« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
mercredi 30 mai 2018
Enlisement conceptuel
On ne peut ressentir qu'une pitié immense pour le philosophe, cet avorton au teint cireux qui s'affaire incessamment à disséquer la réalité empirique. C'est l'homme qui s'enlise : on ne voit plus que sa main, qui s'agite encore pour implorer un impossible secours, et la fange conceptuelle l'ensevelit...
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Gnosticisme fatal
« Jeudi après-midi, une femme qui se promenait avec son chien en forêt de Chantraine a fait une découverte macabre. Alors qu'elle se trouvait dans un endroit très pentu, cette promeneuse est tombée sur un homme pendu à un arbre. Alertés par cette dame, les policiers ont été dépêchés sur les lieux afin de récupérer le corps du malheureux.
Après quelques recherches, il s'est avéré que l'homme était âgé de 37 ans et qu'il était connu pour adhérer au gnosticisme, une doctrine dont les adeptes, selon le procureur de la République, "croient que les êtres humains sont des âmes divines emprisonnées dans un monde matériel créé par un dieu mauvais ou imparfait : le Démiurge".
D'après les premières investigations, l'homme se serait suicidé parce qu'il se jugeait prisonnier du temps, de son corps, de son âme inférieure et du monde. Il semble qu'en outre, il donnait à la matière une origine spirituelle et y voyait une "expression externe solidifiée" de l'Être absolu.
Le parquet n'a pas opposé d'obstacle médico-légal : la cause de la mort semblant très claire, il n'y aura pas d'autopsie. » (Vosges Matin, 19 janvier 2018)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Pourquoi le suicide
De nombreux auteurs, anciens et modernes, ont cru trouver le point de départ de l'homicide de soi-même dans le sentiment d'inconfort, d'« intranquillité », qui naît de la lecture des œuvres de Georges Perec.
Si vraiment cette explication est la bonne, ne serait-il pas urgent de tenter d'entraver la propagation de cette « littérature » et, par ce moyen, l'apparition des phénomènes morbides auxquels elle donne naissance ?
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Procédé économique
Guérir l'angoisse d'exister moyennant une dépense de 10 à 40 centimes, voilà le triomphe du taupicide 1 !
1. Quelquefois, pour masquer une très légère odeur de marée, il est expédient d'ajouter quelques centigrammes de poudre de cannelle. Compter une dizaine de centimes de plus.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
mardi 29 mai 2018
Alerte au nihil rue Beaumarchais
« À la demande de la Préfecture du Puy-de-Dôme et dans le cadre de sa mission d'appui aux administrations, le Bureau de recherches géologiques et minières est intervenu le 27 février 2007 afin de fournir un avis sur des chutes de concepts "nihiliques" dans la rue Beaumarchais à La Bourboule, au niveau des parcelles cadastrées n° 50 et 463. [...]
Dans un premier temps, nous conseillons de faire réaliser un débroussaillage et une purge des éléments les plus instables du voisinage (sectateurs du Rien, contempteurs de l'haeccéité, suicidés philosophiques, et cetera) par une société spécialisée.
Immédiatement après, un bureau d'études devra, sur la base d'une reconnaissance du site sur corde, déterminer et dimensionner les parades qu'il convient d'envisager (lectures publiques d'aphorismes de Marc Aurèle, d'Épictète et de Sénèque, distribution de concepts du chanoine Roscelin, voire pulvérisation d'idéalisme fichtéen). »
(La Bourboule (63) -- Chute de concepts rue Beaumarchais -- Avis du BRGM -- Rapport final -- BRGM/RP-55400-FR, Mars 2007)
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Les tueurs (Charles Bukowski)
Harry venait de sauter du train de marchandises et descendait Alameda pour prendre un café à cinq cents chez Pedro. Il était très tôt, mais il se rappela que Pedro ouvrait à cinq heures du mat. On pouvait rester assis pendant deux heures chez Pedro pour cinq cents. On avait le temps de gamberger sur le fait qu'« être-soi », pour le Dasein, implique d'être tout à la fois projet, en avant de soi, et son propre passé, ce qui ne peut se faire qu'en portant résolument, devant soi, son « être-jeté » et toutes les possibilités, vécues ou laissées de côté, que révèle l'extension de l'existence. On pouvait se rappeler toutes les conneries qu'on avait faites, et aussi les bons moments. Comme Heidegger, Harry avait l'intuition que le temps et l'être, deux notions aussi insaisissables l'une que l'autre et que l'ontologie classique oppose fermement depuis Aristote, désignaient en fait la même chose, au point que, selon François Vezin, « je ne puis nommer l'être sans avoir déjà nommé le temps ».
