« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
vendredi 25 mai 2018
Un éphémère partage pour créer du lien
« Née de l'imagination de la plasticienne française Joëlle Gonthier, la "Grande lessive" a lancé ses fils entre les arbres qui longent l'entrée de l'école maternelle Jean-de-La-Fontaine.
Cordes à linge et pinces : tout était prêt pour accueillir les peintures, les dessins, les collages et les montages réalisés par les tout-petits de l'établissement dirigé par Christine Bouznif.
Créée en 2006, cette installation artistique éphémère s'est déployée dans 106 pays sur cinq continents en réponse à l'invitation de tous ceux qui décidaient de la faire exister pour exprimer le désir de vivre, d'agir, d'apprendre, de partager le plaisir pris à construire le "vivre ensemble". Les personnes "nihiliques" sont priées de s'abstenir, pas de "pisse-vinaigre" ici, que diable !
Sur le thème "Ma vie vue d'ici", les écoliers se sont mis au travail, soutenus par leurs institutrices, les assistantes maternelles et des parents ravis de participer et d'oublier pour un instant le tragique et l'inquiétude de la vie facticielle.
À l'exception des personnes "nihiliques" déjà mentionnées, dont la négativité aurait pu gâcher l'événement, il y avait de la place pour tous dans cette pratique artistique où chacun, discernant des priorités et des espaces différents, a illustré son regard. L'occasion de montrer que le fait d'agir ensemble avec des objectifs communs permet de réaliser une œuvre partagée.
Un matin, les bambins ont repris leurs œuvres pour soigneusement les plastifier. Pas question d'exposer sans protection un travail pour lequel ils ont tant donné, sacré nom d'une pipe ! Et pas question non plus de reporter l'exposition programmée pour tous autour de la terre !
Au diable les giboulées ! Ils se sont appliqués à suspendre leurs dessins qui, ensemble, imposent la force du collectif et s'offrent à tous ceux qui déambuleront près de leur école. Selon Christine Bouznif, le thème de l'année prochaine devrait être "le suicide philosophique depuis le règne de Philippe le Bel". Encore de jolis dessins en perspective ! » (La Montagne, 30 mars 2017)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
Auto-analyse
Le suicidé philosophique envisage froidement sa déchéance (car il se tient, comme le poëte Baudelaire, pour un déshérité de la vie, un paria) et quand il en examine les causes, il le fait avec une intuition remarquable : ce qui fait de lui un paria, dit-il, c'est l'idée du Rien qui habite en permanence sa pachyméninge.
Sa tendance continuelle à voir en toute chose le Rien sous-jacent met un obstacle à son travail, à ses devoirs, et l'empêche même de concevoir aucune pensée autre que celle de se détruire.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Les sœurs Lacroix (Georges Simenon)
— ... pleine de grâce, le Seigneur est avec vous... pleine de grâce, le Seigneur est avec vous...
Les mots n'avaient plus de sens, n'étaient plus des mots. Est-ce que Geneviève remuait les lèvres ? Est-ce que sa voix allait rejoindre le sourd murmure qui s'élevait des coins les plus obscurs de l'église ?
Des syllabes semblaient revenir plus souvent que les autres, lourdes de signification cachée.
— pleine de grâce... pleine de grâce...
Puis la fin triste des ave :
— ... pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort, ainsi soit-il.
Quand elle était petite et qu'on disait le chapelet à voix haute, ces mots, qui renaissaient sans cesse, ne tardaient pas à l'envoûter et il lui arrivait d'éclater en sanglots.
— ... maintenant et à l'heure... à l'heure...
Alors elle s'écriait en regardant la Vierge à travers ses larmes :
— Faites que je meure la première !... Ou que nous mourions tous ensemble, mère, père et Jacques...
