jeudi 21 août 2025

Incertitude

 

22 février 1969, 6 heures du soir. Émile Cioran écoute les Variations Goldberg sur son vieux tourne-disque ; le ciel est bleu pâle, un oiseau y passe en vitesse. Il rentre sans doute. Ou peut-être qu'il sort ? Avec ces volucres, on ne peut jamais savoir.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Un flatulent mystique

 

Il est difficile voire impossible d'impressionner les personnes qui nous connaissent intimement. Ainsi, l'épouse de Ruysbroeck l'Admirable ne trouvait pas qu'il l'était tellement. Il faut dire qu'il larguait d'énormes « caisses » dans le lit conjugal, le salop.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

mercredi 20 août 2025

Libellula depressa

 

La libellule déprimée est un insecte odonate appartenant à la famille des libellulidés. Très commune en Europe, on la rencontre jusqu'en Asie centrale. Ce qui la distingue des libellules « normales », c'est le sentiment camusien qu'elle éprouve de vivre isolée dans un univers de menace et de désolation sans autre perspective que la mort. Les symptômes qui l'affectent — tristesse pathologique ; perte d'intérêt pour les activités professionnelles, sociales et familiales ; sentiment de culpabilité et d'échec ; diminution de l'estime de soi ; difficultés à se concentrer sur une tâche et à prendre des décisions —, ont un retentissement majeur sur sa vie, notamment sur le plan socioprofessionnel. Le risque de suicide est particulièrement élevé et concerne dix à vingt pour cent de ces insectes.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Phénoménologie

 

Malvine Steinschneider, l'épouse d'Edmond Husserl, trouvait que son mari était lui-même un phénomène. Il était en effet capable de jouer O sole mio en soufflant dans un ocarina par l'intermédiaire d'un tuyau relié à son fondement ! Comme Joseph Pujol !
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

L'intelligence des électriciens

 

Dans sa chanson Gelato al limon, le chanteur Paolo Conte parle d'une femme qui entre dans sa vie « avec une valise de perplexité » (con una valigia di perplessita). Ému par sa détresse, il se propose de lui offrir « l'intelligence des électriciens » (l'intelligenza degli elettricisti). On comprend qu'il veut lui enseigner la loi d'Ohm et les lois de Kirchhoff, mais la connaissance de ces lois suffira-t-elle à tirer la malheureuse de l'angoisse où elle est plongée ? Et n'oubliera-t-elle pas de « mettre à la terre » ?
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

La vie selon Tchouang-Tseu

 

Il en est ainsi de toute chose, a dit Tchouang-Tseu : on commence au Perreux pour au final se retrouver à Bezons ou à Livry-Gargan. Ce qui d'abord se présentait bien se termine en catastrophe.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

mardi 19 août 2025

La souffrance d'être heureux

 

John Keats : Je suis un lâche, je ne puis supporter la souffrance d'être heureux.
Luc Pulflop : Définis « heureux ».
John Keats : Euh...
Luc Pulflop : Tu vois ! Tu t'inquiètes pour rien. Il n'y a pas plus de bonheur que de beurre au cul.
John Keats  : Shit ! Goddam rascals !
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Philosophie et mondanité

 

Quelqu'un qui comprendrait ce qu'est le temps, il est probable qu'il comprendrait aussi ce qu'est l'être, mais ça ne veut pas dire pour autant qu'il « saurait y faire avec les gonzesses ».
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Développement personnel


L'être humain lit des livres de « développement personnel », tout ça pour finalement se casser la gueule dans les escaliers (ou attraper un panaris).
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Une idée tordue

 

Le poëte Baudelaire voulait que sa « bonne amie », quand elle serait réduite à l'état de cadavre, transmette aux insectes nécrophores qui la dévoreraient le message suivant : qu'il avait gardé la forme et l'essence divine de ses amours décomposés. Il avait de ces idées, un peu, le gars...
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

dimanche 17 août 2025

Paroles

 

Il faudrait pouvoir se taire une bonne fois, rejoindre la niobite et la proustite à l'extrême de la taciturnité... Mais c'est plus fort que soi, on cause, on s'épanche... Le Moi, quel phraseur !
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Comme Francinet

 

À certains égards, la situation du Dasein rappelle celle du jeune Francinet, le héros d'Augustine Fouillée. Comme Francinet, il est seul et sa tâche — parcourir le chemin « de l'utérus au sépulcre » — est austère. Triste est son cœur, lourd son effroi !
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Vie compliquée du nihilique

 

Quand on croit que « rien n'est », on ne s'aventure dans une boulangerie qu'avec crainte et tremblement. On y entre plein d'angoisse, et on en ressort penaud avec une boule de pain de campagne.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Mais les vers souverains demeurent

