mercredi 27 juin 2018

Répétitions angoissantes


Quoique bon élève, Heidegger n'aime pas aller à l'école. Chaque matin, devant son bol de cacao et sa tartine beurrée, il a la boule au ventre ou, comme il dit, « la barre » (ich habe die Bar).

Difficile de ne pas voir dans ces spasmes quotidiens comme des prémices des « répétitions angoissantes » analysées dans Sein und Zeit, à partir desquelles le Dasein s'ouvre à son être-vers-la-mort.

Heidegger apprendra plus tard qu'à peu près au même âge, Albert Einstein souffrait du même genre d'angoisse — mais devant un bol de ricoré.


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

Malempin (Georges Simenon)


Même de sang-froid, je reste persuadé que cette journée a été plus rapide que les autres et le mot vertigineux me vient naturellement à l'esprit. J'ai, quelque part au fond de la mémoire, un vieux souvenir similaire. Je jouais dans la cour du lycée. Non, ce n'est pas possible, puisqu'il va être question d'un tramway. Peu importe ! Dans une rue. Ou sur une place. Plutôt sur une place, car je revois des arbres et je pourrais préciser qu'ils se découpaient sur un mur blanc. Je courais. Je courais à perdre haleine. Pourquoi ? Je l'ai oublié. Je courais comme en rêve, sans rien voir, que le sol qui fuyait sous mes pieds tel le remblai d'un chemin de fer. Et soudain, malgré la vitesse déjà anormale, il y eut accélération, un crescendo finissant par un arrêt brusque qui me laissait vibrant de la tête aux pieds, les tempes battantes, les lèvres humides, les yeux écarquillés sur un tramway qui, à un mètre de moi, tremblait lui aussi de toute sa ferraille.
Je ne cherche pas à prouver. Est-ce que, ce jour-là, je courais plus vite parce que j'avais une intuition, parce que je sentais la catastrophe ?
— Imbécile ! m'a crié le conducteur, aussi pâle que moi.
J'ai dû monter sur le trottoir. Puis, je me suis assis sur un seuil.
La journée dont je veux parler n'a aucun rapport apparent. Peut-être certaine allégresse des très beaux jours de juin ? Je me suis levé à six heures, avant que la bonne fût descendue.
Pendant que je me rasais dans la salle de bains, ma femme, de son lit, m'a rappelé :
— N'oublie pas que chez Husserl, la monade caractérise le rapport intersubjectif. Ce n'est pas du tout comme chez Leibniz ! Le mot monade, chez le fondateur de la phénoménologie, désigne la conscience individuelle, l'individualité en tant qu'elle représente à la fois un point de vue unique, original sur le monde et une totalité close, impénétrable aux autres consciences individuelles ou individualités. Pour Husserl, au moi est donné d'autres moi, non pas directement, mais au travers une série d'actes extérieurs, physiques, que le moi interprète par analogie à soi-même. Ainsi, à travers les actes d'interprétation, se forment des mondes intersubjectifs, régis par des structures qui leur sont propres et qui rendent possible la constitution de personnes supérieures, collectives. On aboutit à une pluralité de monades qui communiquent entre elles, à travers la sphère neutre du monde intersubjectif.
— Je sais, j'ai dit. Me fais pas chier !
La rue de Beaune était vide. J'ai pris un taxi quai d'Orsay et je me suis fait conduire à la gare Saint-Lazare, à travers un Paris doré comme une pêche.


(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)

Angoisse bifrons


Au dire de Karl Jaspers, « l'état de mort, qui consiste à ne plus être, et l'action de mourir, qui cesse avec la mort, provoquent chez le Dasein deux angoisses bien différentes » — et cela paraît indéniable. 

Pour contenir ou apaiser la seconde, le suicidé philosophique chevronné privilégie les méthodes qui expédient promptement et il évite, s'il le peut, de se jeter du viaduc de Garabit (qui culmine à 122 mètres au-dessus des gorges de la Truyère durée de la chute : 5 secondes en négligeant les forces de frottement dues à l'atmosphère). Mais quant à la première, comme le note fort justement Jaspers, « aucun artifice technique ne peut en délivrer l'étant existant, seule la philosophie le peut »

Et en particulier la philosophie nihilique, est-on tenté d'ajouter. Car peut-on imaginer patrie plus accueillante, plus propre à réjouir le cœur de l'homme que le Rien ?