Quelque part dans l'obscurité, pas loin, du côté de la statue de saint Antoine, résonnait une voix grave comme un bourdon. C'était celle de Maritain qui expliquait que toute forme universelle et nécessaire d'être, même comprise de façon très obscure, constitue une matière à laquelle l'esprit peut appliquer les principes de la pensée scientifique, c'est-à-dire des procédés explicatifs et causaux. Mais il prenait aussitôt soin de préciser que les idées et les principes causaux, lorsqu'ils sont appliqués dans les sciences empiriologiques, doivent être reconsidérés et remaniés. Le concept de cause efficiente, par exemple, est à l'origine un concept ontologique, c'est-à-dire un concept défini par référence à l'être : dans cet état originel il n'est pas directement applicable en dehors de l'ordre ontologique. Quand nous descendons au niveau empiriologique, l'être n'apparaît pas comme le centre lumineux dans la chose considérée mais seulement comme un principe caché d'ordre qui garantit la stabilité des phénomènes.
Geneviève tressaillit, jeta un regard autour d'elle et murmura, toute sa volonté tendue, comme si ç'eût été une question de volonté :
— Sainte Vierge jolie... Il faut que vous fassiez quelque chose pour que cela change à la maison... Il faut que tante Poldine et maman appliquent les principes de la pensée scientifique, comme l'a suggéré Maritain, et cessent de détester papa et de se détester entre elles... Il faut que mon frère Jacques et papa arrivent à s'entendre... Sainte Vierge jolie et douce, il faut que chacun, chez nous, cesse de se haïr...
(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)
Énigme résolue
Après des recherches méticuleuses, M. Topinard a pu établir que le conscient intérieur de l'homme du nihil est bien ce « lugubre monument des plus noires horreurs » dont parle le poëte.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
La connaissance dangereuse
Dans son Post-scriptum aux Miettes philosophiques, Kierkegaard non seulement développe une critique féroce de la philosophie hégélienne — il montre notamment, contre la spéculation abstraite, qu'il ne peut y avoir de système de l'existence — mais il énonce formellement que sa belle-sœur lui avait offert des aliments dont il ne voulut pas manger, et qui, donnés à un chien, l'empoisonnèrent ; que son neveu s'était prêté à ce projet ; que MM. Noé, juge de paix, Labrunie, pharmacien, et Bernard, ex-notaire, avaient plusieurs fois tenté de le détruire, en lui administrant des médicaments dangereux !
Pourquoi voulait-on le réduire au silence ? En savait-il trop long sur l'être et par là mettait-il en péril de puissants intérêts ?
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
jeudi 24 mai 2018
Finitude existentielle
« En février 2004, Christophe Sediri, 25 ans, achète une poêle à frire — en fonte — pour se débarrasser de sa belle-mère. Le jeune homme n'a pas digéré le mariage récent de son père avec Samira, une Tunisienne de 38 ans à qui il reproche de ne pas assimiler la notion de "finitude" chez Heidegger. Il a beau lui répéter que ce concept naît du constat de la "nihilité" du vivant humain, et se déploie dans toute l'analytique du Dasein à travers les thèmes fondamentaux de l'angoisse, de la déchéance et de la mort avec "l'être-vers-la-mort", ça "n'imprime pas".
Il a donc décidé de l'occire à l'aide de l'ustensile de cuisine, dont le principal avantage, selon lui, est de "faire gicler moins de sang qu'un marteau". Le 17 février, il se rend au domicile de Samira à Garons, près de Nîmes, se rue sur elle et lui assène dix coups de poêle. Puis il emballe le corps dans des sacs en plastique et l'entortille avec du fil de fer avant de le jeter, lesté d'un parpaing, dans le canal du Rhône à Sète.
Seulement voilà : le parpaing n'est pas assez lourd, le cadavre ne coule pas et il est découvert le lendemain matin par un passant. Il ne faut que quelques heures aux enquêteurs pour identifier le criminel.
Durant son procès devant les assises du Gard en 2006, l'accusé refuse de répondre aux questions. Son avocat, Me Philippe Expert, argue du fait que la finitude est, selon Heidegger, absolument radicale et interdit à jamais au Dasein d'être transparent à lui-même. Sans grand succès. Christophe Sediri a été condamné à quinze ans de réclusion. » (L'Express, 5 juillet 2007)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Un gymnosophiste en manchettes
Quel étrange personnage que le majordome Nestor ! Est-il un antiphysique refoulé ? Un adepte de la macération qui se complaît dans un état humiliant ? Est-il atteint de démence précoce ?