C'était ouvert. La petite Mexicaine qui lui servit son café le regarda comme on regarde un être humain, et non comme un « Dasein ». Les pauvres connaissent la vie. Une fille sympa. Enfin, une fille apparemment sympa. Toutes étaient synonymes d'emmerdes. D'ailleurs tout était synonyme d'emmerdes. Il se souvint d'une phrase entendue quelque part : la Vie n'est qu'une Suite d'Emmerdes.
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
Hylémorphisme
La prégnance qu'exerça la structure cosmique « en pelures d'oignon » conçue par Aristote ne doit pas nous faire oublier celles en forme de tourte ou de « cigare japonais » qu'ont toujours privilégiées les philosophes frappés de « constipation conceptuelle opiniâtre ».
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Aventure de Julien
Une femme d'une soixantaine d'années s'est jetée du pont Régemortes à Moulins (Allier), mercredi 30 novembre, vers 20 heures. Julien passait sur le pont à ce moment là : « Je l'ai vue debout, sur le parapet. J'ai essayé de la dissuader de sauter, je l'ai même conjurée de ne pas le faire. Elle est redescendue, mais... »
Elle a sauté dans l'Allier. Un autre témoin a tenté de lui venir en aide en se mettant à l'eau avant l'arrivée des secours. Une quinzaine de sapeurs-pompiers, dont plusieurs plongeurs de Moulins, Vichy et Montluçon appuyés par un bateau, ont effectué des recherches jusqu'en fin de soirée, aux abords du pont. Elle est restée aussi introuvable que le « possible » de Kierkegaard. (La Montagne, 1er décembre 2016)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
Une méchante parodie
Le suicide pour raisons sentimentales est au suicide philosophique « ce que le cri sauvage de l'hyène ou le lugubre râlement du hibou est à la plus suave harmonie ». Ou encore : « ce que la boue sanguinolente d'une mare infecte est à l'onde vierge d'un ruisseau limpide ».
En d'autres termes : une détestable contrefaçon que tout amateur de beau et de sublime ne saurait que mépriser.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Les fiançailles de Monsieur Hire (Georges Simenon)
La concierge toussota avant de frapper, articula en regardant le catalogue de La Belle Jardinière qu'elle tenait à la main :
— C'est une lettre pour vous, monsieur Hire.
Et elle serra son châle sur sa poitrine. On bougea derrière la porte brune. C'était tantôt à gauche, tantôt à droite, tantôt des pas, tantôt un froissement mou de tissu ou un heurt de faïences, et les yeux gris de la concierge semblaient, à travers le panneau, suivre à la piste le bruit invisible. Celui-ci se rapprocha enfin. La clef tourna. Un rectangle de lumière apparut, une tapisserie à fleurs jaunes, le marbre d'un lavabo. Un homme tendit la main, mais la concierge ne le vit pas, ou le vit mal, en tout cas, n'y prit garde parce que son regard fureteur s'était accroché à un autre objet : une serviette imbibée de sang dont le rouge sombre tranchait sur le froid du marbre.
Le battant de la porte la refoulait doucement. La clef tourna encore et la concierge descendit les quatre étages en s'arrêtant de temps en temps pour réfléchir. Ce qu'elle avait vu ne se concevait pas phénoménalement ni comme le corrélat d'une intuition. Cela n'avait aucun caractère spécifique d'immanence à la conscience mais constituait plutôt une forme d'en soi. Or, comme Moritz Schlick, elle était convaincue que l'ordre des contenus de conscience dans l'espace et dans le temps est le moyen par lequel nous apprenons à déterminer l'ordre transcendant des choses qui se trouvent au-delà de la conscience.
Elle hésitait, cependant. Ce caractère non-intuitif de la réalité empirique, était-ce une raison suffisante pour appeler la police?
