vendredi 27 juillet 2018

La vie du corps (Tobias Wolff)


Wiley, souffrant un soir de solitude, se rendit dans un bar de North Beach tenu par un type qui avait été un de ses collègues au lycée. Il regarda un match de base-ball, après quoi il entama la conversation avec la femme assise à côté de lui. Elle était vétérinaire. Elle s'appelait Kathleen.

Elle avait des yeux très verts, « verts comme les prairies d'Érin », lui dit-il, et elle rit, renversant la tête en arrière et décidant — il le devinait, il le voyait venir — de laisser les choses suivre leur cours. Elle était un peu ivre. Elle le touchait en parlant, au poignet, à la main, une fois même à la cuisse, pour bien se faire comprendre. Wiley hochait la tête mais n'entendait pas ce qu'elle disait. Ça se bousculait dans sa tête.

Il se voyait déjà pénétrer dans l'intimité de cette bougresse et envisageait d'organiser son étude selon trois axes principaux. Tout d'abord, parce que le concept d'individuum revêt sa première signification dans l'ordre de la physique et de la physiologie, comme en témoigne l'Abrégé de Physique de la deuxième partie de l'Éthique, il examinerait les traits distinctifs et caractéristiques de l'individu au sens premier, en tant qu'il s'agit d'un individu corporel quelconque. Dans un second temps, il restreindrait l'analyse au cas du corps humain, en tant que son statut de chose corporelle extrêmement complexe, de corps hautement individué, permet de le concevoir dans les termes d'un dispositif artificiel et d'un automate. Enfin, il s'agirait de déterminer dans quelle mesure l'être individué du corps humain constitue le modèle de l'individuation de l'esprit, afin de préciser l'enjeu de la conception spinoziste de l'identité psycho-physique comme identité individuelle, ou identité d'un seul et même individu.

Mais il fallait bien commencer quelque part et il décida de lui mettre, comme on dit, « la main au pot ».


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

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