— Avec ceci, j'aimerais vous informer que contrairement à ce que
s'imagine le vulgum pecus, le chanoine Docre n'a pas pour prototype
l'abbé Boullan mais un chapelain de Bruges appelé Van Hæcke.
On se croit
spécial, on se prend pour un « petit malin », jusqu'au jour où l'on
découvre que loin d'être spécial, on n'est que ridicule. Ô parfum aillé
des queues de lotte ! Et toi, bouquet piquant et frais des mollusques !
Lorsque le
domaine est compact, le spectre du laplacien est discret, et ses modes
propres forment un ensemble dénombrable infini. Cela, il faudrait
arriver à se le mettre dans la tête une bonne fois.
Parlant de
l'acédie monastique, Hugues de Saint-Victor, dans son Expositio in
Abdiam, dit qu'il s'agit d'une tristesse née de la confusion de
l'esprit, de la lassitude et de l'amertume de l'âme. Et ça a bien l'air
d'être ça, en effet.
Dans cinq
milliards d'années, c'en sera fini du soleil. Son extinction prendra la
forme d'un feu d'artifice cosmique provoqué par une fantastique
augmentation de son volume. Il engloutira d'abord les planètes Mercure
et Vénus, puis la Terre. Pour finir, il s'effondrera sur lui-même et
deviendra une naine blanche. Le week-end, malgré tout, nous nous
autorisons un petit muscadet.
À Venise, en
plein centre du Campo Santo Stefano, se trouve une statue de l'écrivain
Niccolò Tommaseo. Cette statue, assez imposante, a été baptisée par les
Vénitiens « il Cagalibri » (le « chieur de livres ») à cause des volumes
reliés qui semblent sortir du fondement de l'écrivain. Par la faute de
ce monument, on rit du pauvre Niccolò, mais il paie pour les autres :
tout écrivain n'est-il pas un « chieur de livres » ?
On écrit que
ceci est cela, par exemple que la mélancolie est l'avidité langoureuse
de l'insoluble, et ça y est, on a « pondu » un aphorisme. Mais qui
est-on, pour dire que ceci est cela ?
Le 9 juillet
1891, Joris-Karl Huysmans confie à l'abbé Mugnier qu'il est « obscène de
cervelle ». C'est un coup de tonnerre. Il ajoutera plus tard (le 5
janvier 1898) qu'il n'aime que les saints un peu « persillés ».
Pour avoir
donné des titres prétentieux à ses recueils de poëmes, comme Le Marteau
sans maître et Recherche de la base et du sommet, le poëte René Char
mériterait de passer à la chicote. On verrait alors s'il recherche
toujours la base et le sommet, le scélérat !
Le strapontin
— thaumaturgie du mot ! — est un siège d'appoint repliable,
généralement inconfortable. « Le cocher abattait pour qu'elle eût une
place les rebords du strapontin. » (Maurois, Climats, 1928, p. 16) « La
vie est une indicible rémoulade. » (Wittgenstein, Investigations
philosophiques, 1953, p. 192)
Dans sa
chanson Si on chantait, le chanteur Julien Clerc paraît se demander ce
qui se passerait si on chantait. Et la question se pose, en effet. Mais
on ne chantera pas — car on est frappé d'acédie monastique.
Émile Littré
dit de la solitude qu'elle est « l'état de celui qui est seul ». On ne
saurait mieux dire, ni rendre de façon plus poignante l'horreur de ce
terrible fléau.
Deux ou trois
fois par semaine, l'idée de l'homicide de soi-même, sympathique et
fraîche comme une barrique de muscadet, surgit dans notre « conscient
intérieur ». Au début on est un peu décontenancé, puis on s'y fait, puis
on l'attend comme une vieille amie.
L'homme de la
Nature et de la Vérité se sent dans le réel comme un poisson dans
l'eau. Il s'y déplace sans encombre et sans angoisse. Il est même
capable de conduire un break.
Tout être
vivant — à l'exception insignifiante du protiste — peut être qualifié de
« machine à vieillir ». Mais c'est chez la femme que c'est le plus
frappant.
« Je me
souviens, en sciences naturelles, avoir étudié les pétaux et les sépaux.
Il y avait aussi les étamines et le pistil. » (Georges Perec, Je me
souviens)
Quand on se
remémore les fois où on a été ridicule, on se dit qu'on paierait cher
pour rassembler les témoins de ses déconfitures et les jeter dans le
Bosphore, enfermés dans un sac de cuir plein de vipères. Mais en formant
ce projet, on est encore ridicule !
Abandonné de
Dieu et des hommes (à l'exception de Simone Boué et d'Ionesco), le
négateur Émile Cioran aurait pu clamer avec Michel Fugain : « Je suis
seul dans l'univers ! » Lui aussi avait peur du ciel, de l'hiver et du
temps qui passe. Mais quant à « faire comme l'oiseau », il s'en sentait
incapable.
Le 24 juillet
1927, l'écrivain japonais Ryūnosuke Akutagawa parvient enfin — c'est sa
deuxième tentative — à réussir son suicide par ingestion de véronal. Il
laisse derrière lui ces seuls deux mots : Bon'yaritoshita fuan, qui
signifient « vague inquiétude ». À lui aussi, la vie inspirait « un
traczir à tout casser ».
Chez
Parménide, on peut remplacer « l'Être » par « le Rien », ça marche aussi
bien et même mieux. « Il n'est que le Rien, immobile, complet,
homogène, et tout le reste n'est que variation d'éclat par la surface. »
Vous voyez ? Comme quoi... Hein ?
22 février
1969, 6 heures du soir. Émile Cioran écoute les Variations Goldberg sur
son vieux tourne-disque ; le ciel est bleu pâle, un oiseau y passe en
vitesse. Il rentre sans doute. Ou peut-être qu'il sort ? Avec ces
volucres, on ne peut jamais savoir.