Admettons
que Schopenhauer ait raison, que la vie ne soit qu'un pendule oscillant
de la souffrance à l'ennui. Il reste quand même tous les moments entre
les deux positions extrêmes du pendule. De quoi sont-ils faits ? De
dégoût ? Peut-être de chagrin ? Ou de pitié ? Pas de crème à la
pistache, en tout cas. Car — et cette fois c'est Nietzsche qui le dit — « la vie n'est pas une glace Jampi. »
Boire
le calice jusqu'à la lie, c'est le lot de l'étant existant. Mais se
voir attribuer dès le départ un calice où il n'y a que de la lie, c'est
une autre histoire. Quelle idée d'être « nihilique », aussi ! La lie n'est
peut-être qu'une question de point de vue ?
Le
nihilique n'aime pas les poëtes en général, mais ce qu'il déteste
par-dessus tout, ce sont les poëtes barbus. Ils abusent du
fractionnement des phrases en sous-phrases sans verbe, et l'emploi seul
de cette astuce archaïque le décourage d'aborder leur « œuvre ».
Ce
qu'il peut arriver de pis à un chien, c'est de ne plus avoir de maître,
dit-on. Et peut-être est-ce vrai. Mais pour un homme, il n'y a pas de
doute, le pis est d'avoir une bonne femme qui ressemble à un hippopotame
tant au physique qu'au moral.
Kafka
simplifie trop. Ce n'est pas tout d'un coup, comme ça, un matin, au
sortir d'un rêve agité, qu'on s'éveille transformé dans son lit en une
véritable vermine. Ça prend plus de temps. Mais ça arrive... Ça finit
par arriver... Et à tout le monde, pas seulement à Grégoire Samsa.
Ils
appellent cette chose « la mort », et les voilà tranquillisés. Tout est
dans l'ordre, ils ont un mot. Sacrés pots de pisse, va ! Vous ne voyez
pas qu'il s'agit de tout autre chose ? Et le gars Perros, là, avec son
eau, ses femmes et sa mort qui sont soi-disant les seules choses qui
nous prennent « à loilpé » ! T'aimes bien faire le malin, toi, hein ? « Nous changent », qu'il dit ! Le con !
Comme
le fakir hindou, le nihilique adhère à une morale de l'inconfort. Il
est capable de rester une vie entière le prose entre deux chaises, entre
l'être et le néant, ni ceci ni cela.
Le
nihilique a contribué aux recherches odysséennes en identifiant
certains sites décrits par Homère. Il a notamment situé l'île de Calypso
dans Sontcuq (Lot) — ce qui lui a valu de souffrir quelque temps de « constipation conceptuelle opiniâtre ».
Le
pessimiste nous fait penser à ce vigneron dont le meursault évolue qui,
voyant que l'on dresse un gibet dans la cour, croit que c'est à lui
qu'on le destine et se dit que décidément, la vie ne se présente pas
sous les meilleurs auspices de Beaune.
Quand
on découvre que l'écrivain Charles Bukowski et le joueur de rugby à
treize Puig-Aubert dit Pipette sont nés au même endroit : Andernach, en
Allemagne — le lieu même où Charles le Chauve fut défait par les fils
de Louis le Germanique —, on ne peut s'empêcher de penser que cela
veut dire quelque chose. Quelque chose, oui, mais quoi ?
S'il
faut en croire José-Maria de Heredia, on trouve à Palos de Moguer (en
Andalousie) beaucoup de routiers et donc aussi beaucoup de restaurants
de routiers. Mais attention : ces routiers sont souvent ivres (d'un rêve
héroïque et brutal).
Une
enquête rapide suffit à l'établir, personne ne veut être Soupault. Mais
la question est : pourquoi ? Peut-être que les gens ont déjà assez à
faire à être eux-mêmes ? Peut-être qu'ils ne veulent pas se compromettre
en cosignant un livre intitulé Les Champs magnétiques avec l'exécrable
André Breton ?
Lorsque
le pélican, lassé d'un long voyage, dans les brouillards du soir
retourne à ses roseaux, le philosophe Edmond Husserl court sur le rivage
en le voyant au loin s'abattre sur les eaux et lui crie : « Toute
conscience est conscience de quelque chose ! Toute conscience est
conscience de quelque chose ! » Depuis le temps que ça dure, le pélican
en a ras la casquette. Comme il aimerait, le pélican, envoyer le
phénoménologue aux cinq cents diables, et avec lui tous les « amis de la
sagesse » !
Pour
retrouver la joie de vivre qu'il a perdue à sa naissance, le nihilique
prie saint Antoine de Padoue — pour l'instant sans résultat. Si ça
continue, il va devoir s'adresser à sainte Rita (les causes désespérées)
ou à Michel Gillibert (les handicapés de la vie).
L'être
est un margouillis exophtalmique et le Dasein en bave des ronds de
chapeau. Doit-il se révolter, comme semble le préconiser à demi-mot
Albert Camus ? Sans doute, mais comment ? En envoyant des lettres
salaces à Maria Casarès ?
À
la question « Qui suis-je ? », le nihilique n'apporte pas exactement la
même réponse qu'Oberman. La sienne est : « Pour l'univers, rien ; pour
moi, rien non plus. En résumé : pas grand chose. » Pour un peu, il
s'identifierait au Rien, n'était ce panaris qui le fait cruellement
souffrir !
À
la fin de sa vie, Joris-Karl Huysmans se plaignait d'avoir « une gueule
asymétrique ». Il avait une grosseur à la joue due à son cancer de la
mâchoire. « Dieu m'a sapé », soupirait-il. Dieu... la vie... mieux vaut ne
rien dire, on risquerait d'être grossier.