Brodequins vs. existence

 

Dans le supplice des brodequins, les jambes étaient rapprochées à l'aide de cordes, après avoir été assujetties chacune entre deux planchettes de chêne ; ensuite, le bourreau introduisait à coups de maillet, entre les ais du milieu, des coins de fer ou de bois. Les jambes devenaient informes et les os brisés laissaient échapper la moëlle. Dans le supplice de l'existence, c'est pareil, sauf qu'au lieu que ce soit les jambes, c'est tout. On a l'impression de passer dans un hachoir à viande.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Attente

 

Le philosophe Anaximandre dit que le temps venu, les choses, pour avoir eu l'outrecuidance d'exister, « subiront la punition et la rétribution l'une par l'autre de leur impiété ». On attend de voir ça.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Berlue vauvenarguienne

 

Vauvenargues dit que dans les jardins publics il est des allées hantées principalement par l'ambition déçue, par les inventeurs malheureux, par les gloires avortées, par les cœurs brisés, mais il doit raconter ça pour faire « jore » ou alors il a des visions, le gars.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Janáček, maintenant

 

Si l'on y regarde de plus près, on voit qu'il n'est pas le cas que l'existence est une homélie composée par le vénérable Bède. Ce serait plutôt un genre de « messe glagolitique » à la Leoš Janáček.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Penser

 

Luc Pulflop dit que « la pensée est une maladie, ou un catoblépas, ou les deux à la fois ». Et il est un fait qu'un individu qui pense se sent constamment patraque et se dévore soi-même comme fait l'animal fabuleux.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Un symbole de l'identité

 

Ô silure ! Poisson solitaire, lucifuge, qui vis d'ordinaire dans les zones les plus profondes de ton habitat ! Aristote et Pline ont parlé de toi. Comme tes nageoires sont courtes et ton corps pesant, tu ne peux pas t'emparer de ta proie à la nage. Tu es constamment dans des trous, sous des pierres, des racines d'arbres, etc. ; ton corps, de couleur obscure et toujours couvert de limon, n'épouvante pas les autres poissons ; tes longs barbillons, avec lesquels tu joues, sont pris par eux pour des vers ; ils s'en approchent donc sans crainte, et sont entrés dans ton énorme bouche avant qu'ils se soient doutés du danger. Vieux silure, tu es le symbole de l'identité : toujours égal à toi-même. Nous te saluons, vieux silure !

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Moment spéculatif

 

Hegel affirme que tout ce qui est réel est raisonnable. Pourtant, il se produit chaque jour des accidents sans nombre à cause d'ouvre-boîtes mal conçus. On veut ouvrir une boîte de cassoulet et on se retrouve la main en sang. C'est raisonnable, ça ?

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

L'envahisseur

 

Pour le négateur Émile Cioran, tout a commencé par un sombre après-midi, sur le boulevard Richard-Lenoir, alors qu'il cherchait des robinets pour sa cuisine, des robinets « vieux modèle hélas », que jamais il ne trouva. Cela a commencé par des aphorismes abandonnés, et un homme trop las pour continuer sa route. Cela a commencé par l'atterrissage d'un engin spatial venu d'une autre galaxie, avec à son bord Lucien Goldmann.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

What we talk about when we talk about being dead

 

Être mort n'est pas ragoûtant, surtout au début. On macère dans ses propres fluides, la putréfaction s'installe, des vers et des larves se montrent à la surface du corps, ces petits fidgarces se multiplient par myriades, et avant qu'on ait eu le temps de dire ouf, ils détruisent les parties molles. Finalement, il vaut peut-être encore mieux être vivant, quoique ce soit aussi pas mal sale.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Deux raisonneurs

 

Photin et Cléobule ont tous deux nié la virginité de Marie. Ils disaient qu'on ne la leur faisait pas ; qu'il est écrit dans la Bible que Jésus avait des frères, et cætera. Vous voyez le genre.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Sens de la vie

 

Et si le sens de la vie se trouvait dans un kyste situé sous le péritoine d'un congre ? S'il avait l'apparence hideuse d'un tétrarhynque ? Nous serions dans de beaux draps !

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Un décevant périple

 

Le voyage « de l'utérus au sépulcre », on vous en promet monts et merveilles, mais en fait il ressemble beaucoup à celui qui mène de Montréal à Toronto. On ne voit sur tout le parcours que des villes sans intérêt, des Prescott, des Brockville, des Cornwall... Pas de quoi grimper aux rideaux.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Vengeance !

 

Comme Osée, nous aurons des enfants de prostitution. Comme lui, nous nommerons le premier Jean-Guy, le deuxième Tu-n'es-pas-mon-peuple et le troisième Plus-de-miséricorde. Ça va barder.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Diable de Papini

 

C'est une erreur semi-pélagienne que d'affirmer que la femme est un être humain « comme vous et moi ». C'est un diable ! Un diable de Papini !