(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)
Destin
En 1923, c'est une explosion de joie chez les Heidegger : Martin est nommé professeur non titulaire à l'Université de Marbourg. Les Dasein de toute la famille sont pavoisés, on mange du pain d'épice, et l'on oublie pour un instant que l'étant existant est un « être-pour-la mort ».
Heidegger a maintenant deux fils, Jörg et Hermann, le premier né en janvier 1919 et le second en août 1920. Hermann est en fait un fils adultérin, dont le père biologique est le médecin Friedel Caesar, ami d'enfance d'Elfriede. Dans une lettre à son amant, celle-ci écrit que « le cocu a pris la chose avec philosophie et a proposé spontanément de reconnaître l'enfant. En faisant preuve de "grandeur d'âme", ajoute-t-elle, il cherche à prouver que les phénomènes fondamentaux de la vie facticielle peuvent être hissés au niveau d'une détermination catégoriale ».
En réalité, si Heidegger s'est montré débonnaire, c'est qu'à la suite de Hölderlin, il ne pense pas le destin au sens du fatum, de la fatalité qui s'acharne sur un être, un fatum asiatique, écrit-il, mais au sens de la moïra, la « part » dispensée à chaque homme, le lot qui lui est échu. Le destin (Schicksal) se saisit de l'être-jeté sous la forme d'une véritable « destinée » (Schickung), et une telle destinée est bien ce qui nous est destiné (geschikt) en tant qu'il nous est envoyé pour déterminer « ce qui nous convient » (das Schickliche).
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
De la réalité des choses
En 1795, Fichte, averti par la lecture de Jacobi, radicalise l'usage transcendant qu'a fait Kant du principe de causalité appliqué à l'affection de la sensibilité par la chose en soi. Selon Fichte, ce serait l'extériorité transcendante de l'« en soi » qui fonderait en dernière analyse — contradictoirement ! — l'extériorité immanente des phénomènes perçus dans l'espace !
Mais alors, que reste-il de l'autosuffisance transcendantale qui caractérisait la preuve kantienne de la réalité des choses dans l'« espace hors de moi » ? Rien, ou pas grand chose.
Pour l'écrivain Adalbert Stifter, ce « coup de force » fichtéen est trop dur à supporter, et il se suicide à Linz le 28 janvier 1868 en se tranchant la gorge d'un coup de rasoir. Déjà dans sa jeunesse, en 1817, il avait voulu se laisser mourir de faim pour expier la mort accidentelle de son père.
Un siècle plus tard, son compatriote Thomas Bernhard saluera sa mémoire en le décrétant « un bavard insupportable » et « probablement l'auteur le plus ennuyeux et le plus hypocrite qu'il y ait dans la littérature allemande ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Un moyen radical
« Quant à l'homicide de soi-même, je ne puis pas insister davantage sur l'excellence de ce procédé, mais je le considère comme appelé à réaliser un progrès très sérieux dans l'hygiène nosocomiale. » (Dr Richard, Bulletins et mémoires de la Société médicale des hôpitaux de Paris, Imprimeries réunies, Paris, 1886)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Le désert de Gobi de l'existence
On trouve, dans Le Crabe aux pinces d'or, des tonalités kierkegaardiennes qui reflètent bien l'évolution spirituelle de Hergé à cette époque (1941). Ainsi, quand Tintin, après que son avion s'est écrasé au cœur du Sahara, fait le point sur sa vie et soupire : « Toujours rien à l'horizon... rien que le désert sans limite... — Je me demande comment nous allons nous en tirer... ». Ne croirait-on pas entendre la voix si caractéristique du « penseur privé » ?
Tintin vient d'être frappé par l'idée du Rien mais n'est pas encore prêt à faire le « saut dans l'irrationnel » qui a tant obsédé le philosophe danois (et que ce dernier se jugea d'ailleurs incapable d'effectuer, en raison d'une certaine ankylose mentale qui le paralysait).
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
lundi 28 mai 2018
Théorème de suspension de Freudenthal
Le théorème de suspension de Freudenthal a été démontré en 1937 par Hans Freudenthal. C'est un résultat fondamental sur l'homotopie, qui explique le comportement d'un groupe de sceptiques d'un espace pointé lorsqu'ils suspendent leur jugement pour parvenir à l'ataraxie, comme préconisé par Sextus Empiricus.
