Ruysbroeck ne chie pas la honte, de se faire appeler « l'Admirable ». Qui est admirable ? Personne n'est admirable ! Fonder le prieuré de Groenendael, écrire des traités de mystique, qu'est-ce qu'il y a d'admirable là-dedans ? Aux chiottes ! Assez de salamalecs !
Par macération, la bienheureuse Marie Alacoque dormait sur une planche. Un jour, pour s'humilier, elle mangea le vomi d'une autre religieuse. Une autre fois, elle se nourrit des excréments d'une personne frappée de dysenterie. Enfin, sa soif de mortification atteignit son paroxysme et elle se fit couper les cheveux par le coiffeur de l'écrivain Hervé Bazin.
Si on pouvait savoir ce que les gens pensent réellement de soi, on aurait encore plus envie de se pendre. Et on se dirait encore plus que c'est un tas de salops.
Quand on lit ou qu'on entend les mots « accent de cordialité qui révèle la familiarité du peintre avec le milieu papal », on pense immédiatement à Baciccia. C'est pratiquement un réflexe conditionné.
Le gars Chandos n'arrivait pas à décrire les émotions qu'il ressentait à la vue d'un arrosoir en zinc, d'une herse abandonnée dans un champ ou d'une cavalcade de rats dans une cave. Alors par dépit, il décida qu'on ne pouvait rien décrire du tout et qu'on pouvait aussi bien envoyer les mots aux chiottes. Et le pis c'est qu'il avait raison : on ne peut rien décrire. On est faits comme des picodons fermiers, mon vieux Milou. Vite, à la capitainerie du port !
Quand le Parmesan ratait une fresque, il disait que ce n'était pas grave, que ça arrivait à tout le monde et qu'il n'y avait pas de quoi en faire un fromage. Le Guerchin n'était pas d'accord.
Quand on est à la fois pessimiste et constipé, on a toutes les raisons d'afficher sur la porte de ses cabinets : « Lascia ogni speranza, tu que entri ».
Voyons voir... Du kabanos pour Bernanos, de la mortadelle pour Claudel, une saucisse de l'Aubrac pour Mauriac, et pour Péguy... peut-être des rillauds ?... Ou du salami, tiens.
On en a assez, de cette réalité empirique qui pue des pieds et du fiacre. On l'a assez vue, touchée et sentie. On voudrait, comme Baudelaire, « dormir, dormir plutôt que vivre » ; ou comme le héros de Huysmans, « rêver à de vagues Bactrianes, d'hypothétiques Cappadoces, d'incertaines Suses — Rotolo ou autre ».
Contribuer aux fresques de la chapelle Sixtine était le rêve de tout peintre de la Renaissance. Un concours fut organisé. Résultat : pour le Pérugin c'était dans la poche, mais pour le Parmesan c'était râpé.
La bienheureuse Marie Alacoque, il ne fallait pas lui marcher sur les nougats. Quand sa mère et son frère Chrysostome voulurent la forcer à se marier, elle les envoya se faire cuire un œuf. « Je veux devenir religieuse, que je vous dis ! »
Avoir vu de ses yeux vu la casquette du père Bugeaud ; avoir constaté — avec quelle émotion ! — qu'elle est faite entièrement de poil de chameau... Maintenant, on peut mourir.
Les gravures aux murs du salon de Sobakevitch ; les longues moustaches de Miaoulis, Canaris et Mavrocordato ; les fortes cuisses de l'héroïne Bobelina... Tout cela fait partie de nous, désormais. On se l'est incorporé. C'est gai, il n'y a pas à dire.
Sa vie, on ne sait pas si on en a déjà dépensé les deux tiers, les neuf dixièmes ou les quatre-vingt-dix-neuf centièmes. On peut se prendre un pot de fleur ou une enclume sur le cassis à tout moment. Dans ces conditions, le plus sûr est de continuer à ne rien faire. Ce serait tout de même bête d'avoir un « travail en cours » quand ça arrivera.
Le « pauvre être au cri bègue, aux doigts gourds » dont parle le poëte, ce n'est pas l'ineffable homme des cavernes, c'est soi-même. Il faudrait s'en souvenir chaque fois que l'on éprouve l'envie de faire l'intéressant devant un parterre de notables ou un cartable de notaire.
Alors qu'il arpentait pieds nus la plage de Scheveningen, Paul Gadenne marcha sur un casseau de bouteille. « Il y a là matière pour un roman », se dit l'écrivain. Aussitôt dit, aussitôt fait.
Dès que deux personnes se réunissent, on peut être sûr que l'une va en tenir pour Jamblique et l'autre pour Proclus. Le néoplatonisme, il n'y a rien de tel pour diviser les gens.
Malgré les objurgations pressantes et répétées de Guy Mardel, le poëte Neruda avoua qu'il avait vécu. Résultat, il se mit tout le monde à dos. Qui a envie d'entendre de telles sornettes ?
Pour un peintre de la Renaissance, le comble de l'opprobre était de se faire enguirlander par le Ghirlandaio. Mais y échapper n'était pas facile, car pour un rien il vous accusait de « gâcher les pigments ». Et c'était parti : cretino, bastardo, coglione, testa di cazzo... Il avait du vocabulaire, le Ghirlandaio.
On n'imagine pas le Caravage, ce maître du clair-obscur, parcourir les Pouilles au volant d'un camping-car ou d'une fourgonnette aménagée. Par contre, mis en examen, on l'imagine assez bien étant donné qu'il a été poursuivi pour meurtre (celui de Ranuccio Tommasoni, avec une épée, dans la salle à manger).
Rimbaud se croit fortiche de dire viride, mais il ne l'est pas du tout. La véritable audace est de dire vert, comme tout le monde. Ce sont les béjaunes, qui disent viride.
Gracq ! On s'en fiche, que tu aies passé des vacances à Pornichet quand tu étais môme! Tu ne crois pas qu'on a autre chose à penser ? On va clamecer, tu comprends ? Alors Pornichet...
Dans son journal-qui-n'en-est-pas-un-mais-qui-en-est-un-quand-même, le nouveau romancier Pinget se dissimule derrière le pseudonyme grotesque de « monsieur Songe ». Pour cela et pour avoir adhéré à la doctrine du Nouveau roman, il est condamné à recevoir les verges « cul nu ». On s'occupera de lui dès qu'on aura traité le sieur Agamben Giorgio, ça ne va pas prendre longtemps, vous pouvez être tranquilles.
On feuillette un dictionnaire et voilà-t-il pas qu'on découvre que le ferret n'est pas un mustélidé comme on l'a toujours cru mais un genre de bijou. A-t-on été bête ! On comprend tout, maintenant. Le duc de Buckingham n'est pas aussi zinzin qu'on le pensait. Ô vanité des vanités ! Ô rictus bestial de l'existence !
Si Eric Blair changea son nom en George Orwell, c'est parce qu'il avait peur qu'on fît des « astuces nasales » à son propos, telles que « Blair ne voit pas plus loin que le bout de son nez » ou « On peut dire qu'il a eu le nez creux, ce Blair. ». Cela étant dit, il est notoire que Blair — ou Orwell — avait Staline, Beria et toute la clique « dans le pif », comme on peut le constater en lisant La Ferme des animaux.