samedi 4 juin 2022

Conjecture

 

Si l'on pouvait vivre uniquement dans sa tête, sans aucun contact avec l'autrui du philosophe Levinas, la notion de normalité disparaîtrait et l'on n'aurait plus de raison de se faire du mouron — peut-être ?

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Un voyage éprouvant

 

Entrer mentalement dans une pomme, comme l'a fait en son temps Michaux, cela est admirable et riche d'enseignements — notamment en matière de morale — mais c'est une souffrance.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Trop c'est trop

 

Le jour où il lut dans une revue qu'il y avait trois cents sextillions d'étoiles dans l'univers, l'homme du nihil fut d'abord courroucé, puis il se mit au lit en signe d'abdication et de deuil.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Omission impardonnable

 

Écrire sur la catastrophe de la naissance sans citer Calderón et sans avoir lu La vie est un songe où il est question du « délit d'être né », cela, oui, cela est en effet une omission impardonnable.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 3 juin 2022

Homme invisible

 

À force de chercher l'obscurité, l'homme du nihil est devenu indiscernable, même aux yeux les mieux exercés. Ou alors, quand on le remarque, on le prend pour quelqu'un d'autre (par exemple pour Françoise Verny — c'est arrivé plus d'une fois).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Faute de mieux

 

L'homme du nihil a longtemps cherché sa place dans l'univers. N'ayant pu se faire agréer comme caillou, il s'efforça de devenir ce qui en était selon lui le plus proche : une « bouse de vaque » desséchée.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Étoupillant

 

Est dit étoupillant tout ce qui étoupille, autrement dit tout ce qui sert à garnir d'une petite mèche les pièces d'artillerie pour que le feu s'y communique. « Pour oublier l'odiosité de l'être, je décidai de boire quelques bouteilles étoupillantes de vin blanc. » (Jean Céré)

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Accès de traczir

 

Bien que la « nécessité » chère aux idéalistes allemands nous y oblige, il est humainement impossible d'admettre que le merveilleux Émile Cioran, à la grandiloquence carpatique si attachante, a disparu corps et âme, qu'il est désormais « feu », qu'il s'est dispersé dans le Rien comme une vaine fumée. Et ce n'est, si l'on peut dire, « que » Cioran. Mais soi-même ! Soi-même ! S'imaginer mort (ou si l'on préfère « décédé ») ! Une vaine fumée ! — Oh, bon Dieu de bonsoir !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

jeudi 2 juin 2022

Être « comme tout le monde »

 

Vivre comme un cloporte, ça peut toujours se faire (il suffit de faire « jore » qu'on possède un exosquelette rigide et segmenté, et de se blottir sous des pierres ou dans des endroits sombres). Mais réussir à faire semblant de trouver ça coquet, alors là, c'est une autre paire de manches.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Une bien bonne

 

« Nous, les vivants. »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Le grand bluff du nihil

 

Il n'y a rien de tel que le Rien pour donner une apparence de profondeur à des ratiocinations puériles.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Inimaginable encore

 

Anachronisme mis à part, on n'imagine pas Raskolnikov, en route pour commettre son forfait, s'arrêter pour feuilleter la Phénoménologie de la perception de Maurice Merleau-Ponty. Et on ne se le représente pas non plus chercher l'inspiration dans La Méthode d'Edgar Morin (ce continuateur de Merleau-Ponty et de Foucault, en particulier pour ce qui concerne le rapport entre le pensé et l'impensé).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Paysages

 

Plutôt le néant horizontal de la Beauce gréseuse que ce promontoire guindé, l'existence.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Du courroux

 

Le courroux est un indice de vitalité. Quelqu'un qui n'est pas courroucé, c'est mauvais signe. C'est signe qu'il est comme qui dirait « décédé » — ce qui, à la réflexion, est peut-être préférable pour tout le monde.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mercredi 1 juin 2022

Rapicolant

 

Est dit rapicolant ce qui revigore, redonne de la force physique, de la bonne humeur. « Après avoir envisagé de me retirer à la campagne et d'y vivre en hermite au milieu des bocages et des fleurs, je conçus l'idée, plus rapicolante encore, de me jeter dans un puits busé. » (Jean Céré)