Lorsque cela fonctionne, la quiétude à laquelle ils atteignent évoque celle qui, chez les stoïciens, résulte de la connaissance du mouvement de l'univers, animé par un air chaud — le pneuma — dans un mouvement infini et cyclique d'inspiration et d'expiration.
Un corollaire est que la n-sphère S n étant (n-1)-connexe, le groupe πn+k (S n) est indépendant de n pour n ≥ k + 23. Ce groupe est appelé le k-ième groupe d'homotopie stable des sphères zététiques, ces dernières comprenant, outre le fondateur Pyrrhon d'Élis, Timon de Phlionte, Euryloque, Nausiphane de Téos, Nicolochos de Rhodes, Ptolémée de Cyrène, Énésidème, Antiochos de Laodicée, Agrippa, Ménodote de Nicomédie, Hérodote de Tarse, Sextus Empiricus, Saturninus, et cetera, et cetera.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Un challenge sportif pour créer du lien
« La première épreuve du challenge sportif mis en place sur la commune nouvelle de Montcuq-en-Quercy-Blanc se déroulera ce samedi 18 juin, à 18 heures, à Belmontet, à l'occasion de la fête votive. Elle fait partie des trois courses pédestres prévues dans les villages de Belmontet-Valprionde, Lebreil-Sainte-Croix et Montcuq.
Les tracés ont été délimités par une équipe organisatrice composée de bénévoles. Chacun des trois parcours fait un peu plus de 5 kilomètres. Pour participer à ce challenge amical et plein de bonne humeur, des équipes doivent se former et s'engager. Elles seront composées de trois coureurs et de trois marcheurs qui pourront changer d'une course à l'autre, l'essentiel étant que l'équipe soit représentée. Ces équipes pourront se constituer par corporation ou par profession, par village, famille, regrouper des voisins ou des amis, sans aucun esprit de compétition. Le but est de créer du lien entre les habitants.
Pour éviter toute notion de performance, c'est le temps du plus mauvais coureur qui sera retenu. Tous les kilomètres, une question concernant la philosophie heideggérienne — "définissez le concept d'Ereignis" ; "comment appelle-t-on le mode d'être des choses intra-mondaines qui ne sont pas des Dasein et qui se contentent de se trouver là ?" ; "l'être-au-monde est-il une relation unitaire et insécable ?" — sera posée aux marcheurs. Chaque bonne réponse signifiera un bonus pour le coureur. Celui qui donnera une mauvaise réponse, en revanche, sera sommé de se convaincre que la différence ontologique ne désigne pas simplement la dissociation de l'être et de l'étant, mais cette dissociation considérée en ce que l'étant n'est lui-même en tant qu'étant (et non pas tel ou tel) qu'à la faveur d'une lumière venue d'ailleurs, mais qui brille en lui par son absence — celle de l'être.
Les bulletins d'inscription sont disponibles à — révérence parler — l'antenne de Montcuq de l'office de tourisme en Quercy blanc. » (La Dépêche, 18 juin 2016)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
Accès de scepticisme grec
26 juillet. — Au réveil, pris d'un violent accès de scepticisme grec. J'en viens à ne plus même savoir s'il est possible de savoir quelque chose. Craignant de tomber dans des positions relativistes ou — horresco referens — nihilistes, je me jette sur les Topiques d'Aristote. Le soulagement est quasi immédiat et je puis vaquer à mes occupations ordinaires sans avoir à « suspendre mon jugement » à tout bout de champ.
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
Gluance molle
Dans Crime et châtiment, Sonia Marmeladova, dont le nom évoque irrésistiblement la crème de marron, est si collante qu'elle s'attache à Raskolnikov « comme le suicidé philosophique à son revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe ».
Se trouve ainsi confirmée l'intuition décisive de l'homme du nihil, à savoir que « la crème de marron, c'est plus commun [que le vouloir-vivre schopenhauerien], mais ça tient bon ».
