« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
jeudi 11 octobre 2018
Quand le viscère fait des siennes
Celui qui souffre de la goutte, de la gravelle, d'une névralgie du grand sympathique ou d'une inflammation du nerf crural, se soucie peu de savoir si « le schème harmonico-mélodique de la Rêverie de Schumann peut servir de support d'embrayage syntaxique à l'Humoresque de Dvořák ». Et que cette hypothétique « translation » consiste en un échange entre deux « formules sonores » incluant « une certaine charge sémantique » le laisse tout à fait de marbre.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Métaphore charcutière
« Le temps ? Comme la sensation qu'un large couteau de charcutier, m'abordant de côté, pénétrerait promptement en ma pachyméninge avec une régularité métronomique et en détacherait de minces tranches qui, en s'envolant, s'enrouleraient presque sur elles-mêmes, folâtres et pétulantes. » (Stylus Gragerfis, Journal d'un cénobite mondain)
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Parler pour ne rien dire
Selon Gragerfis, l'homicide de soi-même mettrait en relief, bien mieux que les jeux de langage chers à Wittgenstein, la nature phatique de l'homme.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Jugement contre les chenilles (1660)
« Nous, Pierre Granier, official diocésain de Clermont, marchant sur les traces de nos prédécesseurs, assis sur notre tribunal, les yeux élevés à Dieu, investi de toute autorité pour prononcer notre sentence dans le cas présent, au nom d'un seul Dieu tout-puissant, du Père et du Fils et du Saint-Esprit, de la bienheureuse Mère de Dieu, et des saints apôtres Pierre et Paul, je donne avis d'admonester les chenilles, et nous admonestons et supplions les chenilles et animaux susdits, sous peine d'excommunication, de malédiction et d'anathème, pour que, sous six jours, elles aient à se retirer des enclos, des vergers et des territoires de Fontgiève, Chamalières, Aulnat, Gerzat, Malintrat, Pralong, de St-Alyre, du Bas, de Cloval, et qu'elles aient à ne faire aucun mal là ni ailleurs dans ce diocèse ; si au jour fixé, notre admonition ne produit aucun effet, ces six jours écoulés, en vertu de l'autorité dont nous sommes revêtus, nous les anathématisons et en même temps nous les maudissons. »
— Les chenilles, fort bien, mais le Moi ? N'est-il pas une créature encore plus nuisible que ces larves de lépidoptères ?
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Simplicité
Le suicidé philosophique répugne aux grands éclats et aux fumées pythiques du langage. Il préfère la prose simple et directe d'un revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe aux envolées pompeuses d'un Hugo ou d'un Leconte de Lisle.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
La consolation nihilique
Le Rien est un simulacre phrastique, certes, mais qui m'émeut au suprême.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Habitants des abysses
À l'exception de quelques cétacés qui font des incursions brèves dans le domaine profond, tous les animaux des grands fonds — suppliciés, décapités, écrabouillés, fous, suicidés philosophiques — sont dépourvus de régulation thermique : ce sont des poïkilothermes.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
mercredi 10 octobre 2018
Contre Aristote
En se faisant « sauter le caisson » à l'aide de son colt Frontier, le suicidé philosophique prend part à cette première violation du dogme aristotélicien qu'est l'introduction des excentriques et des épicycles, avant que le système du monde des Anciens ne trouve sa forme définitive dans le système ptoléméen.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Combats désespérés
Le mot du Maréchal Colmar von der Goltz, dit Goltz Pacha : « Il faut, aux hécatombes des premières batailles, des hommes jeunes » se trouve confirmé dans la personne de ce bizarre rêveur qu'est le suicidé philosophique. Un exemple archétypique en est le nouvelliste russe Vsevolod Mikhaïlovitch Garchine qui, le 31 mars 1888, à l'âge de 33 ans, se suicide en sautant dans l'escalier de l'immeuble pétersbourgeois au cinquième étage duquel il habitait.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
« Words, words, words »
Selon Gragerfis, le monde consisterait en une décoction grisâtre de phonèmes.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Réfutation
En se donnant la mort, le suicidé philosophique ne rejette pas seulement la doctrine de McIntyre selon laquelle l'expérience vive n'est rien autre chose qu'un récit vécu, mais il refuse également d'adopter la thèse de Ricœur selon laquelle l'identité de soi-même — l'ipséité — est « un mixte instable entre fabulation et expérience vive ». Jamais, en effet, les différences structurales qui séparent une histoire racontée de l'expérience vive ne deviennent si manifestes, si marquées et si accentuées que dans l'homicide de soi-même.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Démon de la perversité
Dans ses Confessions, Saint Augustin raconte de manière dramatique comment, avec ses amis, il prit l'habitude de prononcer le vocable « reginglette ». S'il le fit, prétend-il, c'est uniquement par dégoût d'agir conformément aux bonnes mœurs et attiré par l'attrait du péché : « Hideuse était ma malice et je l'ai aimée ; j'ai aimé ma propre mort ; j'ai aimé ma déchéance ; non l'objet qui en était la cause, mais ma déchéance même, je l'ai aimée ! Âme souillée, ne convoitant pas autre chose dans l'ignominie que l'ignominie elle-même. »
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
À dérembourser
« Quand il s'agit de lutter contre la pensée de se détruire, on peut regarder comme inutiles et très souvent dangereux une foule de médicaments conseillés par les auteurs, dont les principaux sont : l'arnica, la cannelle, la serpentaire de Virginie, le simarouba, la racine de Colombo, la cascarille, le cachou, le ratanhia, le camphre, l'ammoniaque, l'élixir de Minsicht, etc, etc. On peut croire cependant que le ratanhia pourrait dans quelques cas combattre avantageusement l'hémorragie de la membrane muqueuse et la diarrhée. » (Louis-Charles Roche, Nouveaux éléments de pathologie médico-chirurgicale, J.-B. Baillière, Paris, 1833)
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Cubisme nihilique
Que dire du Rien sinon son énigme même ? La pensée peut-elle faire autre chose que de laisser ouverte l'énigme du Rien ? Mais en maintenant ainsi béant le mystère du Rien, ne risque-t-on pas de le banaliser, de passer à côté de sa charge subversive, de ne voir en lui qu'une sorte de « construction cubiste » à la Brancusi ?
