samedi 14 mai 2022

Avoir une vie

 

Il serait consolant, au moment de « décéder », de pouvoir se dire qu'on a tout de même eu, dans quelque mesure, une « vie ». Mais on peut s'agiter dans tous les sens, on peut écrire Guerre et Paix, découvrir le bacille de Koch ou descendre l'Indus et le Brahmapoutre en pirogue, rien n'y fait. Il est tout simplement impossible d'avoir une « vie ». Il n'y a pas plus de « vie » que de beurre dans le placard. Il n'y a que des cochonneries répugnantes de bêtise. Oh, bon Dieu !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Vers le Rien

 

Le 23 août à trois heures du matin, l'homme du nihil décide de mettre fin à sa pondéreuse existence. Il écrit : « Je puis assurer que l'initié le plus dévot à Cérès n'a jamais éprouvé un transport aussi vif que le mien... Je m'avance vers le Rien avec une espèce de plaisir qui m'ôte le pouvoir de la réflexion. » — Combien d'autres ont, par la suite, éprouvé la même émotion ! 1

1. C'est le cas par exemple de l'écrivain ex-dadaïste René Crevel.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Les glorieux

 

Tous les écrivains célèbres, jusqu'à un Cioran, jusqu'à un Thomas Bernhard, jusqu'à un Beckett, méritent le supplice du pal — ou tout au moins d'être sévèrement flagellés. Qu'ils aient pu rechercher la notoriété les discrédite à jamais et ôte toute valeur à leur œuvre. Faut-il être moralement déchu pour briguer les applaudissements du « monstre bipède » et pour préférer la gloire à l'obscurité !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Aveuglement salutaire

 

S'il était donné au monstre bipède de contempler en face les horreurs de l'existence — la maladie, la vieillesse, la mort, le philosophe Michel Serres —, il deviendrait fou de terreur. Heureusement, la « civilisation » dissimule ces abominations derrière les murs épais de la logique formelle, ce qui évite au monstre bipède le risque de « mal délirer » et lui permet de donner libre cours en toute ingénuité à son tempérament festif.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Crise de kakon

 

De longues explorations dans les diverticules de la réalité empirique ont permis à l'homme du nihil d'acquérir cette douloureuse certitude : dans le réel, tout est faux. Le monde n'est qu'une collection de simulacres. L'idéalisme allemand, le temps, les phénomènes, les organes, les voyages, la permaculture, Héraclite, Spinoza, Hegel, les « lieux de culture », tout. Sa conclusion ? Aux chiottes ! Aux doubles-vécés ! Pour qui nous prend-on, à la fin ?

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 13 mai 2022

Ultimatum

 

« Abjure ! Renonce à l'idée du Rien !
— Sinon ? »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Lieux de culture

 

L'homme du nihil ne fréquente pas les « lieux de culture ». Il n'a jamais aimé les « lieux de culture ». Il va même jusqu'à dire qu'il se les colle au prose, les « lieux de culture ». Jusqu'ici, la culture ne lui a apporté que des ennuis. Il aurait de beaucoup préféré être un « homme préhistorique » (comme les ancêtres de l'écrivain pragois Franz Kafka).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Aux chiottes Épicure

 

Il n'y a pas de « carpe diem » possible pour celui qui sait qu'il va clamecer. Je t'en foutrai du « carpe diem », moi, tuouaouar. Salop !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

jeudi 12 mai 2022

La mort, c'est pour les caves

 

Bien qu'il chante sans se lasser les vertus du taupicide, l'homme du nihil répugne à dévisser son billard car il est non-conformiste dans l'âme et trouve que la mort (le fait de mourir) est « d'une banalité à vomir ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

L'urgence d'en finir

 

Si haute est l'idée que l'homme du nihil se fait de l'homicide de soi-même que chaque instant où il ne se tue pas lui apparaît comme une crucifixion.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

À chacun sa nostalgie

 

S'il était roumain, l'homme du nihil penserait sans doute à ces journées dans les Carpates où, dans un silence irréel, on écoute le frémissement de l'herbe sous une brise imperceptible. Mais loin d'être roumain, il est de Bezons !!!

