Odiosité des réussissants

 

Il devrait être interdit d'avoir du succès dans quelque domaine que ce soit. Une personne qui réussit, ou qui a simplement l'impression d'avoir réussi parce que des crétins l'applaudissent, ça lui monte à la tête et elle devient tout de suite odieuse.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Vin de Capoue

 

Polybe dit qu'il naît à Capoue un vin excellent de l'anadendron, et qu'on ne saurait rien lui comparer. Cette phrase, « il naît à Capoue un vin excellent de l'anadendron et on ne saurait rien lui comparer », vous pouvez la répéter en vous-même quand tout va mal. Même si vous n'allez jamais à Capoue, même si votre vie est un total désastre, même si votre bonne femme s'est barrée avec un garagiste de La Bourboule, vous savez qu'au moins, là-bas, à Capoue... Là-bas, ce n'est pas pareil. Là-bas, il n'y a pas de garagistes, en tout cas pas de La Bourboule. Là-bas, le soleil brille. Là-bas naît un vin excellent de l'anadendron. Oh bon Dieu !...

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Frelatement universel

 

Le meilleur moyen de ne pas être une fausse valeur est de ne pas être une valeur du tout. Ça présente en plus l'avantage qu'on vous laisse tranquille.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Comput

 

Schopenhauer n'était pas fanatique du comput de l'Écriture. Il préférait le comput hindou (qui fixe le temps raisonnable d'une vie humaine à cent ans et non à soixante-dix).

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Mécontentement de soi

 

À la déclaration « J'aime beaucoup ce que vous faites », la seule réponse possible est « Vous n'êtes pas difficile ».

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Synthèse quintuple fichtéenne

 

La synthèse quintuple est un procédé inventé par le philosophe Johann Gottlieb Fichte pour égaliser les points de vue de l'être substantiel et du soi fini. Fichte reconnaît que ça ne fonctionne pas à tous les coups, mais dit que quand ça marche la sensation est incroyable, que c'est comme si on avait inhalé de l'éther. Hélas, l'effet ne dure pas et l'on redevient vite un « être-pour-la-mort ».

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Destination le Rien

 

L'être humain croit qu'il est en route pour Biotte où il entend participer à un « fes' pop » mais sa véritable destination est beaucoup plus macabre et c'est, inutile de tourner autour du pot, le cimetière.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Avantage du solipsisme

 

Puisque la « réalité empirique » ressemble au cauchemar d'un fou, dire qu'on est solipsiste revient à dire qu'on est tordu. Mais comme on ne le dit qu'à soi-même, tout va bien, il n'y a pas gêne.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Corrélation négative

 

Plus on pense, moins on est — et réciproquement, comme le montre l'exemple du rotond caillou.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Poésie

 

Il serait intéressant de savoir si un seul poëte, à l'époque moderne, s'est senti la conscience tranquille, ou si tous se sont vus secrètement comme des imposteurs.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Vie en beau

 

Que Baudelaire engueule le vitrier qui n'avait pas de verres de couleur, passe encore, mais il aurait pu se dispenser d'écrabouiller ses carreaux avec un pot de fleur. À quoi ça rime ? Ce n'était peut-être pas de sa faute, au gars.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Nulla dies sine linea

Pas de jour sans écrire une ligne, fût-elle composée d'un seul mot — et ce mot fût-il ornithorynx.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Le raté se parfume à la dynamite

Quand on a raté sa vie, on essaie de se convaincre que les autres aussi ont raté la leur ; que sa vie, on ne peut que la rater. Mais au fond de soi-même on sait que ce n'est pas vrai, on sait qu'il y a des gens dont la vie fut en tout point parfaite, par exemple... euh...

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Sans issue

 

Être vivant ne rime à rien ; être mort non plus. On est coincé de tous les côtés, mon vieux Milou !

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Suicide vs. ville la nuit

 

Le suicide est presque aussi beau qu'une ville la nuit — presque, mais pas tout à fait — car ces guirlandes de lumière... Non, on dira ce qu'on voudra.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Lassitude d'hippopotame

 

Comme Théophile Gautier selon les Goncourt, nous sommes en proie à une « lassitude d'hippopotame ». 

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Questions sans réponses

 

Qu'eût été notre existence si nous n'avions pas été possédé par l'idée du Rien ? Eussions-nous vu « la vie en beau » ? Eussions-nous été capable de mettre en œuvre le fameux carpe diem ? Ce sont de ces questions que l'on se pose au coin de l'âtre, à la vêprée, les plis de sa robe pourprée — et son teint au vôtre pareil.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Pas d'amalgame

 

La vieillesse, les hémorroïdes, la solitude, le philosophe Michel Serres, que nous dit-on à leur propos ? On nous dit : « Pas d'amalgame ! C'est pas ça, la vie. » Mais si ! Justement ! C'est ça !

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

La vie, on l'aime ou on la quitte

 

Mais oui ! Tout simplement ! Sans penser à demain !

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Jusqu'à la mort

 

Voltaire : Je ne suis pas d'accord avec ce que tu dis, en particulier avec cette idée que « rien n'est », mais je me battrai jusqu'à la mort pour que tu aies le droit de le dire.

Nous : D'accord, vas-y. Mais jusqu'à la mort, hein ? Pas de chiqué !

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Manque de praticité du couteau de Lichtenberg

 

Le couteau de Lichtenberg n'est pas pratique pour l'homicide de soi-même. Il ne coupe pas bien et on n'a pas une bonne prise.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Manifestation pascalienne

 

Les archives de la Préfecture de police montrent que Blaise Pascal a, en 1658, déposé une demande d'autorisation pour un rassemblement en soutien à une « sphère infinie » qu'il disait être la nature. Le slogan qu'il se proposait de faire scander aux participants était : « Centre partout, circonférence nulle part ».

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Arthur l'imposteur

 

Le poëte Rimbaud n'eût pas tenu un mois dans une conserverie de Douarnenez à écailler le poisson avec Léonie Trépignou. Alors une saison complète en enfer... non, ça ne tient pas debout.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Beckett face à la mort

 

Comment Beckett a-t-il réagi quand on lui a annoncé qu'il allait devoir être très courageux ? S'est-il livré à une « décomposition du Moi », comme le héros de Malone meurt ? S'est-il réfugié dans la « choseté » et le « non-mot », comme dans Molloy ? A-t-il simplement dit « Voilà encore autre chose » comme un banal quidam ? Nous ne pouvons ici que poser la question.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Worthlessness

 

Leopoldo Lugones, homme austère et malheureux, sorte de « lunaire sentimental », disait que Baudelaire ne valait rien. Mais n'est-ce pas le cas de tout homme ? Qui pense et qui sent ? Être homme, n'est-ce pas ne rien valoir ? Alors pourquoi spécialement Baudelaire ?

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Épouvante mathématique

 

Tu trembles, carcasse ! Mais tu tremblerais encore bien davantage si tu savais qu'un espace vectoriel normé réel est de dimension finie quand ses boules fermées sont compactes !

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Suspicion de consommation

 

L'autrui lévinassien a des façons si bizarres et inquiétantes qu'on pourrait penser qu'il « prend des substances » — qu'il « consomme ».

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Une existence bien ordonnée

 

Naître, vivre un peu, puis, comme Marcel Gauchet, confier ses archives à l'Imec.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Paresse abstractive des zélateurs de Hume

 

Quand un disciple de Hume regarde une nature morte de Matisse, il est incapable de reconnaître où est le pichet, où le fauteuil et où le citron. Il ne voit que des « formes », dit-il. Il ne fait aucun effort abstractif !

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)