi, de percer les secrets de l'être. C'est un foutu mensonge.
— Sûr, dit Hass.
— C'est un putain de menteur, dis-je.
— Y a pas de place pour les menteurs ici, dit Hass en soufflant un rond de fumée.
— Je supporte pas d'entendre ces conneries de la part d'un mec qu'a des taches de rousseur, dit Morgan.
— Alors on devrait peut-être le coincer, suggérai-je.
— Allons-y, dit Morgan.
On a pris l'allée de chez Simpson. Il jouait à la balle contre la porte du garage.
Sans prévenir, je lui ai expédié une droite dans l'estomac. Il s'est plié en deux en se tenant le ventre.
— Laisse tomber Kant et lis plutôt Bergson, ça vaudra mieux pour ta santé, j'ai dit.


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

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