Quand un
disciple de Hume regarde une nature morte de Matisse, il est incapable
de reconnaître où est le pichet, où le fauteuil et où le citron. Il ne
voit que des « formes », dit-il. Il ne fait aucun effort abstractif !
Dans sa
pièce Rhinocéros, Eugène Ionesco tire à boulets rouges sur les
rhinocéros, ces mammifères herbivores à peau épaisse et peu poilue. Les
pauvres pachydermes en prennent pour leur grade! Le dramaturge s'en
était pris aux mutilés de cul dans sa pièce Les Chaises, et maintenant
les rhinocéros !
Pour les
bouddhistes, affirmer que l'univers est limité est une hérésie ;
affirmer qu'il est illimité est aussi une hérésie ; affirmer qu'il n'est
ni l'un ni l'autre est également hérétique. En fait, avec les
bouddhistes, c'est simple, dès qu'on dit quelque chose, on est presque
sûr d'être hérétique. Ce sont des « têtes à claques ».
Le 26
novembre 1965, à la galerie Schmela de Düsseldorf, le plasticien Joseph
Beuys se présente la tête enduite de miel et de poudre d'or, tenant dans
ses bras un lièvre mort. Pendant trois heures, il se déplace dans la
galerie et explique les tableaux à l'animal. Seul hic : le lièvre mort
paraît s'en « taper » comme de sa première chemise.
Qu'est-ce que
le sommeil, pour le poëte Wilhelm Klemm ? Un singe — ni plus ni
moins. Et un singe de quoi ? Mais de la mort, pardine ! Affe des Todes,
c'est son expression.
L'homme est
un éternel insatisfait. Il passe sa vie à se plaindre. Il se plaint de
Faverges à Salé, deux villes que séparent 2 137 km, soit la distance
approximative de l'utérus au sépulcre (d'après Irénée de Lyon).
Toute sa vie,
on poursuit un idéal sans savoir exactement ce qu'il est, et quand,
après mille péripéties, on l'atteint enfin, on découvre stupéfait qu'il
ne s'agit pas du tout d'un idéal mais de l'Hindou qu'on pensait avoir
tué au premier chapitre !
Lire de
l'Émile Cioran permet à la longue de devenir un « jivan-mukti », un
délivré-vivant. On a exsufflé les agrégats d'existence qui entraînent
une personne non éveillée de renaissance en renaissance, mais on est
encore en vie. Un hindouiste dirait qu'on a atteint l'état de moksha.
Le Maggid de
Mezeritch enseigne que le mot « je » ne peut être prononcé que par Dieu.
Si Dieu n'existe pas, il ne peut l'être par personne. Hélas ! Force est
de constater que le Maggid de Mezeritch, c'est comme Maritain : tout le
monde s'en fout.
Les auteurs
japonais de haïkus semblent nourrir une fascination morbide pour le
prunier. Un exemple entre mille, ce poëme de Buson : « En tombant dans
l'eau, les pétaux disparaissent : prunier sur la rive. » — L'étrangeté
de cela et du monde en général.
Au lieu de
manger des truffes chez le forgeron Chunda, le Bouddha aurait dû écouter
Claudel et opter pour un saucisson à l'ail. Non seulement il serait
resté en vie, mais il se serait senti moins seul.
Le philosophe
Diodore Cronos nie qu'un mur puisse être démoli. En effet, quand les
briques sont jointes, le mur est debout, quand elles ne le sont plus, le
mur n'existe pas. Il admet cependant qu'avec un puissant bulldozer,
c'est peut-être faisable, mais à condition de « drôlement y aller ».
Si votre
douleur refuse d'être sage et de se tenir plus tranquille, menacez-la de
la transférer dans un « centre éducatif fermé », où elle sera encadrée
par d'anciens militaires très à cheval sur la discipline. Ça devrait lui
donner à réfléchir.
Un jour qu'il
se sentait d'humeur poétique, le moine japonais Sôgi écrivit : « Plus
fugace que l'éclat d'une feuille emportée par le vent, cette chose, la
vie. » Quelques instants plus tard, il passait sous un autobus.
Un soir,
alors qu'il était un peu pompette, Arthur Rimbaud a assis la beauté sur
ses genoux, mais — pas de chance pour le poëte — elle n'a pas voulu
« faire risette à papa négro ».
Guidé par
Virgile, le Dante arrive à la neuvième bolge du huitième cercle, où sont
envoyés les garagistes de La Bourboule. « Un sang pauvre coulait et
rayait leur visage, et tout mêlé de pleurs tombait, hideux breuvage, à
leurs pieds recueilli par des vers dégoûtants. »
Il n'y a rien
de pire que de mourir avant d'avoir dit tout le mal qu'on pensait de la
vie. Heureusement, nous sommes tranquille de ce côté-là. Nous pouvons
partir serein pour Calaoutça.
Tragique
destinée que celle du Mômo ! Un jardinier l'a trouvé un matin, assis sur
son lit, un soulier à la main. Mort ! Comme avant lui Giacomo Leopardi,
René Panhard, Georg Cantor et tant d'autres... La mort, la mort,
toujours la mort !...
Felice :
Je sais pas, moi... Tu pourrais peut-être faire un roman teinté d'une
atmosphère cauchemardesque, où la bureaucratie aurait une emprise
monstre sur l'individu ? Qu'est-ce t'en penses ?
Chez
Dostoïevski, le starets Zosime nous bassine. Quant à ce béjaune
d'Aliocha, n'en parlons pas, il est d'une mièvrerie insupportable. En
littérature, ce que nous voulons, c'est des méchants. Des méchants, vous
entendez ?
Selon
Lucrèce, la peur de la mort gâche la vie. Mais selon d'autres penseurs —
dont Floutier Jean-Guy —, la vie fait déjà si peur qu'elle suffit à se
gâcher elle-même.
Tout ce qu'on
est ou presque vient des livres. Alors comme on n'aime pas ce qu'on
est, on blâme les livres et ceux qui les ont écrits — surtout Christian
Bobin et Marguerite Urcelar, bien qu'on n'ait jamais rien lu d'eux.
Tout le monde
n'attrape pas un panaris, mais il y a deux choses auxquelles l'homme
n'échappe pas, ce sont le ridicule et la mort. En un sens, la plus
bénigne est la dernière, car elle n'arrive qu'une fois, tandis que le
ridicule... c'est tout le temps.