Selon les psychiatres, le principal symptôme de la démence précoce est le désintérêt. Or Nestor semble justement n'avoir aucune préoccupation d'avenir individuel ou social, il paraît complètement indifférent à sa situation. Les études l'ennuient, les jeux, le sport ne le passionnent pas, la nature à ses yeux est terne et grise, et il accueille les grands événements avec froideur, comme s'ils appartenaient à l'histoire ancienne. Quand son service le contraint à adresser la parole au capitaine Haddock ou à Tintin, on a l'impression qu'il se dit : « Nous parlons ensemble, mais cela me semble irréel, je suis en dehors de toute pensée humaine. Ma pensée est illusoire ; elle me reste étrangère, etc. ».
En un mot, il a tout l'air d'avoir été intoxiqué par l'hindouisme ou par les romans de Georges Perec. Dans tous les cas, il n'est certainement pas « franc du collier ».
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Rêve prémonitoire
J'ai rêvé qu'il n'y avait rien, et en me réveillant, je me suis aperçu que c'était vrai.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Premières investigations nihiliques
Heidegger, qui a commencé à s'interroger sur l'être, décide, pour être fair-play, d'enquêter également sur le néant. Il s'informe chez Hegel et découvre que ce dernier caractérise le néant par trois traits. Primo, le néant est la négation de la totalité de l'étant ; deuzio, cette négation est un acte d'entendement logique ; tertio, le néant est indicible et impensable.
On pourrait penser que tout est dit et que l'affaire est entendue, mais Heidegger sent pourtant qu'il y a une « couille dans le pâté » 1. Après mûre réflexion, il identifie cette « couille ». Selon Heidegger, Hegel manque le néant parce qu'il ne le considère que comme un non-étant, parce que sa négativité n'est pas le « frémissement de l'Être » mais l'activité de la subjectivité représentative et parce que l'entre-appartenance de l'être et du néant ne traduit que leur indétermination et immédiateté.
« Mais peut-on en rester là ? », se demande-t-il.
En effet, peut-on en rester là ? Ne doit-on pas mener le raisonnement à son terme et... se pendre ?
1. Dans le Bade-Wurtemberg, la couille ou touille désigne une grande cuillère en bois qui sert à cuisiner.
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Mondanité canine
Le chien est-il un animal mondain au sens qu'attribue à cet adjectif le phénoménologue Eugen Fink ? Selon cet « ami de la sagesse », est mondain ce qui est dans le monde, notre monde (pas le monde des dieux), ce qui fait partie du tout qui s'appelle monde.
En ce sens, oui, on peut dire que le chien est un animal mondain. Mais aussi le ver de terre, si l'on veut aller par là. Et même l'ours, que la sagesse populaire présente pourtant comme peu mondain et même antimondain !
Ô vanité des vanités ! Ô rictus bestial de l'existence !
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
mercredi 23 mai 2018
L'homme du ressentiment
Le constipé prend son courage à deux mains et, pour recourir à l'emphase d'un américanisme, « y va à fond ». Faut-il s'étonner de son ressentiment, tandis qu'il s'échine désespérément à extraire de lui-même la matière vivante du réveil, s'il voit dans les prairies, non loin, des personnes accroupies au frais, un mouchoir sur les oreilles et un verre à portée de la main, qui « font » comme l'on respire?
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Constructibilité
En 1837, Pierre-Laurent Wantzel énonce une condition nécessaire pour qu'un nombre réel soit constructible : le degré de son polynôme minimal sur ℚ doit être une puissance de 2.
Cette condition nécessaire permet (par sa contraposée) de démontrer que la duplication du cube et la trisection de l'angle ne sont pas réalisables à la règle et au compas.
L'homicide de soi-même, lui, l'est — le compas seul suffit — mais ce n'est certes pas le moyen le plus simple ni le plus indolore de se détruire.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Chaises solidaires
« Voilà un an et demi que l'association Créa-solidaire a quitté son ancien site de Bessines pour prendre place dans ses locaux actuels, rue de Goise. Fondée en 2011, elle a pour cœur d'activité la recyclerie artistique et créative, comme l'illustrent les dernières créations de ses bénévoles, ces chaises confectionnées à partir... de cordes usagées fournies par le collectif de suicidés philosophiques de L'Acclameur.