 

De tout l'œuvre d'un poëte, ne restent souvent que quelques vers, ou même quelques mots. Lait noir de l'aube pour Celan, métaplaques métalliques pour Ghérasim Luca... Toute une vie pour quelques mots, est-on tenté de dire. Mais ça valait le coup. Ça valait le coup — sûrement.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

samedi 16 août 2025

I buried Paul

 

À la fin des Logische Untersuchungen de Husserl, certains ont cru entendre le phénoménologue murmurer « I buried Paul ». Il est assez tentant de reconnaître en ce Paul le philosophe Franz Brentano, mais Husserl a toujours affirmé qu'il marmonnait en réalité Preiselbeersoße (sauce à la canneberge).
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

L'aphorisme retrouvé

 

« Ce qu'on doit taire, il ne faut pas le dire. Non, c'est pas ça. Attendez...
Vas-y. Concentre-toi.
Quand on n'a rien à dire, il faut se taire. Non, c'est pas ça non plus. Attendez...
— Concentre-toi. Ça va te revenir.
Ce qu'on ne peut dire, il faut le taire. Voilà, c'est ça ! 
Sacré Ludwig ! Tu vois ? Il fallait juste te concentrer ! »
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Oulipisme passif

 

Nous non plus n'avons écrit aucun des livres de Marcel Bénabou. Ça nous fait un point commun.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Vaca gorda

 

Dans son Livre de l'intranquillité, l'écrivain portugais Fernando Pessoa traite la vie de « grosse vache » — et c'est assez bien trouvé.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

vendredi 15 août 2025

Un importun

 

« Notre vieille Terre est une étoile où toi aussi tu brilles un peu.
 — Admettons. Ensuite ?
 — Je viens te chanter la ballade, la ballade des gens heureux.
 — Dégage ! Je t'en foutrai des gens heureux, moi, tuouaouar ! Au cul, les gens heureux ! Au cul, le mariage d'André Salmon ! Non mais ! »
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Pas des leurs

 

Quand les autres convives proclamèrent que le négateur Émile Cioran était des leurs parce qu'il levait son verre comme les autres, ils se trompaient lourdement. Non, il n'était pas des leurs et ne le serait jamais. Certes, c'était un ivrogne (ça se voyait rien qu'à sa trogne), mais il était du Rien — et de rien d'autre.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Protestation par le décès

 

Mourir est une façon de protester contre d'une part la camusienne absurdité de l'existence, d'autre part l'inanité de la malrucienne condition humaine. On fait d'une pierre deux coups.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Tombe la neige

 

Comme le chanteur Salvatore Adamo, nous avons la triste certitude que la vie se compose de froid, d'absence, d'un odieux silence et — dernier élément mais non le moindre — d'une blanche solitude. Il n'y a pas de quoi se réjouir de façon ostentatoire.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

jeudi 14 août 2025

Comparaisons

 

La vie en ce monde, à quoi la comparer ? À un écho qui se propage et se perd dans le vide ? Non, c'est trop pompeux et sent trop son bouddhisme zen. On la comparera plutôt à une... tête de chien couché.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Schadenfreude

 

C'est avec une joie malsaine qu'on regarde vieillir l'autrui lévinassien. Mais si ça se trouve, lui aussi nous regarde vieillir ? Avec une joie tout aussi malsaine ?
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Un mythomaniaque

 

Mircea Eliade était féru de mythes, c'était chez lui une obsession. Il parlait même de mythes à l'abbesse. Quand ses amis lui en faisaient le reproche, il répondait que ce n'était pas grave, qu'il s'agissait seulement de mythes abolis.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Un personnage gluant

 

Dans Crime et châtiment, Semion Zakharovitch Marmeladov est un petit fonctionnaire dont l'alcoolisme entraîne la famille dans la misère. Comble de déchéance, il passe par les trous de la tartine. Ces trous, avec du beurre, Raskolnikov parvient à les boucher, mais ça ne sert à rien, c'est un leurre. Car l'infortuné Marmeladov coule par les côtés !
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

mercredi 13 août 2025

Demande à Badiou

 

Si tu veux en savoir plus sur l'ontologie herméneutique ricœurienne, ne demande pas à la poussière comme le conseille bêtement John Fante, demande plutôt à Alain Badiou.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

À radical, radical et demi

 

Le bouddhisme mahayana est pour le moins radical puisqu'il nie à la fois l'existence de la réalité et celle du sujet qui la perçoit. Mais nous sommes plus radical encore car nous nions l'existence du bouddhisme mahayana.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Rara avis

 

La femme est une créature essentiellement vénale. Son rêve est d'épouser un riche laboureur sentant sa mort prochaine. Mais il faut trouver l'oiseau rare.
 
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)