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Concision
L'homicide de soi-même, quand il est bien mené, a cette merveilleuse brièveté de style qui caractérise les ouvrages de Salluste.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Concepts urticants
« Chacun sait que le contact d'un philosophe produit une sensation urticante et visqueuse qui est sinon douloureuse du moins désagréable. L'urtication, la viscosité de "l'ami de la sagesse" sont dues à une foule de petits corps, les "concepts", dont le philosophe, sous l'attouchement qu'il a subi, s'est immédiatement hérissé. La plus grande prudence est donc de mise lorsqu'on approche un philosophe. » (Auguste Prenant, Traité d'histologie, Tours, Arrault, 1904)
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
L'être chez Kant et Bergson
« Drôle de réveil pour un détenu espagnol de la prison de Villabona (Asturies). Gonzalo Montoya Jiménez avait tenté de se suicider en prenant des médicaments et s'est finalement réveillé à la morgue sur la table d'autopsie. Son décès avait pourtant été constaté successivement par trois médecins.
"La première chose dont il se souvient est qu'il était dans un sac noir. Comme il ne pouvait pas parler, il a commencé à pousser des petits cris. Le médecin l'a entendu. Il a ouvert le sac. Mon mari a commencé à crier et à sortir ses bras du sac", a raconté sa femme à la Voz des Asturias. Pour expliquer leur erreur, les médecins ont avancé l'hypothèse d'une catalepsie.
Gonzalo Montoya Jiménez a contracté une pneumonie dans la chambre froide mais son état n'est plus inquiétant. Il s'agissait de sa troisième tentative de suicide. À chaque fois, il a pu être miraculeusement sauvé.
Selon son épouse, c'est le kantisme qui a fait naître chez Gonzalo ce désir compulsif de se détruire, en le persuadant que l'expérience ne nous livre que ce qui est relatif à nos facultés de connaître et ne nous permet pas d'accéder à la réalité en soi, de percer les secrets de l'être. Elle assure lui avoir répété maintes fois que, selon Bergson, c'est par fausse modestie que nous nous prétendons coupés de l'être et croyons ne pouvoir atteindre que du relatif, il n'a jamais rien voulu entendre.
Peut-être sera-t-il maintenant plus réceptif à ses arguments ? » (La Dépêche, 10 janvier 2018)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Ils t'ont pas épousée (Raymond Carver)
Earl Ober, représentant de son métier, était momentanément sans emploi, mais Doreen, sa femme, avait trouvé une place de serveuse dans l'équipe du soir d'une cafétéria des faubourgs où l'on pratiquait les trois-huit. Un soir qu'il buvait, Earl décida de passer à la cafétéria pour manger un morceau. Il voulait voir l'endroit où Doreen travaillait, voir aussi s'il pourrait s'envoyer quelque chose aux frais de la princesse.
Il s'installa au comptoir et étudia la carte.
— Tiens, qu'est-ce que tu fais là ? dit Doreen en l'apercevant.
— J'essaie d'égaliser les points de vue de l'être substantiel et du soi fini, dit Earl. C'est ce que Fichte appelle la synthèse quintuple.
— Oh, je vois. Et qu'est-ce que tu vas prendre, Earl ? dit-elle.
— Donne-moi un café et un de ces sandwichs « numéro deux ».
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
Association d'idées
Juin flamboie. Étendu dans une prairie en fleur, le suicidé philosophique rêve au bord d'une eau charmante de lenteur où les brins d'herbe font des arches d'émeraude. Son regard observe l'araignée à l'affût dans ses fils et la ciguë avec sa blanche ombelle où bouge un insecte luisant et rond.
La ciguë ! À peine ce mot s'est-il formé dans son « conscient intérieur » que la pensée de l'homicide de soi-même le poigne. Adieu ruisseau, argyronète, adieu insecte luisant et rond ! Seul subsiste en son esprit le sentiment de légèreté qui est la mort même ou, mieux dit, l'instant de sa mort désormais toujours en instance.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Période de doute
Mobilisé en 1917 malgré son « épilepsie transcendantale », Heidegger est affecté au service météorologique de l'armée à Verdun (il est chargé de surveiller l'anémomètre).
Pendant cette période où la routine de son service l'empêche de « créer des concepts », Heidegger se sent devenir hébéphrénique et cherche désespérément à se prouver à lui-même qu'il existe. Quand on l'interroge sur la réalité de son Dasein, il ne peut que répondre, avec défiance et en hésitant : « Il est probable que je suis ».
