Qu'eût été
notre existence si nous n'avions pas été possédé par l'idée du Rien?
Eussions-nous vu « la vie en beau » ? Eussions-nous été capable de
mettre en œuvre le fameux carpe diem? Ce sont de ces questions que l'on
se pose au coin de l'âtre, à la vêprée, les plis de sa robe pourprée —
et son teint au vôtre pareil.
La
vieillesse, les hémorroïdes, la solitude, le philosophe Michel Serres,
que nous dit-on à leur propos ? On nous dit : « Pas d'amalgame ! C'est
pas ça, la vie. » Mais si ! Justement ! C'est ça !
Voltaire : Je
ne suis pas d'accord avec ce que tu dis, en particulier avec cette idée
que « rien n'est », mais je me battrai jusqu'à la mort pour que tu aies
le droit de le dire.
Nous : D'accord, vas-y. Mais jusqu'à la mort, hein ? Pas de chiqué !
Les archives
de la Préfecture de police montrent que Blaise Pascal a, en 1658, déposé
une demande d'autorisation pour un rassemblement en soutien à une
« sphère infinie » qu'il disait être la nature. Le slogan qu'il se
proposait de faire scander aux participants était : « Centre partout,
circonférence nulle part ».
Le poëte
Rimbaud n'eût pas tenu un mois dans une conserverie de Douarnenez à
écailler le poisson avec Léonie Trépignou. Alors une saison complète en
enfer... non, ça ne tient pas debout.
Comment
Beckett a-t-il réagi quand on lui a annoncé qu'il allait devoir être
très courageux ? S'est-il livré à une « décomposition du Moi », comme le
héros de Malone meurt ? S'est-il réfugié dans la « choseté » et le
« non-mot », comme dans Molloy ? A-t-il simplement dit « Voilà encore
autre chose » comme un banal quidam ? Nous ne pouvons ici que poser la
question.
Leopoldo
Lugones, homme austère et malheureux, sorte de « lunaire sentimental »,
disait que Baudelaire ne valait rien. Mais n'est-ce pas le cas de tout
homme ? Qui pense et qui sent ? Être homme, n'est-ce pas ne rien
valoir ? Alors pourquoi spécialement Baudelaire ?
Tu trembles,
carcasse ! Mais tu tremblerais encore bien davantage si tu savais qu'un
espace vectoriel normé réel est de dimension finie quand ses boules
fermées sont compactes !
Quand un
disciple de Hume regarde une nature morte de Matisse, il est incapable
de reconnaître où est le pichet, où le fauteuil et où le citron. Il ne
voit que des « formes », dit-il. Il ne fait aucun effort abstractif !
Dans sa
pièce Rhinocéros, Eugène Ionesco tire à boulets rouges sur les
rhinocéros, ces mammifères herbivores à peau épaisse et peu poilue. Les
pauvres pachydermes en prennent pour leur grade! Le dramaturge s'en
était pris aux mutilés de cul dans sa pièce Les Chaises, et maintenant
les rhinocéros !
Pour les
bouddhistes, affirmer que l'univers est limité est une hérésie ;
affirmer qu'il est illimité est aussi une hérésie ; affirmer qu'il n'est
ni l'un ni l'autre est également hérétique. En fait, avec les
bouddhistes, c'est simple, dès qu'on dit quelque chose, on est presque
sûr d'être hérétique. Ce sont des « têtes à claques ».
Le 26
novembre 1965, à la galerie Schmela de Düsseldorf, le plasticien Joseph
Beuys se présente la tête enduite de miel et de poudre d'or, tenant dans
ses bras un lièvre mort. Pendant trois heures, il se déplace dans la
galerie et explique les tableaux à l'animal. Seul hic : le lièvre mort
paraît s'en « taper » comme de sa première chemise.
Qu'est-ce que
le sommeil, pour le poëte Wilhelm Klemm ? Un singe — ni plus ni
moins. Et un singe de quoi ? Mais de la mort, pardine ! Affe des Todes,
c'est son expression.
L'homme est
un éternel insatisfait. Il passe sa vie à se plaindre. Il se plaint de
Faverges à Salé, deux villes que séparent 2 137 km, soit la distance
approximative de l'utérus au sépulcre (d'après Irénée de Lyon).
Toute sa vie,
on poursuit un idéal sans savoir exactement ce qu'il est, et quand,
après mille péripéties, on l'atteint enfin, on découvre stupéfait qu'il
ne s'agit pas du tout d'un idéal mais de l'Hindou qu'on pensait avoir
tué au premier chapitre !
Lire de
l'Émile Cioran permet à la longue de devenir un « jivan-mukti », un
délivré-vivant. On a exsufflé les agrégats d'existence qui entraînent
une personne non éveillée de renaissance en renaissance, mais on est
encore en vie. Un hindouiste dirait qu'on a atteint l'état de moksha.
Le Maggid de
Mezeritch enseigne que le mot « je » ne peut être prononcé que par Dieu.
Si Dieu n'existe pas, il ne peut l'être par personne. Hélas ! Force est
de constater que le Maggid de Mezeritch, c'est comme Maritain : tout le
monde s'en fout.
Les auteurs
japonais de haïkus semblent nourrir une fascination morbide pour le
prunier. Un exemple entre mille, ce poëme de Buson : « En tombant dans
l'eau, les pétaux disparaissent : prunier sur la rive. » — L'étrangeté
de cela et du monde en général.
Au lieu de
manger des truffes chez le forgeron Chunda, le Bouddha aurait dû écouter
Claudel et opter pour un saucisson à l'ail. Non seulement il serait
resté en vie, mais il se serait senti moins seul.