(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Un inadapté


Comment se faire à la finitude du Dasein ? L'écrivain uruguayen Horacio Quiroga ne s'y fit jamais. Atteint d'un dégoût prononcé de la vie, il met fin à ses jours en 1937 dans un hôpital de Buenos Aires, en avalant une pilule de cyanure.

Dans son Journal d'un cénobite mondain, Gragerfis le dépeint comme « un dandy tourmenté, irrésistiblement attiré, comme ses personnages qui lui ressemblent tant, par la dangereuse beauté de cette grande forêt tropicale : le Rien ».


(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

mardi 26 juin 2018

Interlude

      Jeune femme s'apprêtant à lire les œuvres complètes de Luc Pulflop

Mauvaise réputation


Ce n'est pas d'hier que le suicidé philosophique a mauvaise presse. Dans la littérature médiévale, il est constamment un personnage désagréable : il suffit de penser à celui du roman d'Eracle ou du roman de Horn pour s'en apercevoir. Constamment, il est présenté comme un individu chiche, bourru et querelleur. Chez Gerbert de Montreuil, le suicidé philosophique rappelle le « cholérique » dont parlent les traités de physiognomonie, et il s'attire la repartie :

           « Vos eüssiez le cuer crevé
           Se vous ne fussiez desfarcis. »


Comment expliquer une telle animosité si ce n'est par la verve caustique avec laquelle le champion de l'homicide de soi-même a de tout temps assaisonné le « monstre bipède » ?


(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Délices anticipées


Le suicidé philosophique passe ses jours à savourer le clafoutis climatérique de sa propre fin.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Humeur défiante et soupçonneuse du constipé


« Le vrai constipé est ordinairement sans cœur, toujours craintif et tremblotant, ayant peur de tout, et se faisant peur à soy-mesme, comme la beste qui se mire ; il veut chier et ne le peut, il va partout soupirant et sanglotant avec une tristesse inséparable qui se change souvent en désespoir ; il est en perpétuelle inquiétude de corps et d'esprit, il a les veilles qui le consument d'un costé, et le dormir qui le bourrelle de l'autre... bref c'est un animal sauvage, ombrageux, soupçonneux, solitaire, ennemi du soleil, à qui rien ne peut plaire que la seule fausse et vaine imagination de chier. » (Dr André du Laurens, Discours de la conservation de la vie : des maladies constipatoires, des catarrhes, et de la vieillesse, à Paris, chez Jamet Mettayer, 1597, p. 119)

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

À la Pépite d'Or (Larry Brown)


C'était un bar, quelque part entre Orange Grove et Pascagoula, une de ces boîtes où on entre gratuitement mais où on vous fait payer cinq dollars une bière Schlitz de trente centilitres. L'endroit était sombre. Tout le monde portait des lunettes de soleil, sauf moi. Mon pote avait disparu et je ne savais pas ce qui lui était arrivé. En revanche, je savais ce que j'étais et j'essayais de vivre avec. Je me disais que si seulement j'arrivais à passer la nuit, tout redeviendrait à peu près bien quand le soleil se lèverait.

Cette boîte affichait des danseuses nues. Rien que les seins, pas le cul. Je me suis dit : bon, allons-y pour les danseuses. Je savais que je souffrais d'intoxication par l'alcool et que ça portait sur mon cerveau. Il suffisait que je boive une seule bière et toutes mes idées changeaient. Je passais de la phénoménologie à l'empirisme logique, parfois même au pragmatisme de Charles Sanders Peirce, et j'avais alors l'impression que le sens d'une expression résidait dans ses conséquences pratiques. Oh, bon dieu ! Il fallait vraiment que tout ça s'arrête.


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

Interlude

       Belle inconnue lisant l'Océanographie du Rien de Raymond Doppelchor

Théorème bipolaire


En mathématiques, le théorème bipolaire est un résultat d'analyse convexe qui fournit les conditions nécessaires et suffisantes pour qu'un cône soit égal à son cône bipolaire.

Coïncidence ou non, le 28 mars 1941, la romancière Virginia Woolf, qui souffrait depuis longtemps de psychose maniaco-dépressive, décide d'anéantir son « cône bipolaire ». Elle remplit ses poches de galets et se jette dans la rivière Ouse, près de Monk's House, sa maison de Rodmell.

Son corps sera retrouvé trois semaines plus tard, le 18 avril, et son époux, le toujours débonnaire Leonard, enterrera ses cendres dans le jardin de Monk's House.


