Crise de vers et de tout

 

« À quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa presque disparition vibratoire, si c'est pour se faire larguer comme un malpropre par sa gonzesse ? Et attention, hein : sans la gêne d'un proche ou concret rappel.

— Mon pauvre vieux. Je te plains. »

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

L'absent de tous bouquets

 

« Je ne suis pas ici ès qualité, comme on dit, mais en tant que quelque chose d'autre que les calices sus. » (Jacques Lafleur, à Jean-Marie Tjibaou)

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Élagage

 

Dans son recueil Se hâter plus tôt, le poëte Tulio Herrera omet sciemment des mots (par exemple celui labyrinthe). Dans son roman Que la fut, il va encore plus loin et omet des scènes entières, dont l'absence rend impossible de comprendre l'intrigue. On est d'abord irrité, puis on se dit que c'est comme tout, et comme la vie même — où rien ne s'emboîte.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

L'hypothèse montpelliéraine

 

Le sens de l'existence, on le cherche mais on ne le trouve pas. Est-ce qu'il serait à Montpellier ? Avec Vergeat ?

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Pleutrerie de Lovecraft

 

Howard Phillips Lovecraft n'était pas très brave ; il avait facilement les shoggoths.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Immaturité de Boudin

 

Marie-Anne, l'épouse du peintre Eugène Boudin, devait le surveiller en société car il était assez immature et avait tendance à faire l'andouille.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Un drôle de zigue

 

Anglophile et contempteur de Jeanne d'Arc, le peintre Eugène Boudin semblait une réplique moderne de Cauchon. Comme ce dernier, il s'en dédisait, ce qui n'empêchait pas Charles Baudelaire de trouver ses tableaux « aux pommes ».

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Jabuneh

 

Pour évoquer quelque mélancolique pèlerinage aux lieux jadis fréquentés avec la femme infidèle, le poëte Santiago Ginsberg propose de dire simplement jabuneh. C'est plus court et plus expressif.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Rimbaud au Yémen

 

Arthur Rimbaud arrive à Aden en août 1880 après de nombreux vagabondages en Allemagne, en Italie et en Autriche. Il a choisi Aden sur la foi d'un conseil de Verlaine. Un jour, en effet, celui-ci avait soutenu qu'au Yémen, il y avait tout ce qu'il fallait : Houthis (les fameux rebelles) et matériaux (bois de construction, poutrelles métalliques, et cætera). Quelle ne fut pas la déception du poëte des Illuminations !

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

La cloche fêlée

 

Il est amer et doux, pendant les nuits d'hiver, d'écouter, près du feu qui palpite et qui fume, l'humoriste Fernand Berset raconter une histoire de Ouin-Ouin (comme celle de Ouin-Ouin qui va chercher sa femme à la gare de Neuchâtel).

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Un travail d'Hercule

 

Le projet de tuer tous les affreux est exaltant, mais l'ampleur de la tâche peut effrayer le commençant.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Un dévergeot

 

Le pauvre Gérard de Nerval n'avait pas la vie facile. Il se décrivait lui-même comme « le ténébreux, le veuf, l'inconsolé ». Effectivement, il ne lui arrivait que des déboires : on abolissait sa tour, sa seule étoile mourait inopinément, et pour couronner le tout, son luth constellé portait le soleil noir de la mélancolie.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Eh ! Toto !

 

Avec les femmes, on ne peut jamais savoir ce que ça va donner. Ainsi, Irma, la bonne de la sœur à Toto, on a beau lui dire qu'elle est la plus belle, la plus sensationnelle, et cætera, elle ne veut pas aller au cinéma. Et en parlant de ça, les philosophes, c'est la même chose : ils ne veulent pas aller au cinéma. Ils ne pensent qu'à créer des concepts. Ou alors, ils y vont pour pouvoir ensuite créer des concepts sur le cinéma (exemple : Deleuze).