Le philosophe
Diodore Cronos nie qu'un mur puisse être démoli. En effet, quand les
briques sont jointes, le mur est debout, quand elles ne le sont plus, le
mur n'existe pas. Il admet cependant qu'avec un puissant bulldozer,
c'est peut-être faisable, mais à condition de « drôlement y aller ».
Si votre
douleur refuse d'être sage et de se tenir plus tranquille, menacez-la de
la transférer dans un « centre éducatif fermé », où elle sera encadrée
par d'anciens militaires très à cheval sur la discipline. Ça devrait lui
donner à réfléchir.
Un jour qu'il
se sentait d'humeur poétique, le moine japonais Sôgi écrivit : « Plus
fugace que l'éclat d'une feuille emportée par le vent, cette chose, la
vie. » Quelques instants plus tard, il passait sous un autobus.
Un soir,
alors qu'il était un peu pompette, Arthur Rimbaud a assis la beauté sur
ses genoux, mais — pas de chance pour le poëte — elle n'a pas voulu
« faire risette à papa négro ».
Guidé par
Virgile, le Dante arrive à la neuvième bolge du huitième cercle, où sont
envoyés les garagistes de La Bourboule. « Un sang pauvre coulait et
rayait leur visage, et tout mêlé de pleurs tombait, hideux breuvage, à
leurs pieds recueilli par des vers dégoûtants. »
Il n'y a rien
de pire que de mourir avant d'avoir dit tout le mal qu'on pensait de la
vie. Heureusement, nous sommes tranquille de ce côté-là. Nous pouvons
partir serein pour Calaoutça.
Tragique
destinée que celle du Mômo ! Un jardinier l'a trouvé un matin, assis sur
son lit, un soulier à la main. Mort ! Comme avant lui Giacomo Leopardi,
René Panhard, Georg Cantor et tant d'autres... La mort, la mort,
toujours la mort !...
Felice :
Je sais pas, moi... Tu pourrais peut-être faire un roman teinté d'une
atmosphère cauchemardesque, où la bureaucratie aurait une emprise
monstre sur l'individu ? Qu'est-ce t'en penses ?
Chez
Dostoïevski, le starets Zosime nous bassine. Quant à ce béjaune
d'Aliocha, n'en parlons pas, il est d'une mièvrerie insupportable. En
littérature, ce que nous voulons, c'est des méchants. Des méchants, vous
entendez ?
Selon
Lucrèce, la peur de la mort gâche la vie. Mais selon d'autres penseurs —
dont Floutier Jean-Guy —, la vie fait déjà si peur qu'elle suffit à se
gâcher elle-même.
Tout ce qu'on
est ou presque vient des livres. Alors comme on n'aime pas ce qu'on
est, on blâme les livres et ceux qui les ont écrits — surtout Christian
Bobin et Marguerite Urcelar, bien qu'on n'ait jamais rien lu d'eux.
Tout le monde
n'attrape pas un panaris, mais il y a deux choses auxquelles l'homme
n'échappe pas, ce sont le ridicule et la mort. En un sens, la plus
bénigne est la dernière, car elle n'arrive qu'une fois, tandis que le
ridicule... c'est tout le temps.
Kafka force
le trait. Dans la vraie vie, ce n'est pas tout d'un coup, comme ça, un
matin, qu'on s'éveille transformé dans son lit en une véritable vermine.
Ça prend plus de temps. C'est plus graduel. Mais ça finit par
arriver... Et à tout le monde, pas seulement à Grégoire Samsa.
S'il faut en
croire José-Maria de Heredia, on trouve à Palos de Moguer (en
Andalousie) beaucoup de restaurants de routiers. Le poëte prévient qu'il
faut redoubler de prudence sur la route car lesdits routiers sont
souvent ivres (d'un rêve héroïque et brutal).
Au dire de
son ami Bioy Casares, quand Borges devait s'acquitter de la « grosse
commission », il le faisait en invoquant les mânes de Carlyle, d'Emerson
et de Walt Whitman (parfois aussi de Henry James).
Tout jeune
déjà, Sartre clamait à qui voulait l'entendre que « l'en-soi n'a pas à
être sa propre potentialité sur le mode du pas-encore ». Ses parents en
étaient gênés et lui disaient qu'il était un « serin ».
Le pauvre
Gérard de Nerval se décrivait lui-même comme « le ténébreux, le veuf,
l'inconsolé ». De fait, il ne lui arrivait que des déboires : on
abolissait sa tour, sa seule étoile mourait inopinément, et pour
couronner le tout, son luth constellé portait le soleil noir de la
mélancolie.
Le
gouvernement japonais considère qu'un individu devient un hikikomori dès
lors qu'il a passé plus de six mois enfermé seul dans sa chambre à lire
du Xavier de Maistre.
Chez les
bouddhistes, les deux véhicules de pompier (le grand et le petit) ont en
commun les trois caractéristiques de l'être (impermanence ; souffrance ;
irréalité du Moi), les quatre nobles vérités, la transmigration, le
karma et la voie moyenne. Le plus grand des deux véhicules se distingue
par son idéalisme absolu (derrière les apparences, il n'y a rien ;
l'univers est une illusion ; vivre est la même chose que rêver) et par
son klaxon à cinq trompes qui joue La Cucaracha.
Le philosophe
Bergson souffrait de la solitude et aurait bien aimé rencontrer une
« milf ». Il lui aurait montré son « élan vital », sa « durée » et son
« évolution créatrice ». Mais il ne savait pas où chercher. Son cousin
par alliance Marcel Proust lui conseilla de s'inscrire à un atelier
d'écriture ou à un club de cinéphiles, mais Bergson avait l'intuition
que ça ne donnerait rien.