(Fernand Delaunay, Glomérules)

« Un monstre, une chimère, quelque chose d'incompréhensible »

 

L'homme est un être hybride composé pour moitié de vocables (gigot, luzerne, mésotron, capsule ontologique, etc), et pour l'autre moitié de conglomérats de cellules plus ou moins dégoûtants (le pancréas, la vésicule biliaire, l'appareil de Golgi, etc).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Supériorité du décédé

 

À première vue, un vivant est capable d'accomplir plus de choses qu'un mort. Il peut se gratter le prose, et il peut même commettre l'homicide de soi-même. Mais pour ce qui est de participer à l'Un plotinien, le mort est incomparablement mieux placé.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Théorie du « jore »

 

Pour passer inaperçu et ne pas se faire enfermer chez les fous, il ne faut donner aucun signe qu'on trouve le « réel » bizarre. Il faut faire « jore » que tout nous paraît normal. Pourtant, et cela crève les yeux, tout, absolument tout dans le « réel » est bizarre, extrêmement bizarre — et même inquiétant.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 31 mai 2022

Alexandrin encore

 

« Vous vient à l'esprit la tombe de Celan » est le plus bel alexandrin de la langue française. Du moins s'il faut en croire Gragerfis (Journal d'un cénobite mondain).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Un fugace résidu

 

Un quidam que tout excède, que reste-t-il de lui après qu'il a dévissé son billard (une fois qu'il est, comme on dit, « décédé ») ? Presque rien. Quelques paroles saugrenues, qui ne tardent pas à s'évaporer. Et un quidam que rien n'excède ? Moins encore.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Horripilantes abréviations

 

Pressé de toute part, l'homme du nihil a finalement accepté de participer à une négo avec la fédé (à condition qu'elle ne se tienne pas à Mada en présence d'expats).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Le facile et le difficile

 

Quand on lit du Rimbaud ou qu'on écoute du Mozart, on ne peut s'empêcher de penser : « Je t'en fais autant ». Mais pas quand on lit du Luc Pulflop ou qu'on écoute du Bach !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 30 mai 2022

Une vie d'esthète

 

La cathédrale de Chartres ; la calligraphie de Mi Fu ; la musique de Bach ; et pour finir, le revolver de Smith et de Wesson (chambré pour le .44 russe).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Bric-à-brac

 

L'homme du nihil a deux grands bœufs dans son étable. Deux grands bœufs blancs marqués de roux. Il possède de surcroît une charrue en bois d'érable et un aiguillon en branche de houx. À quoi tout cela lui sert-il ? Mystère.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Vaines traces

 

Si l'on considère la masse des humains ayant foulé la terre depuis cinq mille ans, quelle peut être la proportion de ceux ayant laissé une trace, même infime ? Un sur dix millions ? Moins peut-être ? Les autres, c'est exactement comme s'ils n'avaient jamais existé. Il est donc loisible de voir l'au-delà comme un lieu où l'on croise les gens qui réussissent (ceux « à trace ») et les gens qui ne sont rien (les autres). Mais cette distinction est en réalité spécieuse car le pachynihil les a tous absorbés !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Alexandrin

 

On peut le dire aussi bien de la mort : « Ce train est omnibus pour Massy-Palaiseau ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Simples

 

La verveine soigne les pustules, tandis que l'achillée millefeuille passe pour vulnéraire et cicatrisante. Quant à l'armoise, elle soulage les pieds fatigués des voyageurs. Mais à ce qu'il paraît, il n'existe pas de simples contre la mort.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

dimanche 29 mai 2022

Pensée réfrigérante

 

Vous vous promenez de-ci de-là, vous baguenaudez dans l'être, et tout à coup, en traversant la rue Racine, vous vient à l'esprit la tombe de Celan.
 
(Fernand Delaunay, Glomérules)

Nostalgie de l'incréé

 

L'homme du nihil, c'est bien simple : plus il connaît la vie, plus il est sûr que sa vraie place est « au royaume muet des os en décomposition ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)