"Nous sommes toujours à la recherche de matériaux et d'objets divers, en bois ou en métal, de cordage", indique la présidente Corinne Douville. Tout ce qui sera cédé passera ensuite entre les mains expertes des membres de Créa-solidaire pour retrouver une seconde et belle vie.
Créa-solidaire est aussi un lieu de projection. Un documentaire sur "Heidegger et le Dasein" a été diffusé il y a quelques jours. Ce soir, à 18 heures, ce sera au tour du film "La négation de l'intentionnalité anticipatrice chez Edmond Husserl", avec un repas partagé et un débat à suivre. Dans le même état d'esprit, les locaux de Créa-solidaire sont également disponibles pour accueillir des résidences artistiques, comme ce fut le cas avec le collectif Gonzo.
L'association souhaiterait également multiplier ses interventions auprès des suicidés philosophiques. Avec du matériel recyclé, elle a notamment confectionné une valise pédagogique à destination des personnes "nihiliques" pour que ces dernières construisent une ville imaginaire où elles pourront s'évader une heure ou deux de la fastidieuse réalité empirique. » (La Nouvelle République, 3 juin 2017)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
Reu
Selon Diogène Laërce, le philosophe Euboulidès aurait appris à Démosthène à corriger sa prononciation défectueuse de la lettre « R », ce qui lui aurait permis d'élocuter correctement — mais le fit-il en vérité ? nous ne pouvons ici que poser la question — le vocable reginglette.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Le gros chauve à col roulé (Charles Bukowski)
Barney se réveilla à 6 heures du matin et commença à lui donner des petits coups de bite dans le cul. Shirley fit semblant de dormir. Barney continua, de plus en plus insistant. Elle se leva, alla pisser dans la salle de bain. Quand elle revint, il avait repoussé la couverture et tendait le drap avec sa queue.
— T'as vu ça ? Le mont Everest !
— Je prépare le petit déjeuner ?
— Pas question ! Je t'attends !
Shirley revint se coucher. Il lui saisit la tête et l'embrassa. Il avait mauvaise haleine et sa barbe piquait. Il lui prit la main et la posa sur sa bite.
— Pense à toutes les femmes qui aimeraient profiter de ça.
— Barney, je ne me sens pas d'humeur à ça.
— Comment, tu ne te sens pas d'humeur à ça ?
— Je ne me sens pas désirable, c'est tout.
— Mais si, tu vas voir !
L'été, ils dormaient sans pyjama. Il grimpa sur elle.
— Écarte les jambes, nom de dieu ! T'es malade ou quoi ?
— Barney, s'il te plaît...
— S'il me plaît quoi ? J'ai envie de baiser et je baiserai ! Emmanuel Mounier n'a-t-il pas dit que « l'individu, c'est la dissolution de la personne dans la matière » ? Et que par conséquent, « la personne ne peut croître qu'en se purifiant de l'individu qui est en elle » ?
Il la pénétra brutalement.
— Salope, je vais t'éventrer !
Barney baisait comme une machine. Elle n'éprouvait pas le moindre sentiment à son égard. Comment une femme pouvait-elle épouser un type pareil ? se demandait-elle. Comment une femme pouvait-elle vivre trois ans avec un type pareil ? Quand ils s'étaient connus, il n'avait pas paru si... si féru de personnalisme mouniérien.
— Alors, t'aimes ça le gros chauve à col roulé, hein ?
Il pesait sur elle de tout son poids. Il transpirait. Il ne lui laissait aucun répit.
— Ça y est, je vais venir ! Je vais venir ! je viens !
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
mardi 22 mai 2018
Hiatus
Chez le suicidé philosophique, il y a un avant et un après l'homicide de soi-même. À bien des égards, cette cassure temporelle est similaire à celle, soulignée par Robert Poulet, qui marque la pensée européenne à la charnière du XVe et du XVIe siècle.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Gluance fichtéenne
16 juillet. — Continué ma lecture de Fichte. On s'y trouve dans le royaume du visqueux froid, où abondent les poulpes et une foule d'autres mollusques céphalopodes. Cela produit une impression épouvantable.
