Il
est triste de penser que même dans les confréries les plus nobles il y a
des faussaires. Prenons les misanthropes. S'y mêlent des scélérats qui
publiquement font profession de vomir le genre humain, mais qui, en
cachette, ont des amis !
À
force de parler dans ses poëmes de vagues de briques, Guillaume
Apollinaire a fini par s'en prendre une sur le cassis. Il a fallu lui
bander la tête.
Il
ne faut pas manquer d'air, pour prendre la défense du fallacieux
Basilide. Il est d'un pessimisme exacerbé ! D'après lui, l'homme est
marqué par le péché, souillé, et soumis à une causalité aveugle qui le
maintient dans la souffrance ! Comment le gnostique en est-il arrivé à
soutenir de telles insanités alors que tout prouve au contraire que la
vie est belle et que les gens sont gentils ?!
Pour
Parménide, « l'être est semblable à une sphère bien arrondie, qui du
centre à la circonférence serait partout égale et pareille ». Quand on
lit ça, on se demande : pourquoi une sphère ? Pourquoi pas une tourte ou
un « cigare japonais » ? C'est tout de même étrange, cette obsession pour
les sphères !
« Sightseeing
is the art of disappointment », disait Stevenson. Mais peut-être ne
connaissait-il pas les bons endroits ? Il aurait dû demander à Alain
Badiou. Ou à Nicolas Bouvier.
Le
nihilique n'a pas l'âme d'un poëte. Il dit ce qu'il a sur le cœur sans
chercher à faire des phrases. Les belles phrases, il se les colle au
prose. Il n'a pas l'intention de feuilleter les Grecs, aussi exemplaires
soient-ils, ni de retracer les beaux traits d'un Horace, encore moins
d'imiter d'un Pétrarque la grâce ou la voix d'un Ronsard pour chanter
ses regrets (au premier rang desquels celui d'être né). Et si ça ne
plaît pas au vulgum pecus, c'est le même prix.
Les
stoïciens se trompent : il est bien le cas que les dieux interviennent
en toute fissure du foie et en tout chant d'oiseau. Aucun détail ne leur
paraît trop insignifiant ou indigne d'eux. Ils veulent tout contrôler,
les salops ! En conséquence, le libre arbitre est un leurre (car ça
coule par les côtés).
Précurseur
de Michel Fugain, Parménide dit de l'être que « c'est un beau roman,
c'est une belle histoire, c'est une romance d'aujourd'hui ». Le nihilique
n'en croit rien et est d'avis qu'il faut avoir fumé de la « beuh » ou du « shit » pour dire des choses pareilles.
Le
Satan de Milton dit que quelque endroit où il se trouve, là est
l'enfer. Puis il ajoute : « I myself am hell. » C'est aussi ce que pense
tout « boulet à soi-même ».
Il
n'est pas facile d'être une personne « nihilique ». C'est épuisant
nerveusement. On culpabilise, on se demande si l'on est vraiment normal,
et l'on envie les gens capables de dire oui (au monde, à la mer, aux
forêts ; aux roses que l'hiver prépare en secret). On aimerait approuver
au moins un petit quelque chose de la « réalité empirique », mais
impossible. Tout cette combine pue trop. Tant pis. Ce sera pour la
prochaine fois — peut-être...
Selon
Borges, Joyce est un Irlandais enchevêtré et presque infini ; selon
Férillet Robert, un Irlandais enchevêtré, infiniment ennuyeux et
surestimé ; toujours selon Férillet Robert, un vrai lavement.
Comme
exemple d'oxymoron, il y a mieux qu'un soleil noir, il y a un écrivain
sincère. Ils mentent tous comme des arracheurs de dents. Quand on pense
qu'il y a encore des benêts pour lire leurs livres et croire leur
baratin, c'est à désespérer de tout. Ô Char ! Et toi, Bobin ! Comme vous
mériteriez de recevoir la chicote pour tous vos méfaits ! Margoulins !
Zénon
d'Élée était immortel. Pour mourir, il aurait d'abord dû épuiser la
moitié du laps de temps qui le séparait de sa mort, puis la moitié de la
moitié restante, et cætera, ça n'en finit pas. Zénon vit ! Il est parmi
nous !
Au
début des années 40, Jorge Luis Borges assiste, en compagnie d'Adolfo
Bioy Casares, à un combat de coqs dans le quartier Saavedra de
Buenos-Aires. Il y voit des coqs qui, possédés d'une frénésie
belliqueuse, « ne sont déjà plus des coqs, mais des sortes d'oiseaux
écarlates et déplumés ». C'est un coup de tonnerre dans l'intelligentsia
argentine.
Il
est à regretter que le poisson-scorpion dont parle Nicolas Bouvier ne
lui ait pas piqué le fiak, cela nous aurait débarrassé d'un auteur que
sa manie du voyage rend particulièrement pénible. Ce poisson possède en
effet des épines venimeuses dont la piqûre, extrêmement douloureuse,
peut dans certains cas provoquer la — mais oui — mort.
Nicolas
Bouvier était tout entier habité par un Moi voyageur. Finalement, après
d'innombrables pérégrinations, il arriva au même endroit que les autres : le cimetière (dans son cas celui de Cologny, en Suisse).
Si
tous les gars du monde voulaient bien arrêter de se faire chier
mutuellement, le bonheur serait sinon pour demain du moins pour la
semaine prochaine. Mais le mieux serait encore que tous les gars du
monde disparaissent. Du balai ! Aux chiottes, les gars du monde ! Aux
doubles-vécés !
Les
ceusses qui acceptent de bonne grâce la maladie, la vieillesse, la
mort, et d'être traités comme des paillassons par les personnes du sexe,
ces ceusses doivent être des lecteurs de Hegel ou de Nietzsche, ce
n'est pas possible autrement (en tout cas, chapeau).
Le
sens de l'existence est aussi introuvable que le dentier de Jeander
Cader (qu'il a perdu dans un accident de scooter au rond-point de
Perros). Son dentier lui a littéralement sauté de la mâchoire. Il a été
impossible de le retrouver, ce qui fait que maintenant, le pauvre
Jeander ne peut manger que de la purée. Eh bien, pour le sens de
l'existence, c'est pareil (nous nous comprenons et nous savons ce que
nous savons).
Quand
on pense que Thomas Bernhard est mort, et à seulement cinquante-huit
ans, on se dit que c'est horrible, que la mort pourrait au moins
épargner les négateurs. Mais tout au contraire, elle semble s'acharner
sur eux. Elle veut les faire taire, la garce ! Ils savent trop de quoi
il retourne ! Saloperie, va ! Grosse vache !
Les
idéalistes allemands, Kant, Hegel, Fichte, et cætera, ont reconnu le
caractère hallucinatoire de la « réalité empirique ». C'est ce qu'on
appelle un bel exploit intellectuel, ou nous ne nous y connaissons pas.