« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
lundi 17 septembre 2018
Êtres ambigus
N'étant équilibrés ni horizontalement ni verticalement, les suicidés philosophiques sont des êtres ambigus qui, par leur organisation exceptionnelle, semblent devoir être classés dans le groupe qui rassemble presque tous les cheiroptères, quelques insectivores fouisseurs, les pachydermes proboscidiens, et quelques tatous.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Un ratage tragique
À la question : « pourquoi la mort ? », le médecin pythagoricien Alcméon répondait : « Si les humains déclinent, c'est parce qu'ils n'ont pas la force de rattacher le commencement à la fin. » Quiconque y parviendrait, concluait-il, serait immortel.
Malgré tous ses efforts, le poète argentin Leopoldo Lugones n'y parvint pas. À soixante-trois ans, sa belle moustache « en guidon de vélo » s'avère incapable de le protéger plus longtemps du désespoir et il met fin à ses jours le 18 février 1938 dans une chambre de l'hôtel El Tropezón, à Tigre, en buvant un mélange de cyanure et de whisky.
De façon un peu grandiloque, Gragerfis, prétend qu'« il sentit au plus profond de lui que la réalité n'est pas verbale et qu'elle peut être incommunicable et atroce, et il s'en fut, taciturne et seul, chercher la mort, dans le crépuscule d'une île. »
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Aveuglement sceptique
D'après Jamblique, Pyrrhon disait qu'il n'y avait aucune différence entre vivre et être mort et, comme un mauvais plaisant lui demandait un jour : « Pourquoi donc ne meurs-tu pas », il répondit : « Parce que cela ne fait aucune différence ».
Ainsi, et aussi incroyable que cela puisse paraître, le fondateur du scepticisme ne connaissait pas — contrairement au sculpteur Giacometti — le si terrible tragique d'être ceci ou cela ! L'haecceité, il « s'assoyait dessus » ! Il faut se pincer !
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
dimanche 16 septembre 2018
Franc parler (suite)
« Vous êtes bien heureuse d'aller chier quand vous voulez ; chiez donc tout votre chien de soûl. Nous n'en sommes pas de même ici, où je suis obligée de garder mon étron pour le soir ; il n'y a point de frottoir aux maisons du côté de la forêt. J'ai le malheur d'en habiter une, et par conséquent le chagrin d'aller chier dehors, ce qui me fâche, parce que j'aime chier à mon aise, et je ne chie pas à mon aise quand mon cul ne porte sur rien. Item, tout le monde nous voit chier ; il y passe des hommes, des femmes, des filles, des garçons, des abbés et des suisses. Vous voyez par là que nul plaisir sans peine, et que, si on ne chiait point, je serais à Fontainebleau comme le poisson dans l'eau. » (Lettre de la princesse Palatine à sa tante Sophie, datée du 9 octobre 1694)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Gorille
Le lendemain, nous attendîmes le soir avec impatience. Lorsque le Bohémien parut, nous étions rassemblés depuis longtemps. Heureux de l'intérêt que nous lui marquions, il ne se fit pas prier et continua sa narration en ces termes :
« Singe anthropoïde de l'Afrique équatoriale, le gorille est le plus grand de tous les primates ; sa taille dépasserait pour un peu celle de l'homme, mais il est plus massif, avec des bras énormes et des jambes courtes. Sa robe est noire. Il est craintif, peu intelligent ; il fuit l'homme, mais il se défend avec une énergie féroce quand il est blessé. On le dirait hanté par l'idée du Rien, tant les forêts où il vit sont humides et impénétrables. »
Le moment étant venu de s'occuper des affaires de sa horde, le Bohémien nous quitta, et remit la suite de sa narration au lendemain.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Un grandiose isolement
Parce qu'il trouve ses contemporains vomitifs, l'homme du nihil commerce exclusivement avec quelques grandes figures du passé, de celles qui ont laissé un nom dans les annales de l'homicide de soi-même : les Nerval, les Trakl, les Weininger, les Caraco, etc. Avec son temps, il ne communique pas — et personne ne se risque à franchir la pampa de dégoûtation au centre de laquelle il trône, guère plus engageante, il faut l'avouer, que « les espaces de sable autour des Bouddhas rupestres ou des statues de l'Égypte ».
