« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
dimanche 22 juillet 2018
Chez le fratrès
Habituellement, la mère de Heidegger lui coupait les cheveux « au bol », mais pour les grandes occasions, elle l'envoyait chez le fratrès de Meßkirch. Celui-ci appelait Martin « mon petit lapin » (mein Kaninchen). « Mets-toi sur le fauteuil, mon petit lapin », lui disait-il.
Un jour que le merlan lui « ratiboisait la caillasse », Heidegger fut comme frappé par un éclair de génie : le temps se révéla à lui dans son essence propre, celle de l'« horizon de l'être ». Une idée simple, à première vue, mais le jeune Martin la raffine aussitôt en prenant comme point de départ sa situation présente et en opérant une distinction entre deux « configurations ». D'un côté, se dit-il, il y a l'actualité comme déroulement temporel de l'acte dans la consistance de l'effectuation, le mouvement vers l'effectif : le temps est alors simple transformation — par exemple d'hirsute en bien peigné —, le mouvement de l'effectuation. Mais de l'autre côté, celui de l'être-actuel comme être-accompli, à la coiffure impeccable et sentant l'eau de Cologne, l'actualité est la présentation de l'effectivité comme présence du présent, c'est-à-dire concaténation de la provenance du « tourné vers » en quoi consiste la relation de l'accomplissement à l'acte. C'est dans cette seconde configuration que le temps est vraiment l'horizon de l'être, et l'« effectif » doit être alors pensé comme accomplissement !
Ébloui par la richesse de ces perspectives métaphysiques, Heidegger songera un temps à devenir fratrès, mais il y en avait déjà trois à Meßkirch, alors ça n'aurait guère été rentable...
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
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