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
mardi 9 octobre 2018
Traitement de choc
« Clarus parle d'un homme dans la pachyméninge duquel, tous les deux ou trois mois, la pensée de se détruire se mettait à enfler puis à souffler en bourrasque. Le malade, pour échapper au désir obsédant de s'anéantir, se renfermait dans sa chambre, où personne n'entrait qu'une vieille gouvernante ; il se mettait au lit, faisait mettre auprès de lui quelques douzaines de bouteilles de vin rouge, et buvait jour et nuit jusqu'à ce que tout fût vide. L'accès se terminait par des vomissements répétés. » (Louis de La Berge, Édouard Monneret, Louis Fleury, Compendium de médecine pratique, Tome III, Bruxelles, Société encyclographique des sciences médicales, 1844)
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Univers des possibles
Dans la théorie des probabilités, l'univers des possibles est défini comme l'ensemble de tous les résultats pouvant être obtenus au cours d'une expérience aléatoire, comme celle qui consiste à se jeter, ivre de cézannisme géométrique, dans un puits busé, ou encore celle où le patient s'allonge, dans un garage hermétiquement clos, sous une fourgonnette dont le moteur tourne.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Mèdes !
Selon Gragerfis, les Bouses étaient une tribu des Mèdes, et les Boudiens également.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Férocité inouïe de l'ami de la sagesse
« Les philosophes, lorsqu'ils ne peuvent plus supporter l'oisiveté et l'ennui de leur existence, se donnent le barbare plaisir de poursuivre un phénomène, de le réduire aux abois, de le faire passer par tous les degrés de la terreur et du désespoir, pour le faire enfin déchirer par des meutes de concepts, lorsqu'il ne peut plus ni se remuer ni se défendre, et qu'il n'a plus que des larmes et des palpitations douloureuses à opposer. » (Ligaturo Mazop der Saj, Le vice suprême, J.-B. Baillière, Paris, 1894)
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Panacée
Selon Matthiole, l'idée du Rien « nettoie l'estomac de toutes les humeurs grasses et gluantes qui causent les indigestions ; tue les vers ; guérit toutes les coliques d'estomac et d'entrailles au bout de quelques minutes ; rend gai, soulage bien les hydropiques ; guérit les indigestions dans une heure de temps, ramollit le tympan aux sourds ; apaise pour quelques temps les douleurs d'une dent creuse ; purifie le sang, le fait circuler, et est un contre-poison parfait ; purge imperceptiblement et sans douleurs, et guérit toutes les fièvres intermittentes à la troisième dose. Elle a ceci d'admirable, ajoute l'auteur, qu'on peut en prendre une forte dose impunément, et qu'elle est utile à tout. »
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Oxygène
Morozzo, ayant mis plusieurs philosophes sous une cloche de verre qui plongeait dans l'eau, et qui fut remplie d'air atmosphérique, puis d'oxygène, remarqua que ces « amis de la sagesse » vivaient moins longtemps dans l'air ordinaire que dans l'air vital, parce qu'ils en épuisaient plus tôt, en produisant leurs concepts, la partie respirable !
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Une cure efficace
Un homme de quarante ans, d'un tempérament sec et mélancolique, était atteint depuis longtemps d'une tristesse profonde qu'il chercha vainement à combattre par une multitude de moyens. Il se résolut finalement à prendre du taupicide en infusion légère dans de la bière, et après neuf jours de traitement, la maladie se dissipa et le malade avec.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
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