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
Impuissance du cézannisme géométrique
Découverte macabre hier matin à Châtellerault. Vers 6 h 30, la police constate le suicide par pendaison d'un homme, âgé d'une cinquantaine d'années, à proximité du lycée Berthelot. Selon la police, la victime a mis fin à ses jours en accrochant une corde à la rambarde des quais avant de se jeter au-dessus de la Vienne.
Le corps sans vie du désespéré n'était pas visible depuis la route, et c'est son chien, errant sur les rives de la Vienne, qui a conduit les fonctionnaires de police à faire la lugubre découverte. Le pauvre animal a ensuite mené les enquêteurs au domicile tout proche du défunt, dont on avait récupéré les clefs dans la poche de son veston.
Le suicide pourrait remonter à plusieurs heures avant l'arrivée de la police. Selon une source, le quinquagénaire était suivi pour des problèmes ontologiques. Il s'était mis un temps au cézannisme géométrique, sur les conseils d'un psychanalyste lacanien qui lui avait vanté l'art comme « un élément médiateur face à une souffrance presque indicible », mais cela n'avait rien donné. (La Nouvelle République, 2 juin 2017)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
Un inadapté
Incapable de nager, dépourvu de branchies, et cependant pilchard.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
L'homme, l'animal et la question du monde
« Deux mois de prison avec sursis et des travaux d'intérêt général... tel est le verdict rendu hier par le tribunal correctionnel d'Angers appelé à juger un homme qui, en tentant de se suicider, a tué par accident le chien de sa voisine.
Le 16 juin 2017, à 2 h 30 du matin, à Mûrs-Érigné (Maine-et-Loire), une femme est réveillée par une détonation. Elle découvre alors un trou béant dans le mur de son salon et son chien Jean-Claude gisant mort sur le canapé.
Alerté par ses cris, son voisin contrit se présente à sa porte. Le fusil à pompe avec lequel il voulait mettre fin à ses jours s'étant enrayé, le coup est parti en direction de l'appartement de sa voisine lorsqu'il a voulu remettre la cartouche en place, tuant le canidé sur le coup.
On sait que dans les Concepts fondamentaux de la métaphysique, Heidegger consacre une longue section à l'animalité, où il invite le Dasein à se comprendre en se distinguant de ce qui n'est pas lui. L'ontologue y défend trois thèses : la pierre est sans monde, l'animal est pauvre en monde, l'homme est configurateur de monde. Eh bien, nul doute que le pauvre Jean-Claude se serait bien passé d'être ainsi "configuré".
À vrai dire, l'homme comparaissait non pour la mort de l'animal mais pour détention d'une arme de catégorie B. » (Sud Ouest, 20 février 2018)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Éternellement jeune !
Il est notoire que la vie, quand elle se prolonge, finit par amener un état maladif, que nous appelons vieillesse, et qui offre la réunion de tous les caractères du marasme et de l'atrophie.
Épuisement graduel de la force vitale, affaiblissement de la digestion, de la nutrition, de l'assimilation, des sécrétions et des excrétions, débilité de toutes les fonctions volontaires et involontaires, de toutes les facultés physiques et morales, dessèchement et émaciation du corps, diminution de la chaleur vitale... Ce sont tous ces phénomènes suprêmement désagréables auxquels a voulu échapper le poète, sculpteur et peintre Jean-Pierre Duprey en se pendant à la poutre maîtresse de son atelier le 2 octobre 1959. Il était alors âgé de vingt-neuf ans. Avec sa pénétration habituelle, Gragerfis le décrit dans son journal comme une « personnalité tragique et indépendante ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Ranz des vaches
« Ranz est le nom donné, en Suisse, à des airs pastoraux — Les ranz des vaches sont des airs populaires chantés par les bergers dans les montagnes, ou joués par eux sur le cor des Alpes, pour conduire les troupeaux. Les effets sympathiques que ces airs exercent sur les montagnards helvétiens les ont rendus célèbres. A l'époque où des régiments suisses étaient à la solde de la France, on fut obligé de défendre, sous peine de mort, de jouer le ranz des vaches, qui poussait les soldats les uns à la désertion, les autres au suicide, et qui les plongeait tous dans une profonde mélancolie. » (Petit Larousse illustré, édition 1905)
Eh oui. Certains airs jettent les gens dans une mélancolie profonde. L'homme du nihil, lui, c'est une chanson, une chanson triste, jouée par un orchestre de tziganes dans un cabaret excentrique, « La Grenouille verte », qui lui donna souventes fois l'envie de se pendre. La macabre cantilène est intitulée : « Oh ! sombre dimanche ! »
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Totalité modale
Les parents de Heidegger ne s'entendaient pas et leurs disputes étaient fréquentes. Un jour, le père dit à son épouse en présence de Martin qui s'en souviendra toute sa vie : « Tu es si vieille et décatie que coucher avec toi, c'est comme coucher avec la mort. Franchement, j'en ai soupé (ich habe davon gesuppiert) ».
