Il n'est rien
de plus angoissant que d'avoir la vie devant soi. À tant faire que de
l'avoir quelque part, il vaut mieux que ce soit derrière soi. On se fait
moins de mouron.
Et si le
pachynihil était une coquecigrue ? Si la pensée que « rien n'est »
résultait d'un désordre dans les synapses, les dendrites, les axones ou
le péricaryon ? La plus grande illusion est peut-être que tout est
illusion ! Oh là là ! Monsieur Pipo ! Faites que ce ne soit pas ça !
Les
convictions du négateur Émile Cioran n'étaient pas à la merci de
l'humide et du sec. Il portait une grosse casquette qui lui tenait chaud
à la tête, et cela lui permettait d'être négatif en toute saison.
Avoir, comme
le poëte polonais Czesław Miłosz, un sentiment très vif de la précarité
de l'existence, et cependant enfiler ses chaussettes chaque matin !
Comment expliquer un tel paradoxe ? Par la proverbiale force de
l'habitude ? Par la peur d'avoir froid aux « nougats » ?
Quand on est
de Bezons, il ne faut pas espérer rejoindre Grégoire de Naziance, Basile
de Césarée et Grégoire de Nysse dans le petit groupe des Pères
cappadociens. L'obstacle majeur, c'est que Bezons n'est pas en Cappadoce
mais dans le Val-d'Oise.
En Chine, un
jeune disciple demande à un vieux moine camusien : « Qu'est-ce que la
réalité empirique ? » Et le maître de répondre : « La réalité empirique
est un navet de deux livres acheté au marché de Chaozhou. » La leçon à
retenir est celle-ci : le monde est absurde, mais vous, en plus, vous
êtes con.
La prière
orthodoxe qu'on récite aux enterrements est véridique : c'est en vain
que s'agite l'homme. Il ferait mieux de se dissoudre dans « les frimas
languissants d'une routine en forme de gluon ».
Bien qu'il
soit assez odieux, on ne peut s'empêcher d'avoir pour le monstre bipède
une certaine compassion. On serait même prêt à faire le don de sa
personne pour atténuer son malheur, mais on ne sait pas à qui ou à quoi.
S'il n'est
pas réconfortant, il est en tout cas flatteur de penser que l'on mourra
sans avoir jamais, en aucune occasion, prononcé le vocable gabardine.
Quand on
demandait à Schopenhauer si ça « boumait », il répondait : « La vie
n'est qu'une sorte de moisissure apparue incongrûment sur la croûte
minérale du globe. La conscience, la douleur, le plaisir ne servent à
rien. Et d'ailleurs, tout l'univers ne sert à rien. » En général, les
questionneurs ne demandaient pas leur reste.
Pour chasser
de son esprit la pensée que « tout pue », la philosophie hindoue est d'un
grand recours, en particulier la Vajracchedikâ Prajnâpâramitâ où sont
exposés les principes de la doctrine de la vacuité. Sa stance finale,
l'une des plus belles de toute la littérature bouddhique, en exprime la
quintessence sous une forme extrêmement poétique. Après qu'on l'a lue,
rien ne cocotte plus, tout sent l'eau de Cologne.
Il faut être
profondément désespéré pour trouver quelque consolation dans le vocable
jabiru. Il faut avoir rejoint Cioran « sur les cimes du désespoir ».
Être
misanthrope, c'est haïr les individus qui prononcent en public le
vocable bouillabaisse — et ne haïr pas moins ceux qui s'abstiennent de
le faire.
Dans
ses Méditations, Descartes entreprend de démontrer l'existence de Dieu à
l'aide de la « preuve par l'idée de parfait ». Il imagine un parfait au
chocolat et... — bref ; de toute façon, ça ne marche pas.
Une personne
convaincue que « rien n'est » et que « tout pue » est merveilleusement apte à
imaginer le désespoir des singes (qu'on appelle aussi araucaria).
Dans le
roman Mystères de Knut Hamsun, le personnage principal, lorsqu'on lui
demande qui il est, répond simplement : « Je suis un état de fait. »
Cette définition nous convient intégralement et épuiserait presque notre
nature (si nous avions une nature à épuiser).
Les dernières
paroles du poëte Félix Arvers : « On ne dit pas colidor, on
dit corridor. » Et de fait, on dit corridor — quand on veut parler
d'un passage couvert mettant en communication plusieurs pièces d'un même
étage, tout au moins.
S'il est une
chose à laquelle nous tenons, c'est l'authenticité au sens de Heidegger.
Nous devons donc nous résigner à l'angoisse, puisqu'elle seule, selon
Heidegger, est capable de révéler « l'être-vers-la-mort » comme modalité
essentielle d'être du Dasein. Mais c'est dur, oh, c'est bien dur !