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Métaplaque métallique
Le 9 février 1994, le poëte Ghérasim Luca met fin à sa pondéreuse existence en se jetant dans la Seine « puisqu'il n'y a plus de place pour les poètes dans ce monde » comme il l'écrit dans une lettre d'adieu. À vrai dire, son travail manifestait depuis le début une véritable « obsession de la mort sous toutes ses formes », au dire de Gragerfis qui ne se montra donc pas autrement étonné.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Fulgurance
« Il arrive qu'on interprète l'excrément comme une fatalité, au sens où la fatalité fulgure dans la mythologie grecque, n'est-ce pas ?
— Oui. Cela est vrai. La fatalité y fulgure. »
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Comme ci et comme ça
Contraint et forcé par l'exécrable haeccéité, j'établis ma demeure dans la fange suspecte du particulier.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Mauvais coucheurs
Comme les empiristes logiques sont très susceptibles et délicats sur le fait des injures, il est bon d'éviter leur rencontre, et — s'il faut en croire Froude — les voyageurs qui fréquentent leur contrée allument de grands feux la nuit et battent de la caisse pour les empêcher d'approcher.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Échec
Le soir, le Bohémien reprit son récit en ces termes :
« Candidat toujours recalé au suicide compulsif... »
Lorsque le Bohémien eut dit ces mots et comme nous tendions tous l'oreille, curieux de ce qui allait arriver, un homme de sa horde vint l'entretenir des affaires de la journée. Le chef nous quitta et nous ne le revîmes plus de la soirée.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Comédie larmoyante
On croyait avoir perdu toutes ses illusions, et voilà-t-il pas qu'un matin, au sortir d'un rêve agité, on s'éveille transformé en une véritable vermine ! Le temps a fait son œuvre et l'on se découvre, avec son mufle raviné, sa bedaine et son crâne déplumé, un objet d'horreur pour soi-même et de rigolade pour l'omnitude, cette omnitude que l'on a toujours méprisée, mais dont le regard ! le regard !... Ou pis encore le non-regard, car on est devenu un « vieux schnoque », autrement dit un homme transparent comme les habitants de Thulé (d'après Hérodote) !...
Ô vanité des vanités ! Ô rictus bestial de l'existence !
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Franc parler (suite)
« Je le pardonne à des crocheteurs, à des soldats aux gardes, à des porteurs de chaise et à des gens de ce calibre-là. Mais les empereurs chient, les impératrices chient, les rois chient, les reines chient, le pape chie, les cardinaux chient, les princes chient, les archevêques et les évêques chient, les généraux d'ordre chient, les curés et les vicaires chient. Avouez donc que le monde est rempli de vilaines gens ! Car enfin, on chie en l'air, on chie sur la terre, on chie dans la mer. Tout l'univers est rempli de chieurs, et les rues de Fontainebleau de merde, principalement de la merde de suisse, car ils font des étrons gros comme vous, Madame. » (Lettre de la princesse Palatine à sa tante Sophie, datée du 9 octobre 1694)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
samedi 15 septembre 2018
Solipsisme attributif de l'urbain diffus
On sait que le solipsisme est une attitude philosophique d'après laquelle il n'y aurait pour le sujet pensant d'autre réalité certaine que lui-même. Ce que l'on sait moins, c'est que cette « vision du monde » a causé des dégâts considérables dans le domaine de l'urbanisme. Le géographe Augustin Berque en trace le tableau suivant : « La décomposition des paysages urbains par les formes solipsistes du mouvement moderne, par exemple, exprime ainsi une désurbanité profonde : un rejet de l'être-en-commun et du souci d'autrui dont la notion d'urbanité dit si éloquemment qu'ils s'exprimaient par excellence dans la cité. [...] L'être-vers-la-mort caractérise le solipsisme attributif de l'urbain diffus où l'on ne se soucie pas de transmettre un monde soutenable aux générations futures. »
« Voilà qui est à peine croyable ! », note Gragerfis dans son Journal d'un cénobite mondain avant de prescrire « un petit clystère, un petit clystère, bénin, bénin », pour « restaurer l'être-en-commun de la notion d'urbanité » et « éradiquer le solipsisme attributif de l'urbain diffus ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Catachrèses pascaliennes
Ce gouffre que Pascal « avait avec lui se mouvant », ne serait-il pas une métaphore du Rien ? Et le choc que reçut le penseur clermontois quand la vérité « lui apparut si vive qu'il en fut comme effrayé », ne fait-il pas penser à un vase subitement exposé à un feu de réverbère ?