À partir de 1918, il s'éloigne du catholicisme, se met à lire Luther et affirme son indépendance, en tant que philosophe, par rapport à toute religion.
Il se voit toujours comme un phénoménologue et ne se déplace jamais sans sa loupe et son carnier.
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
dimanche 27 mai 2018
Amputation
« Je crois qu'il n'est pas permis d'enlever les quatre derniers orteils en laissant subsister le premier ; il me semble qu'il serait plus nuisible qu'utile à la marche. » (J. Lisfranc, Précis de médecine opératoire, Paris, 1846)
C'est aussi ce que pense le suicidé philosophique, qui décide d'y aller « franco de port et d'emballage » et de ne pas faire de quartier en s'attaquant à son Moi.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Le remède à tant de maux
« Un prisonnier resserré dans un estroit cachot, priué de la lumiere du iour, enchaisné, & garotté de tous costez, ne respire qu'apres sa liberté : & nous qui sommes en ceste mortelle prison, entrauez à la cadéne de tant d'infirmitez, subiects à tant de douleurs, nous cherissons cet esclauage, & n'auons rien en plus grande horreur que nostre deliurãce : en ce mortel exil nous sommes subiects à mille & mille incommoditez, bastantes de nous faire abhorrer cette vie : & neantmoins nous craignons la mort, vray et singulier remede à tant de maux. »
(Les diuersitez de Messire Iean Pierre Camus, Euesque & Seigneur de Belley, Paris, Cl. Chapelet, 1612)
Sortir du moment dialectique
Exténué par le commerce des idéalistes allemands, l'homme du nihil recherche la paix de l'âme dans la contemplation des moineaux sur la neige, d'une théorie de tortues, d'un vol de canards sauvages, d'une touffe de roseaux. Mais la dissolution dialectique des concepts abstraits a laissé ses nerfs à vif : une tache, une ombre, et l'absolu le terrasse !
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Vaincre la solitude du Dasein
« Vous avez plus de cinquante ans, vous avez besoin de convivialité, de dialogue, de liens amicaux...Vous voulez sortir de la solitude...Vous aimez les jeux, les sorties, les échanges... Alors venez rejoindre le club Accueil et Amitié.
Parties de cartes, scrabble, jeux de société autour d'un café, d'un chocolat ou d'un verre de taupicide dans une ambiance conviviale.
Club Accueil et Amitié, 76 Impasse Haute de Quaire, 63150 La Bourboule. »
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Suicide d'un chien
Dimanche vers 10 h, les passants à la hauteur du 19 rue Georges Clémenceau à Romorantin ont eu la surprise de voir un chien sauter du deuxième étage de l'immeuble et s'écraser sur la chaussée, dix mètres plus bas.
Ce drame, constaté quelques instants plus tard par les gendarmes, résulte de l'inconscience de sa propriétaire de 32 ans, bourrelle irresponsable et sous curatelle renforcée. La jeune femme, trouvant qu'il faisait trop chaud dans son petit logement, abandonnait ses animaux sans soins pour rejoindre des amis habitant une maison plus agréable en été !
Les gendarmes ont trouvé dans son appartement un chat, une deuxième chienne de race berger allemand, ainsi qu'un chaton d'un mois qui s'était réfugié dans un placard. D'après les premières constatations effectuées par la gendarmerie, le désespéré, un berger suisse de couleur blanche, aurait cassé un carreau et forcé les volets fermés pour fuir la situation intenable qui régnait dans la chambre où s'accumulaient depuis un mois déjections et urine de ces quatre animaux enfermés par forte chaleur et sans eau.
Seul aspect positif de cette triste affaire : elle discrédite définitivement la thèse de l'ontologue Heidegger qui soutenait que l'animal est « pauvre en monde » parce que « ses inhibitions le cloisonnent dans une dépendance pulsionnelle panique et aliénante ». On voit au contraire que, comme le Dasein, l'animal ressent la présence d'une absence, d'un vide, d'un creux, donc d'une porosité au sein de son être. Et la privation d'être qui permet le contingent, ce n'est rien autre chose que la trace de la finitude, la conscience qu'a l'étant existant de son être-pour-la-mort, autrement dit le néant. (Le Petit Solognot, 19 juillet 2017)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
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