(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Acte désespéré


C'est le corps d'une femme de 42 ans, originaire de Saint-André-de-Cubzac qui a été retrouvé ce matin, dimanche, dans les eaux du petit port à Arcachon. La disparition de la malheureuse avait été signalée la veille à la gendarmerie.

À une heure du matin, dimanche, les policiers du commissariat d'Arcachon ont repéré sa voiture aux abords du port. Une adresse figurant dans les effets qui y ont été trouvés les a d'abord conduits vers un hôtel d'Arcachon, où ils ont fait chou blanc. Les chiens policiers ont ensuite été mis à contribution, et ce n'est que ce matin que le corps sans vie de la quadragénaire a été retrouvé.

Il s'agirait d'un acte désespéré, « comme ceux qu'accomplit parfois le Dasein soucieux et "devançant", quand il vient à être lui-même en faisant face à la possibilité de sa mort », selon le commissaire chargé de l'enquête, qui se présente lui-même comme « féru de heideggerianisme ». « Cette venue à soi, ajoute-t-il, provient en quelque sorte de "l'a-venir" en un sens tout à fait particulier : il ne s'agit pas du non encore présent mais, pour le Dasein, de "la modalité d'un possible accomplissement de soi-même". » (Sud Ouest, 26 novembre 2017)


(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)

Édredon


Le poëte illuminé Antonin Artaud, qui n'hésitait jamais devant les pensées inouïes, soutenait que l'édredon du lit de Van Gogh était « d'un rouge de moule, d'oursin, de crevette, de rouget du Midi, d'un rouge de piment roussi », affirmation qui exaspérait l'écrivain mondain Paul Valéry, car il y voyait un sophisme. « Si j'admets, disait-il, que l'édredon de Van Gogh est rouge (avant toute expérience particulière), c'est à l'objet même (qui s'appelle édredon) que va mon approbation. Si c'est au contraire le mot d'édredon, que j'approuve, je puis le trouver gracieux, sonore, agréable à prononcer, je ne songerais pas à le manger. »

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Lévitation lamaïque expliquée


Foudre Bénie est ce lama tibétain du monastère de Khor-Biyong, capable de léviter et doté, comme Madame Yamilah, du don de clairvoyance. C'est grâce à lui que Tintin et le capitaine Haddock, victimes d'une avalanche, sont secourus.

Comme le rappelle Jules Duhem dans son Histoire des idées aéronautiques avant Montgolfier, on trouve dans les temps modernes de nombreux cas de lévitation, illustrés par le témoignage d'une tradition constante : « Pierre d'Alcantara demeure jusqu'à trois heures en l'air. Le franciscain Juan de Jésus opère une longue randonnée aérienne : Andrès de Abreu, son biographe, décrit l'envol, les lieux survolés, l'atterrissage. [...] Mais la palme revient sans conteste au franciscain Joseph de Copertino, qui vole si souvent et d'une façon si extraordinaire qu'on le pourrait nommer un saint aviateur. Si grande est sa force d'ascension qu'il lui arrive d'emporter avec lui, à Assise, le portier de son couvent. Il s'élève un jour devant le duc Frédéric de Brünswick, luthérien défiant, qui voit avec stupeur le prodige. »

Pour ce qui est dudit Foudre Bénie, il semble que son don ait peu à voir avec le mysticisme mais puisse être élucidé plus prosaïquement au moyen des équations de Maxwell. C'est du moins l'hypothèse émise par Gragerfis dans son Journal d'un cénobite mondain : il soupçonne le rusé lama, avant chacun de ses décollages, de lester ses poches d'objets métalliques et de se placer subrepticement au-dessus d'une bobine alimentée par un courant sinusoïdal. Conformément aux lois régissant les flux, des courants de Foucault se mettent alors à circuler dans le corps du moine, produisant une force de répulsion et finalement une lévitation électromagnétique !

Comme le dit Pythagore, « la vie n'est-elle pas surprenante ? »


(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

Un nouveau médiateur pour « mieux vivre ensemble »


« La porte de la Place des idées, le local mis à disposition par Habitat 29, s'ouvre sur un large sourire qui respire la bienveillance. Mohamed Aanane est ici au cœur du quartier de Kerandon, l'endroit idéal pour remplir au mieux la fonction de médiateur qui lui a été dévolue dans le cadre du contrat de ville conclu entre l'État et les collectivités territoriales. "Comme 1 200 autres quartiers en France, Kerandon bénéficie d'un contrat de ville, et ce depuis 2015", explique Sébastien Salaün, coordinateur cohésion sociale à CCA (Concarneau Cornouaille Agglomération), "Mohamed a été recruté par la communauté de communes pour favoriser le vivre ensemble et le développement socio-économique du quartier."