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Exhibitionnisme hippomobile

 

Ce que nous préférons, dans l'œuvre de D.H. Lawrence, c'est la scène un peu leste où le cocher montre son fiacre à Lady Chatterley.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Incrédulité du nihilique

 

Lorsqu'on lui affirme qu'il y a de l'être, le nihilique réagit exactement comme Farah quand le Shah faisait « Ah » (selon Pierre Dac) : il dit « Bah ».

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Ours

 

L'indigeste Ulysse et la pondéreuse Recherche du temps perdu nous font rêver d'un monde où tous les écrivains auraient la concision d'un Loomis.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Panne à la Dürrenmatt

 

Poids lourd des lettres italiennes, l'écrivain Ferdinando Camion a été victime en 1997 d'un problème de cardan qui l'a empêché de remporter le prix Strega (il a été dépassé dans la dernière ligne droite par l'opportuniste Claudio Magris).

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Hou-Kou

 

À l'instar du fameux radjaïdjah, la pensée que « rien n'est » est un poison qui rend fou. Le nihilique est dans de beaux draps ! Le professeur Fan Se-Yang pourrait peut-être trouver un antidote, mais pour le rencontrer, il n'y a pas trente-six solutions, il faut se rendre à Hou-Kou. Seulement, avec la crue du Yang-Tsé-Kiang et tout ça...

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Quête de l'absolu ténébreux

 

Pour rejoindre l'absolu ténébreux, un seul moyen : persister incrusté dans ce qui fuit (comme nous l'a conseillé Nierenstein Souza).

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

L'amateur de Tourgueniev

 

Dire qu'on aime Tourgueniev revient à proclamer : « Regardez ! J'aime Tourgueniev ! Je suis donc quelqu'un d'intéressant ! » C'est utiliser le pauvre Tourgueniev pour faire la promotion de son Moi ! Il y a de ces individus sans scrupules...

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Élan vital

 

Dans la nuit de l'hiver galope un grand homme blanc. C'est le philosophe Henri Bergson qui fait une démonstration de son « élan vital ». Il file comme une flèche sur la plaine enneigée !

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Œuvre au noir

 

C'est étrange, mais nos rêves n'arrivent jamais à engendrer correctement Marguerite Urcelar. Quand la poétesse apparaît, elle est toujours disséquée ou fragile, ou avec de ridicules variations morphologiques, ou d'un format inadmissible, ou terriblement fugace, ou tirant sur la vache ou sur l'hippopotame.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Misonéisme encore

 

Plus radical que le Tancrède du Guépard, le nihilique veut que rien ne change pour que rien ne change. Le réel, ce n'est peut-être pas jobard mais ça lui plaît comme ça. Il y est habitué.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Misonéisme et homicide de soi-même

 

Le plus sûr garde-fou contre le suicide, c'est la haine du changement.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Choses de l'esprit

 

L'être humain, probablement pour faire oublier ses origines honteuses, s'est lancé dans les « choses de l'esprit ». Mais tout ce qu'il a pu produire en fait de « choses de l'esprit » se résume à « ba be bi bo bu », autrement dit à une suite de phonèmes !!!

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Exaspérante Marguerite Urcelar

 

Au nombre des choses qui ne vont pas, en ce monde, il y a les livres de Marguerite Urcelar. Ils sont mal écrits et sans intérêt. La poétesse a eu le nez creux de se réfugier dans le Maine car ç'aurait pu barder pour son matricule.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Prééminence des Sinti

 

Parmi les peuples qui ont des noms à la mords-moi-le-chose, nous pensons que la palme revient aux Sinti.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Vraie chose

 

Quoi qu'on obtienne dans la vie, quelque sommet qu'on atteigne, fût-on même un « sage de la rue Cambon », ce n'est jamais « the real thing ». Au contraire, comme on ne tarde pas à s'en apercevoir, c'est de la révérence parler merde. Peut-être que la vraie chose n'existe pas ?

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Hâblerie bouddhique

 

Pour vous faire bisquer, un bouddhiste du genre fanfaron vous dira : « Succès et échec, vie et mort, plaisir physique et douleur physique ; je ne suis ni ami ni ennemi de ces fictions. » Et ce sera le moment de lui demander : « T'as déjà eu un panaris ? »

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)