Le possible, pour quoi faire

 

S'il y a une vie après la mort, elle a intérêt d'être un peu plus excitante que celle-ci. Parce que franchement, celle-ci n'est pas jojo. Une fois qu'on a lu tous les livres et constaté que la chair n'est pas gaie, on s'emmerde comme il faut. Non, ce qu'on voudrait, c'est du possible, mais ça... Et encore, on ne sait même pas ce qu'on en ferait.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

D'inoffensifs hurluberlus

 

« Nihiliques. Hérétiques qui essaient de se distinguer en disant que rien n'est. Ils définissent le monde un margouillis exophtalmique et la vie une indicible rémoulade. Toute chose leur rappelle une tête de chien couché. Comme on les a toujours regardés comme des insensés, on ne voit pas qu'aucune autorité se soit appliquée à les combattre. » (Barthélemy Pinchinat, Dictionnaire chronologique, historique, critique, sur l'origine de l'idolâtrie, Paris, Pralard, 1736)

 

 (Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Voyage avec un âne dans le désert de l'existence

 

Si c'était à refaire, ce n'est pas pedibus cum jambis que nous traverserions le désert de Gobi de l'existence, c'est sur un mulet de Chamouni. Horace Bénédict de Saussure dit que les mulets de Chamouni sont d'une force et d'une sûreté extraordinaires. Ça nous éviterait de nous fatiguer et d'une, d'attraper des ampoules et de deux. — Et le mulet nous tiendrait compagnie et de trois. Parce qu'il faut avouer qu'on se sent seul, dans ce « monde de néant ».

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Étude pétrographique de l'Estérel

 

Dans le massif de l'Estérel, la série sédimentaire permienne présente des variations rapides de faciès dues à la présence d'un cône de tuf volcanique dans son trou de balle. L'étude détaillée des affleurements a permis de déterminer avec une quasi certitude qu'il s'agissait du fameux « cône de Roithamer » rendu célèbre par l'écrivain autrichien Thomas Bernhard.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Avec les simiesques

 

Quand on fait la queue à la boulange, on se dit que Darwin a vu juste : l'homme descend du singe. Et il en a gardé quelque chose !

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Renforcements

 

Dans La Métamorphose des cloportes, le Rouquemoute a besoin d'un chalumeau spécial pour percer le coffiot. Il faut donc supposer qu'il s'agit d'un coffiot renforcé, comme l'est aussi parfois le sceptique (on parle alors d'un sceptique renforcé).

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Gros mots

 

Quand on pense que certaines personnes disent fiduciaire... Que d'autres (ou parfois les mêmes) boivent des « mêlé-casses »... L'être humain est vraiment d'une bêtise incommensurable. Schopenhauer a raison de l'appeler un pue-du-cul et un mange-merde.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Un vilain géographe

 

Dans son Précis de la géographie universelle, Conrad Malte-Brun parle des « nations abruties de la côte de Guinée ». Il est très vilain.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

De la fille de basse-cour

 

Selon le psychologue américain John Tussord, dans neuf cas sur dix, la misanthropie d'un individu vient de ce qu'il a été traumatisé dans son enfance par une fille de basse-cour. « Combien de misanthropes, condamnés à périr avant l'heure sous le couteau du cuisinier, auraient perdu leur caractère sauvage, seraient devenus sociables, s'ils eussent éprouvé dans leur premier âge plus de bienveillance de la part de la fille de basse-cour ! », s'exclame-t-il. Et il est vrai que les filles de basse-cour sont des connasses, mais quand même, Tussord a l'air de confondre les misanthropes avec les poules ! Les poules hargneuses ! Qu'est-ce que c'est que cette histoire de couteau ?

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Biglosité du monstre bipède

 

Théophraste prenait le tubercule pour un fruit mais le monstre bipède, c'est pis, il prend le néant pour l'être. Il faut être bigleux !

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Erreur sur soi-même du Grandiloque

 

Comme on se connaît mal ! Toute sa vie, Émile Cioran a cru qu'il était un penseur nihilique alors qu'il était juste un grincheux possédé du besoin de se singulariser, ce qu'il fit en niant absolument tout sauf la tarte aux poireaux de Simone Boué dont il était friand ! C'est à peine croyable !

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Question d'histoire

 

« Général de l'Empire romain d'Occident, je suis en conflit ouvert avec le nouvel empereur Anthémius ; pour m'épauler, je fais appel à Olybrius ; il écrase Anthémius et le fait exécuter mais je n'ai pas le temps de savourer ma joie car je meurs en août 472. Je suis ? Je suis ?

— La mer Noire ?

— Non, c'est une mauvaise réponse. Je suis ?

— Jacques Rigaut ?

— Non, Jacques Rigaut n'est pas mort en 472, le pauvre s'est suicidé en novembre 1929. Alors ?

— Ma foi... je sèche.

— Mais je suis Ricimer, voyons ! Flavius Ricimer !