Mohamed Aanane, Quimpérois de 46 ans, a une solide expérience dans l'animation et la médiation : "J'ai travaillé en internat éducatif avec les jeunes traversant des difficultés existentielles — je me souviens de l'un d'eux, en particulier, qui ne cessait de répéter que, selon Bergson, un néant opéré par l'intellect ne peut être que « plein » — , avant d'être animateur à la Maison pour Tous de Penhars et de participer à la mise en place de la Maison du cirque à Kermoysan". Pour remplir sa mission qui est de "renforcer le lien social et culturel à Kerandon", l'homme privilégie l'écoute. Chaque jour, il commence sa journée par un tour du quartier : "J'essaie de nouer une relation de confiance avec les gens en les saluant ou en leur proposant un café au local. C'est la meilleure façon d'être au courant de leurs attentes et de leurs problèmes".

Véritable passerelle entre les habitants, les associations et les pouvoirs publics, l'infatigable Mohamed fait tout pour que les gens du quartier se rencontrent. "Je fais le lien entre les différentes structures et associations pour, par exemple, organiser des événements".

Quels "événements" ? Le bonhomme ne le dira pas, et vu sa carrure, nous préférons ne pas insister. D'après le Dictionnaire étymologique de la langue françoise de Ménage, un événement est "ce qui arrive et qui a quelque importance pour l'homme". En ce sens, l'unique événement digne de ce nom n'est-il pas la mort, avec son cortège de mouches bleues de la viande (Calliphora vomitoria Lin.) et de mouches grises (Sarcophaga carnaria Lin.) ? » (Le Télégramme, 23 mars 2016)


(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)

lundi 25 juin 2018

Intentionnalité husserlienne


« M. G..., qui depuis plusieurs mois présente les symptômes d'une démence paralytique primitive, sans autre perversion intellectuelle qu'un optimisme général, peu accusé d'ailleurs, entre dans une période plus aiguë de sa maladie.

Il devient d'abord inquiet, mobile, et mange mal ; puis il est dans une terreur constante, se met à genoux en faisant le signe de la croix, repousse les aliments ; les idées hypochondriaques les plus bizarres passent dans son esprit.

Entre autres choses, il nous dit un matin, pendant que nous cherchons à le rassurer, que selon Husserl, toute conscience est conscience de quelque chose, que pour le même Husserl, il s'agit de penser le "vécu de conscience" comme une intention (c'est-à-dire la visée d'un objet qui demeure transcendant à la conscience), qu'on doit distinguer l'intentionnalité transversale, dans laquelle se constitue "l'objet temporel", de l'intentionnalité longitudinale dans laquelle la conscience rétentionnelle est consciente de sa propre durée, mais que tout cela n'empêche pas qu'on va le faire mourir en lui coupant le cou, afin de s'emparer de ses vertèbres qui sont tout d'or. » (Achille Foville, Étude clinique de la folie, avec prédominance du délire des grandeurs, Paris, J.-B. Baillière, 1871)


(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Recherches sur la bile


L'idée du Rien possède un caractère remarquable, qui consiste dans la faculté qu'elle a de saturer les alcalis présents dans la pachyméninge en jouant le rôle d'un acide. En cela, elle est semblable à la résine du picromel de bœuf.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Oubli de l'Être


En 1903, Heidegger a quatorze ans. Il a commencé à lire les philosophes et s'est très vite fait la réflexion que les « amis de la sagesse », depuis Platon, ont envisagé l'Être comme essence, généralité logique, jamais comme événement, comme « un il y a » se déployant comme fait d'être. Voilà pourquoi il affirme à qui veut l'entendre que ce qui caractérise la métaphysique est « l'oubli de l'Être ».

Le jeune Martin soutient que les catégories humanistes définissant l'homme comme être doué de raison, comme subjectivité opposable à objectivité « n'expérimentent pas encore la dignité propre de l'homme » qui est d'être « le berger de l'Être ». Il demande à ses proches de repenser d'urgence l'humanité de l'homme, mais son père lui oppose une fin de non-recevoir et décide de l'envoyer au petit séminaire de Constance « pour lui éclaircir les idées ».