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Franc parler
« Il est très chagrinant que mes plaisirs soient traversés par des étrons. Je voudrais que celui qui a le premier inventé de chier ne pût chier, lui et toute sa race, qu'à coups de bâton ! Comment, mordi ! qu'il faille qu'on ne puisse vivre sans chier ? Soyez à table avec la meilleure compagnie du monde ; qu'il vous prenne envie de chier, il faut aller chier. Soyez avec une jolie fille ou femme qui vous plaise ; qu'il vous prenne envie de chier, il faut aller chier ou crever. Ah ! Maudit chier ! Je ne sache point de plus vilaine chose que de chier. Voyez passer une jolie personne, bien mignonne, bien propre ; vous vous récriez : Ah ! Que cela serait joli si cela ne chiait pas ! » (Lettre de la princesse Palatine à sa tante Sophie, datée du 9 octobre 1694)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Hantise
La vie de l'homme du nihil ressemble à une taïga stérile. Il y règne un calme de mort que vient seul troubler, quelquefois, le sifflement du sang dans le viscère. Le regard n'y rencontre que des mousses et des lichens qui revêtent toute chose : la terre, les pierres, les branches, et jusqu'au mufle des bovins. En Sibérie, les indigènes croient que des régions pareilles sont habitées par de mauvais esprits.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Morue
Le séjour dans les montagnes commençait à m'ennuyer. J'aurais été heureux de joindre mon régiment au plus vite ; mais malgré ce désir, je dus rester encore quelque temps. Les jours étaient assez monotones, les soirées en revanche très agréables grâce à la société du chef bohémien auquel je trouvais de plus en plus de qualités. J'étais assez curieux de la suite de ses aventures et, cette fois, le priai moi-même de satisfaire notre curiosité, ce qu'il fit en ces termes :
« Gros poisson du genre gade, atteignant jusqu'à 1 m 50, la morue est très vorace. Elle vit dans les mers arctiques, surtout entre Terre-Neuve et l'Islande, où l'on va la pêcher en été, dès le mois de mai. Sa chair fraîche constitue le cabillaud ; salée, c'est la morue verte ; sèche, c'est la merluche, et l'on tire de son foie une huile employée comme reconstituant. »
Lorsque le Bohémien en fut à cet endroit de ses aventures, il fut interrompu et dut aller s'occuper des affaires de sa horde.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Éloge du néant
« Les Bramènes asseurent que le monde n'est qu'une illusion, un songe, un prestige ; et que les corps, pour exister véritablement, doivent cesser d'estre en eux-mesmes, et se confondre avec le néant, qui par sa simplicité fait la perfection de tous les estres... Ils poussent si loin l'apathie ou l'indifférence, à laquelle ils rapportent toute la sainteté, qu'il faut devenir pierre ou statue, pour en acquérir la perfection. Non seulement ils enseignent que le sage ne doit avoir aucune passion ; mais qu'il ne lui est pas permis d'avoir mesme aucun désir. De sorte qu'il doit continuellement s'appliquer à ne vouloir rien, à ne penser à rien, à ne sentir rien, et à bannir si loin de son esprit toute idée de vertu et de sainteté, qu'il n'y ait rien en lui de contraire à la parfaite quiétude de l'âme. C'est, disent-ils, ce profond assoupissement de l'esprit, ce repos de toutes les puissances, cette continuelle suspension des sens, qui fait le bonheur de l'homme. » (Charles le Gobien, Préface de l'Histoire de l'édit de l'empereur de la Chine en faveur de la religion chrestienne, 1698)
Dans son Journal d'un cénobite mondain, Gragerfis assure « n'avoir jamais rien lu d'aussi exaltant ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Par surcroît
L'homme ne possède-t-il qu'une âme et un corps, n'a-t-il pas aussi dans sa luxueuse besace l'excrément qui n'est ni l'un ni l'autre ?
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Un vorace voïvode
Le temps convoite ma pachyméninge, et d'autres encore de mes viscères.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
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