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Saumure philosophique

 

« Nouvelle tentative de lire du Spinoza, vite abandonnée. Comme d'habitude, à la place du cerveau, sensation d'un bocal de cornichons. » (Stylus Gragerfis, Journal d'un cénobite mondain)

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Self-pity

 

L'homme du nihil ne voit pas ce qu'il y a de mal à s'apitoyer sur soi-même. Ça ne gêne personne, c'est une façon comme une autre de passer le temps, et ça entretient l'esprit dans une négativité de bon aloi.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Con comme une souris

 

Il n'est pas nécessaire d'être un grand penseur pour souffrir du « traczir d'exister ». Ce « traczir » n'est d'ailleurs pas propre à l'homme et frappe jusqu'aux plus infimes bestioles. Comme le note le Grandiloque des Carpates, « les animaux sont presque tous tristes, il n'y a guère que les souris qui paraissent gaies ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mercredi 11 mai 2022

Pour ne plus souffrir

 

Rien d'important, ni en bien ni en mal, ne saurait arriver à l'« autrui » — ce gredin, cet affreux — du philosophe Levinas. Pour se rendre indifférent aux vicissitudes de l'existence, il suffit donc d'être à soi-même son propre « autrui ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Le dernier des hommes

 

L'homme du nihil est peut-être « un pou, l'image même de la déchéance », mais il ne reconnaît à personne le droit de le juger — pas même au « pape François » ou à la reine d'Angleterre.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Vouloir

 

Il y a une certaine bassesse d'âme à vouloir quelque chose, ne fût-ce qu'un vulgaire pot de moutarde ou — horresco referens — de séné.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Pose philosophique

 

Socrate, la veille de sa mort, était en train d'apprendre un air de flûte. « À quoi cela te servira-t-il ? lui demanda-t-on. — À rien, mais je fais jore que je n'ai pas les chocottes ; que je suis un vrai dur à cuire. — Ah ouaiiiiis ! Pas mal comme idée ! »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Aïeux embarrassants

 

Aussi incroyable que cela puisse paraître, et quelque effort qu'il ait fait pour le dissimuler, l'écrivain pragois Franz Kafka avait dans sa lignée d'ancêtres des hommes préhistoriques !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Infâmes romanciers

 

Le réel fait le désespoir de l'homme du nihil par son caractère de tumeur repullulante. Mais il faut croire qu'il ne repullule pas encore assez au goût de certains scélérats qui trouvent le moyen d'écrire des romans.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Take that

 

N'ayant pas d'histoire, les gens heureux n'ont rien à dire, et nous n'avons rien à leur dire non plus — si ce n'est ce simple mot : salops !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 10 mai 2022

Préparation au non-être

 

L'homme du nihil dit que ce n'est pas la peine de se fatiguer à lire Platon ; que pour se préparer à mourir, le mieux est de penser à un point mathématique. Pas forcément tout le temps, mais de temps en temps.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Étapes sur le chemin de la minéralité

 

Jeune, l'homme du nihil était « l'homme qui a peur de tout ». Aujourd'hui, il est « l'homme que tout insupporte » (ce qui ne l'empêche pas d'avoir toujours peur). Bientôt, il sera « l'homme que tout indiffère ». Mais pour atteindre cet état suprêmement désirable, il faut d'abord « décéder » — et c'est plus vite dit que fait !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Humain, trop humain

 

Il y a des écrivains qu'on aime et qu'on admire, mais on les aimerait et on les admirerait plus encore s'ils n'avaient pas démontré, en écrivant, qu'ils étaient possédés par la sotte ambition d'« être quelqu'un ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Fastidieuse haeccéité

 

Quelle patience il faut pour supporter pendant tant d'années d'être une « chose particulière »... Une « chose particulière » toujours semblable à elle-même, à quelques détails près, seulement de plus en plus décrépite... Comment se fait-il que si peu de gens semblent fatigués d'être ce qu'ils sont ? Il n'est quand même pas possible qu'ils aiment ça ? — Oh, bon Dieu ! Ils aiment ça, les salops !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 9 mai 2022

Autrice, triste était mon âme !

 

Ce que l'homme du nihil reproche aux écrivants contemporains — auteurs et autrices confondus —, ce n'est pas l'immondice de leurs idées (iels n'en ont pas), c'est le lourd badigeon de leur gros style. En comparaison, même l'inapte Zola fait figure d'orfèvre.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Nulle part

 

Le seul endroit qui corresponde exactement à la définition de la Pologne que donne Alfred Jarry, c'est... la mort. Mais oui !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Que faire ?

 

On aimerait savoir comment il faut vivre pour être le moins « malheuleux » possible. — Mais personne ne vous dit rien !
 
(Fernand Delaunay, Glomérules)

dimanche 8 mai 2022

Protiste tératogène

 

L'abbé Protiste du Voyage au bout de la nuit a quelque chose de tératogène, de sordide et de boueusement mortel (comme les véreuses pensées qui brisent aujourd'hui nos résistances et broient l'effort des justes et des sages).

(Fernand Delaunay, Glomérules)