Matthieu
XII, 32 : « Quiconque parlera contre le Fils de l'homme, il lui sera
pardonné ; mais quiconque parlera contre Férillet Robert, il ne lui sera
pardonné ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir. » — « Ni dans le
siècle à venir » ! Entends-tu, bourrelle ?
Pour
absurde et ridicule que nous paraisse la vie des autres, le fait est
qu'ils y tiennent. Non seulement ils s'accrochent à leurs petites
affaires, mais toutes ces bêtises sordides qui constituent leur
existence sont même pour eux « le plus important » (to timiotaton).
Plotin, la philosophie néoplatonicienne, ils s'en « battent les steaks ».
N'en
déplaise à Émile Cioran, il est une exclamation plus pathétique que
celle du dernier poëte païen Rutilius Namatianus, c'est celle de Michel
Fugain quand il s'écrie : « Je suis seul dans l'univers ! » — Le barde
ajoute ensuite qu'il ne sait pas, qu'il ne sait plus, qu'il est perdu,
et s'exhorte à « faire comme l'oiseau » mais cela nous entraînerait trop
loin.
Jusqu'à
son opération de la prostate en 2010, le politicien allemand Oskar
Lafontaine était un homme affable. Ensuite, son moral s'est assombri et
il est devenu quelque peu revêche.
« Encore
une aventure qui ne m'a pas emballé : l'existence. Le cadre en était un
peu joli (si l'on n'est pas trop regardant), mais je n'ai pas assez le
goût de l'absurde pour apprécier ce genre d'histoire sans queue ni
tête. » (Stylus Gragerfis, Montcuq, Lot)
Tout
ce qu'on peut dire d'un suicidé, c'est qu'il devait être « bien
malheuleux » (d'exister). Mais cela ne fait pas de lui quelqu'un de
particulièrement intéressant, ni de son destin quelque chose de « sublime » ! Pourquoi a-t-il accompli son geste fatal ? Peut-être ne
connaissait-il pas les paroles de Dieu dans le Deutéronome ? Ou
peut-être qu'il s'en « tamponnait le coquillard » ? Quoi qu'il en soit,
tout ce qu'on peut dire de lui est qu'il était « bien malheuleux »
(d'exister).
S'il
faut en croire Heidegger, les croquenots de Van Gogh nous font
connaître « la vérité de l'étant », une vérité qui ne se réduit jamais à
l'étant en question (ici la chose « croquenots ») mais porte sur l'être en
général (que la chose « croquenots » laisse advenir). L'idée est la
suivante : on regarde un tableau de peinture représentant des
croquenots, et tout à coup, l'être arrive à sa manière fulgurante et, en
une sorte de mutation, nous délivre de notre cécité. C'est Heidegger
qui le dit.
La
vie vous découpe en rondelles selon la tactique dite « du salami
hongrois », et vous, tout ce que vous pouvez faire, c'est écrire quelques
aphorismes pour signifier que vous n'êtes pas content.
La « sagesse dans la vie » consiste à éviter les ennuis autant que faire se
peut, donc et avant tout à rester à distance des « personnes du sexe ». Ça
ne suffit pas toujours à assurer le bonheur (il y a aussi les panaris),
mais c'est un bon début.
Dès
qu'on s'exprime, de quelque manière que ce soit (roman, sonate, tableau
de peinture, « pensées » — le pire étant évidemment les « pensées »), on
devient un objet hautement comique, on se « kitschifie ». Ça crève les
yeux, et pourtant les gens n'arrêtent pas de s'exprimer, ils s'expriment
à qui mieux mieux. Crétins, va ! Squelettes ! Pots de pisse !
Vivre,
c'est vivre dans le mensonge. Du moins pour les humains — car les
animaux, eux, ne mentent pas (un peu comme la terre, au dire d'Emmanuel
Berl).
Aucun
sceptique, pas même Pyrrhon, pas même Ænésidème, pas même Sextus
Empiricus, et ne parlons pas de Carnéade, n'a poussé le scepticisme
jusqu'au bout. Sinon, il se serait instantanément évaporé.