— Ah, crotte. Je le savais, en plus. »

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Ressemblance à soi-même

 

Ovale, légèrement aplati, d'un rouge de carmin, couvert d'un duvet soyeux qui le fait paraître comme velouté, le trombidion excelle dans son art, qui est de ressembler comme deux gouttes d'eau à un trombidion. Alors que soi, malgré tous ses efforts, on ne ressemble ni à un trombidion ni à peau de zobe — et surtout pas à soi-même.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Manichéisme

Les Manichéens n'aspiraient qu'à une chose : voir leur âme se libérer de leur corps. Seulement voilà, ceux dont l'âme n'était pas assez pure étaient comme qui dirait coincés. À leur mort, au lieu d'être libérée subito presto, l'âme de ces malheureux passait dans une courge, qui était ensuite mangée par un élu et achevait sa purification à l'intérieur de ce dernier. L'étrangeté de leur doctrine valait aux Manichéens la réputation d'être eux-mêmes quelque peu bizarres.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Exécrer fatigue

 

Exécrer, mais consciencieusement, cela représente une énorme dépense d'énergie mentale, surtout lorsqu'on exècre tout ou presque. Le soir, on est épuisé.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Fessée expiatoire

Quand on est frappé d'une calamité — existence, panaris ou autre —, on devrait faire comme les Canaques. Eux, quand une catastrophe s'abat sur la tribu, ils avisent une belle fille, ils la couchent sur le ventre et ils la fessent vigoureusement. Ça nous passerait les nerfs et on verrait la lune en plein soleil.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Un modèle de misanthropie

 

Héraclite prit une si grande aversion pour les hommes qu'il les laissa à leur scélératesse et vécut d'herbes au milieu des bêtes féroces. On aimerait suivre son exemple, mais c'est le coup des bêtes féroces.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Cycéon

Le cycéon était une préparation alimentaire des Grecs, faite ordinairement avec du vin, de la farine d'orge grillée, du miel, de l'eau et du fromage. Étienne de Byzance place le cycéon au-dessus des choux-fleurs à la merde, mais Dion Cassius a l'air de préférer les choux-fleurs à la merde — ce qui est parfaitement son droit.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Patience hindoue

 

Un Hindou qui trouve une couleuvre dans sa maison la supplie d'abord de sortir. Si les prières sont sans effet, il appelle un brahmine, qui représente éloquemment à la couleuvre le respect de l'Hindou et les hommages qu'il a rendus à toute l'espèce. S'obstine-t-elle à demeurer ? L'Hindou lui donne un coup sur le cassis, l'attrape par la queue et la montre à ces messieurs.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Mourir dans la dignité

 

Pour Romain Gary, la déchéance physique était caïman impossible à supporter psychologiquement. Sa hantise était de ressembler à Marguerite Urcelar. Pour être sûr que ça n'arrive jamais, il mit fin à ses jours.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Vicissitudes de température

 

Hippocrate a raison de dire que de grandes vicissitudes de chaleur ou de froid sont pernicieuses. Par de telles vicissitudes, on a vite fait d'attraper un coup de chaud ou un coup de froid, astheûre.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Strapontin

 

Selon toute vraisemblance, ce n'est pas un hypothétique « réchauffement climatique » qui mettra fin à la vie sur terre mais un simple mot, celui strapontin. Tel dira « strapontin », tel autre le répétera, et le vocable strapontin, tel un boa monstrueux, étouffera dans sa mortelle étreinte tout le vivant.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Génitoires

 

Les tristes spécimens qui disent les bijoux de famille pour désigner les génitoires se croient spirituels mais il ne sont que vils. Ils méritent le supplice du pal. Luc Pulflop, dans son Prière d'incinérer. Dégoût, compare le monde aux génitoires d'un âne. Ou plutôt, il dit qu'il l'a fait mais sans préciser en quelle occasion ni ce que ça a donné.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Des noms

 

« Cratyle que voici prétend, mon cher Socrate, qu'il y a pour chaque chose un nom qui lui est propre et qui lui appartient par nature ; selon lui, ce n'est pas un nom que la désignation d'un objet par tel ou tel son d'après une convention arbitraire ; il veut qu'il y ait dans les noms une certaine propriété naturelle qui se retrouve la même et chez les Grecs et chez les Barbares.

— Ah bon ? J'aurais jamais pensé à ça. C'est pas con ça dis donc. On va jouer aux boules ? Tiens, ça a l'air de chauffer, je vais mettre ma gapette. »

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Génies

 

« Tu dis qu'il n'y a pas de génies. Qu'il n'y a que des pots de pisse qui font jore. Que seront alors Samuel Beckett ? Bram van Velde ?

— Tous sont également Bouddha.

— Je ne m'en mêle plus. »

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Erreur inexcusable de Caton

 

Caton l'Ancien se trompe. Ce n'est pas détruire Carthage, qu'il faut, c'est sauver Toto le sanglier.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Belette et homicide de soi-même

 

Plutarque note que les Thébains honoraient la belette, tandis que les autres Grecs regardaient sa rencontre comme un présage funeste. Dans son œuvre, Émile Cioran ne parle pas de la belette mais il raconte qu'un jour, en traversant la rue Racine, il a pensé à la tombe de Celan (il ne précise pas pourquoi).

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Mimile fait l'hélicoptère

 

Émile Cioran aurait dû se contenter d'écrire : « Rien n'a de sens, la vie est une grosse tourte de merde et les gens sont des cons. » Tout le monde aurait compris et l'affaire aurait été entendue. Mais non. Il fallait parler de Bach, de Tchouang-Tseu, de la tombe de Celan et de tutti quanti. Il fallait faire le malin. Il fallait amuser la galerie. Oh, bon Dieu !

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Suicide à l'angloise

 

Il est assez commun de voir les désespérés se donner la mort, lorsqu'ils en ont plein le dos d'être désespérés. Mais les Anglais, c'est autre chose. Ils se tuent comme ça, sans être spécialement désespérés, ni particulièrement courroucés, par simple ennui de vivre. La raison n'en serait-il pas qu'ils sont privés de système nerveux ? Comme les Danois ? Ou les protistes ?

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)