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

Interlude

     Jeune femme lisant les Pensées rancies et cramoisies de J. Zimmerschmühl

Schéol


Il n'a pas fallu longtemps à l'homme du nihil pour reconnaître dans le monde qui l'entoure le schéol des Hébreux, « cet endroit où vivent d'une vie vague ou presque éteinte les morts immobiles ». Combien de fois, étant enfant, en a-t-il entendu gémir, de ces morts immobiles, dans le fournil de sa grand-mère et un peu plus tard dans les tuyaux de la chaufferie familiale, rue du Commandeur, sans rien pouvoir pour eux. Il ne savait pas, alors, qu'il rejoindrait bientôt leur lamentable cohorte, et que pour lui aussi l'existence se révélerait un funeste cul-de-sac...

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Automatisme perforant


Les « automatistes », que Gragerfis décrit dans son Journal d'un cénobite mondain comme une « bande de zozos », préconisaient une « approche intuitive expérimentale non représentative conduisant à un renouvellement en profondeur du langage artistique ». Claude Gauvreau, né à Montréal le 19 août 1925, était un théoricien du groupe. Le 6 juillet 1971, il travaille tard le soir avec Jean-Pierre Ronfard, metteur en scène de sa pièce Les oranges sont vertes. Puis ils se quittent, et le lendemain, Gauvreau est retrouvé mort, près d'un immeuble de Montréal, empalé sur une clôture. Il s'était défenestré ! Sa tentative de « renouveler en profondeur le langage artistique » avait tourné court de la façon la plus tragique qui soit !

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Cheval blanc


Ce matin, vers 10 h 30, un homme de 49 ans s'est suicidé dans le hall de l'hôtel Le Cheval Blanc, place Bayard.

Il s'est tiré une balle dans la tête avec une arme de poing. Il est décédé sur place quelques minutes après l'arrivée des secours. Le quadragénaire charentais était vraisemblablement un client de l'hôtel.

Un acte désespéré dû à sa situation personnelle, faite d'ennuyeuse monotonie, de paroles superflues et de solitude — comme celle de tout un chacun, du moins s'il faut en croire le philosophe Albert Camus. (Sud Ouest, 7 mai 2012)


(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)

dimanche 24 juin 2018

Entonnoir


Aussi loin que je souvienne, j'ai toujours trouvé le réel infâme, et l'existence infundibuliforme.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer, Dégoût)

Interlude

         Jeune fille lisant Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq

Bien senti


« Que le cœur de l'homme est creux et plein d'ordure ! », a dit Pascal. Précurseur de l'homme du nihil, le philosophe clermontois n'hésite pas, dans ses Pensées, à utiliser les images les plus brutales pour « conchier » l'étant existant, qu'il appelle notamment un « imbécile ver de terre » !

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Musique sérielle


Malgré leurs nombreuses et violentes prises de bec, le chef d'orchestre Pierre Boulez n'osa jamais traiter d'« imbécile ver de terre » le compositeur du Temps restitué, car ce dernier lui paraissait trop « barraqué » (au dire d'Olivier Messiaen).

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Malaise dans la civilisation


Il existe, on le sait, une grande variété de techniques pour se nettoyer le fondement, une fois accompli le « Grand Œuvre » : papier, pierres suffisamment lisses, feuilles, épis de maïs, boules de terre, branches, etc. Depuis l'aube des temps, l'homme, saisi d'on ne sait quel sentiment de culpabilité, étouffe sans bruit les traces de l'excrément, de la même façon que, dans la Colonie pénitentiaire de Kafka, le tampon de feutre placé sur la machine à tuer doit étouffer les derniers râles du condamné.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Théorème de Hartman-Grobman


En mathématiques, dans l'étude des systèmes dynamiques, le théorème de Hartman-Grobman énonce qu'un système dynamique — par exemple le Dasein —, au voisinage d'un équilibre hyperbolique, se comporte qualitativement de la même manière que le système linéarisé au voisinage de l'origine.

L'équilibre est bien sûr, dans le cas du Dasein, toujours très fragile, sauf au moment du trépas où il devient justement hyperbolique. Ce théorème explique pourquoi Ivan Ilitch, dans la nouvelle de Tolstoï, se remémore son enfance — le « voisinage de l'origine » — alors que la mort « marche vers lui à grandes enjambées, tel un prophète hébreu ».


(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Interlude

     Demoiselle lisant le Monocle du colonel Sponsz de Hermann von Trobben