Quand
on est de Bezons et qu'on veut sortir de Bezons, il n'y a pas d'autre
solution que de voyager, c'est-à-dire de transporter ses organes hors de
Bezons. Mais il faut d'abord les rassembler et ce n'est pas une mince
affaire !
Le
poëte Ghérasim Luca a fait jore que s'il se suicidait, c'était « parce
qu'il n'y a plus de place pour les poëtes dans ce monde » (cf. sa lettre
d'adieu), mais si ça se trouve, c'est juste que sa gow l'avait largué.
Comme même ! Du coup ! Il s'est jeté dans la Seine, du coup.
Les
vieux sont tellement affreux et les jeunes sont tellement bêtes qu'ils
devraient, s'ils avaient un peu de décence, se cacher dans un trou de
souris. Quant aux gens « entre deux âges », ce sont les pires, ils
cumulent la bêtise et l'affreuseté et mériteraient le supplice du pal.
Héraclite
affirme que « ceux qui dorment agissent et participent à ce qui se
produit dans le monde ». Si c'est vrai, ce n'est pas gai. Car alors, quel
moyen reste-t-il à celui qui ne veut avoir aucune part dans « tout ça » — sinon l'homicide de soi-même ? Et encore... Peut-être que les morts,
eux aussi... ?
Même
un naturaliste hors pair aura du mal à s'empailler soi-même. C'est
pourtant ce que parvint à faire le « penseur paradoxal » Frédéric
Nietzsche (avec pas mal de difficultés, il est vrai, et il avait encore
de la bourre qui lui ressortait des oreilles).
Le
poëte Baudelaire trouvait dans l'acte d'amour une ressemblance avec la
torture ou avec l'excision d'un panaris, « plus qu'avec une tête de chien
couché, en tout cas ».
Paul
Celan : « Décapé par la brise irradiante de ton langage, tout au fond de
la crevasse des temps, près de la glace alvéolaire, attend, cristal de
souffle, ton irrévocable témoignage. » Le nihilique : « Ah. »
Gödel
ment. Tout énoncé est décidable. Il suffit d'y mettre un peu du sien,
de faire preuve d'un peu de « volontarisme ». Et contrairement à ce qu'il
prétend, il existe bien une théorie cohérente en mesure de démontrer sa
propre cohérence : celle du Rien.
Les
auteurs du « théâtre de l'absurde » ont fait fausse route. Leur absurde
est trop fabriqué et puéril. Le « réel » offre pourtant assez de
possibilités en ce domaine, c'est le moins qu'on puisse dire. Ces
Ionesco, ces Beckett, ces Adamov ont-ils jamais contemplé un carré de
romsteak ? Dans leur assiette ? Au restaurant ? Je t'en foutrai des
cantatrices chauves et des Godot, moi, tuouaouar !
Il
est prudent de ne pas trop répéter le vocable diplodocus. Après
quelques proférations, on se sent glisser sur la pente qui mène à
l'aliénation mentale. Il y a des mots comme ça, des mots un peu risqués.
Aussi : anthropos (voir Tchekhov).
Il
vaudrait mieux ne pas connaître le monstre bipède. Car quand on le
connaît, on est dégoûté à jamais de toute participation à une vie
collective. On ne peut même plus jouer aux boules (sauf dérogation).
L'écrivain
Franz Kafka menait une existence extrêmement routinière. En plus de ça,
il n'était pas le gars causant. Que dire de la vie d'un pareil quidam ?
Pas grand chose, et l'on sent bien qu'à plusieurs endroits de la
biographie qu'il lui a consacrée, son ami Max Brod.
Croire
à l'existence des autres est un pari audacieux. Le nihilique n'y
risquerait pas son dernier billet de mille. Pourtant... Cette
bourrelle... Ce garagiste de La Bourboule... Le mal n'est tout de même
pas une illusion ! — Ou bien ?