Malgré la brutalité apparente de cette déclaration, il est clair que nous avons affaire ici à une « totalité modale » qui correspond à une « intégralité herméneutique » du discours dévoilant. Ce concept de totalité, Heidegger montrera plus tard dans Sein und Zeit qu'il est opératoire non seulement dans le contexte de l'élaboration de la totalité des éléments qui constituent la structure du souci — ainsi dans le cas de son père —, comme totalité configurée par l'ensemble articulé des existentiaux ou comme intégralité de l'être-au-monde, mais aussi en ce qui concerne la totalité d'outils (Zeugganzheit, p. 68-69, 82, 103), la totalité de renvois (Verweisungsganzheit, p. 70, 75-76, 82), la totalité de tournures (Bewandtnisganzheit, p. 84.85, 87) qui constitue la mondanéité ou la totalité de places (Platzganzheit, p. 103, 111-112) formant la spatialité existentiale.
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Théorème de Goodstein
En mathématiques, et plus précisément en logique mathématique, le théorème de Goodstein est un énoncé arithmétique portant sur des suites, dites suites de Goodstein. Les suites de Goodstein sont des suites d'entiers à la croissance initiale extrêmement rapide, et le théorème établit que, en dépit des apparences mais semblablement à la vie de l'homme du nihil, toute suite de Goodstein se termine par zéro.
Le théorème de Goodstein n'est pas démontrable dans l'arithmétique de Peano du premier ordre, mais peut être démontré dans des théories plus fortes, comme la théorie du pachynihil. Il donne ainsi, dans le cas particulier de l'arithmétique du premier ordre, un exemple d'énoncé indécidable plus naturel que ceux obtenus par les prétentieux « théorèmes d'incomplétude de Gödel » dont l'auteur était d'ailleurs notoirement bizarre.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Faubourg (Georges Simenon)
Ils furent seuls à descendre du train et, dédaigneux du souterrain, ils attendirent le départ du convoi pour traverser les voies. Les wagons défilèrent, sans lumières, rideaux tirés. Tout le monde dormait.
Dans la gare, on ne voyait personne. Le fracas du train une fois éteint, on avait envie de parler bas, de marcher sur la pointe des pieds.
— Ça n'a pas l'air folichon, remarqua la femme qui tordait ses hauts talons sur les cailloux du ballast.
Il n'y avait pas à lui répondre. D'ailleurs elle ne demandait rien. Elle ne se plaignait pas. C'était une constatation, sans plus, sans amertume. Alors ?
De Ritter savait bien qu'il y avait un homme en faction tout au bout du quai, près de la grille de sortie. Il remarqua aussi une faible lueur dans un des bureaux : celui du sous-chef ou quelque chose comme cela.
C'était une gare de la plus mauvaise sorte, une gare moyenne, avec six voies, des souterrains, un grand buffet, une buvette et une verrière enfumée. Jadis, de Ritter la croyait très grande.
— Voilà... dit-il en tendant ses billets à l'employé. Je viendrai demain pour les bagages.
Il marcha devant. Il ne se donnait pas la peine de faire des politesses à sa compagne.
Dans l'ombre, un taxi stationnait, un seul, mais de Ritter passa sans le voir et se dirigea vers le café d'en face dont il poussa la porte.
— Entre!