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Cum occasione

C'est une erreur semi-pélagienne que d'affirmer que le Christ est mort pour tous les hommes. Il n'est sûrement pas mort pour certain garagiste de la Bourboule, ou alors c'est à vous dégoûter de tout.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Les rois du « jore »

 

Question de faire « jore », il n'y a pas pire que les stoïciens. Ils prétendent qu'ils se foutent de tout, mais marchez-leur sur le gros orteil et ils coinquent faut voir comme. L'ataraxie, hein ? Pots de pisse !

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Synthèse quintuple fichtéenne

 

La synthèse quintuple est un procédé inventé par le philosophe Johann Gottlieb Fichte pour égaliser les points de vue de l'être substantiel et du soi fini. Fichte reconnaît que ça ne fonctionne pas à tous les coups, mais dit que quand ça marche la sensation est incroyable, que c'est « comme si on avait pris des champis ». Hélas, l'effet ne dure pas longtemps et l'on redevient vite un « être-pour-la-mort ».

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Réussir

L'échec a quelque chose de confortable et de rassurant. Il est dans l'ordre. La réussite, en revanche, est antinaturelle. Rien que d'y penser, on a le traczir. Si on allait se prendre pour un « gagnant de la mondialisation » ? Pour un « crack de l'existence » ? La gênance !

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Anathème

 

Si quelqu'un dit que la substance de Dieu se dilate ou se contracte ; si ce quelqu'un emploie en outre des mots tels que budgétiser ou préciput... qu'il soit anathème ! 

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Une difficile extraction

 

D'après Heidegger, il n'y a pas que les sardines qui sont serrées au fond de cette boîte, il y a aussi... l'Être ! Et pour l'extraire, ça ne va pas être de la tarte. Ça ne va pas se faire en soufflant dessus.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Un chansonnier de l'apocalypse

 

Clément d'Alexandrie dit que l'apôtre Jean fut exilé dans l'île de Patmos en 94, à la suite de persécutions contre les chrétiens, et que c'est là qu'il écrivit l'Apocalypse. Dans ce texte prophétique, c'est, selon l'apologète alexandrin, le Diable lui-même, le Diable en personne, le « dragon », qu'à force de flatteries Jean amadoue. Par contre, Clément ne dit rien de Jean Bertho.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Caractère soupçonneux du Grandiloque

 

Cioran était d'une nature si soupçonneuse qu'il allait jusqu'à soupçonner l'horconia de Pline d'être la même chose que l'arelaca de Columelle. Simone Boué lui disait qu'il « yoyotait » mais il ne voulait pas en démordre.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Jeanne-Claude pêche la coquille

 

Avec les revenus de son art, le plasticien Christo s'était acheté une modeste maison de vacances à Lamballe (Côtes-d'Armor). Quand il y allait avec son épouse Jeanne-Claude, celle-ci en profitait pour pêcher la coquille Saint-Jacques et le pétoncle dans la baie de Saint-Brieuc.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Embaumement fécal

 

Cornélius Népos raconte qu'à la mort d'Agésilas ses amis l'embaumèrent avec de la cire, à défaut de miel. Et là, on est obligé de se poser la question : s'ils n'avaient pas eu de cire, ç'aurait été quoi, de la merde ? Le monstre bipède n'a honte de rien !

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Surdité de Robigus

 

Le dieu Averruncus était celui que les Romains invoquaient pour détourner de dessus leur tête les maux dont ils étaient menacés. Aulu-Gelle dit qu'on l'appelait encore Robigus. Interpellons-le, pour voir. « Hé ! Robigus ! Gars ! T'as une banane dans l'oreille ! » — Pas de réponse.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Nos affections

 

Si nous faisons le bilan de nos affections, nous constatons que nous n'aimons personne, hormis quelques Russes morts. C'est un triste bilan, mais est-ce notre faute si des non-Russes et des non-morts il n'y a rien à tirer ?

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Les adamiques et les simiesques

 

Chestov émet quelque part l'hypothèse que certains hommes, peu nombreux, descendent d'Adam, tandis que la plupart descendent du singe. Il ne cite pas nommément le chanteur Claude Nougaro, mais on ne peut se défendre d'y penser.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Relents haschichins

 

Quand on lit Le Procès, La Métamorphose ou Joséphine la cantatrice, on ne peut s'empêcher de se demander si Kafka ne fumait pas de la « beuh » ou du « shit » pour inventer des histoires aussi baroques. Cela ferait de lui un précurseur de Jacques Kérouac et des poëtes de la « Beat Generation », et ce ne serait pas très glorieux. Encore heureux qu'il ne consommait pas des « champis » ou du péyote. Cela eût fait de lui un successeur de George Sand ou un précurseur du « Mômo » !

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Hégélianisme

 

Georges Hegel prétendait démasquer le véritable concret en dissolvant les concepts abstraits, mais soit malchance soit maladresse de sa part, tout ce qu'il parvint à démasquer, c'est de la révérence parler merde !

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)