Elle entra. Pendant qu'il se dirigeait vers une table de marbre, elle murmura :
— Si seulement j'avais écouté Bergson... J'aurais peut-être été capable, moi aussi, de m'inscrire dans une pensée vitale qui appréhende la vie comme scission ou différenciation de forces... Mais va te faire fiche ! Comme l'a bien vu Deleuze, nous ne trouverons jamais le sens de quelque chose (phénomène humain, biologique ou même physique), si nous ne savons pas quelle est la force qui s'approprie la chose, qui l'exploite, qui s'en empare ou s'exprime en elle.
Et c'était bien elle, cela cadrait avec son aspect de ruminer ainsi des concepts, de se complaire dans l'hétérogénéité pure des états de conscience. Pour elle comme pour Bergson, toute métaphysique positive devait partir de notre propre existence, de notre vie intérieure qui, à condition d'insister suffisamment, nous livrerait certainement les secrets de l'absolu, de la vie.
(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)
lundi 21 mai 2018
Straight, no chaser
L'acide sulfurique très étendu d'eau (une goutte pour chaque verre), a une agréable acidité et peut être employé en boisson dans les chaleurs et dans les maladies putrides. Moins affaibli, il favorise singulièrement le blanchiment des toiles écrues et l'anéantissement du Moi.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Dangereuse nostalgie
Le suicidé philosophique n'a-t-il pas le cœur serré au souvenir des prés à l'ombre des pommiers en fleur ? Ne soupire-t-il pas en évoquant la douceur des soirs à Saint-Clément quand les souffles légers portent l'odeur des foins et le parfum miellé des clématites ? Hélas oui, sa « cuirasse nihilique » ne l'immunise pas contre la nostalgie des délices de Capoue, et il doit souvent mobiliser toute sa volonté pour appuyer sur la queue de détente.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Un village Copain du monde à La Bourboule
« Soixante-dix ans après, la colonie du Secours populaire revient à la Bourboule pour permettre à trente-cinq enfants venus du monde entier de passer des vacances en Auvergne.
Ils viennent de région parisienne, d'Auvergne, mais aussi du Kosovo, d'Éthiopie ou de Madagascar. Ils ont entre huit et quinze ans, et n'auraient pas connu le bonheur des vacances sans le Secours populaire.
L'association crypto-communiste de lutte contre la pauvreté organise chaque été son opération "village Copain du Monde" : des enfants venus des quatre coins du monde se retrouvent pour passer dix jours dans une région française et fomenter une "dictature du prolétariat" qui tarde à venir. Nicole Rouvet, secrétaire générale du Secours Populaire dans le Puy-de-Dôme, expose d'une voix habitée les visées de l'initiative : "Dans cette période si violente, on apprend aux enfants venus de toutes les cultures à se parler, à se respecter, à s'aimer".
Car au delà de l'aide apportée à des familles en difficulté, le Secours populaire exalte un concept souvent détourné et moqué de nos jours : le fameux "vivre ensemble".
Les gamins sont arrivés dimanche pour les premiers, il y a quelques heures pour les derniers. Certains jouent tranquillement aux cartes, pendant qu'une partie de foot endiablée s'improvise.
De nombreuses autres activités les attendent : "Il y aura du cheval, de la randonnée, des conférences sur Lénine, Karl Liebknecht et Marcel Cachin, une visite au lac" détaille Marie Bonin, responsable du Secours populaire. Les enfants vont également préparer un grand spectacle pendant leur séjour.
Le point d'orgue de la colo : la "Journée des oubliés des vacances", qui réunira plus de 900 familles de "damnés de la terre" et de "forçats de la faim" au Pal le 25 août. Toutes les personnes aidées par le Secours populaire paient une contribution, à la hauteur de leurs moyens. "Cela s'appelle la dignité", explique Nicole Rouvet, citant Félix Dzerjinski.
Pendant ce temps, Erica, quatorze ans, savoure son bonheur d'être ici. Elle est venue de Tananarive, à Madagascar, "parce qu'elle est sage, sourit-elle, et s'intéresse à la pensée de Maurice Thorez". Erica fait peu de cas des différences de langue : "Je joue avec tout le monde. Quand ils ne parlent pas français, on communique par signes ou on s'envoie mutuellement au goulag." Tout est plus simple pour les enfants ! » (La Montagne, 16 août 2016)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
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