La synthèse
quintuple est un procédé inventé par le philosophe Johann Gottlieb
Fichte pour égaliser les points de vue de l'être substantiel et du soi
fini. Fichte reconnaît que ça ne fonctionne pas à tous les coups, mais
dit que quand ça marche la sensation est incroyable, que c'est comme si
on avait inhalé de l'éther. Hélas, l'effet ne dure pas et l'on redevient
vite un « être-pour-la-mort ».
L'être humain
croit qu'il est en route pour Biotte où il entend participer à un
« fes' pop » mais sa véritable destination est beaucoup plus macabre et
c'est, inutile de tourner autour du pot, le cimetière.
Puisque la
« réalité empirique » ressemble au cauchemar d'un fou, dire qu'on est
solipsiste revient à dire qu'on est tordu. Mais comme on ne le dit qu'à
soi-même, tout va bien, il n'y a pas gêne.
Il serait
intéressant de savoir si un seul poëte, à l'époque moderne, s'est senti
la conscience tranquille, ou si tous se sont vus secrètement comme des
imposteurs.
Que
Baudelaire engueule le vitrier qui n'avait pas de verres de couleur,
passe encore, mais il aurait pu se dispenser d'écrabouiller ses carreaux
avec un pot de fleur. À quoi ça rime ? Ce n'était peut-être pas de sa
faute, au gars.
Quand on a
raté sa vie, on essaie de se convaincre que les autres aussi ont raté la
leur ; que sa vie, on ne peut que la rater. Mais au fond de soi-même on
sait que ce n'est pas vrai, on sait qu'il y a des gens dont la vie fut
en tout point parfaite, par exemple... euh...
Le suicide
est presque aussi beau qu'une ville la nuit — presque, mais pas tout à
fait — car ces guirlandes de lumière... Non, on dira ce qu'on voudra.
Qu'eût été
notre existence si nous n'avions pas été possédé par l'idée du Rien?
Eussions-nous vu « la vie en beau » ? Eussions-nous été capable de
mettre en œuvre le fameux carpe diem? Ce sont de ces questions que l'on
se pose au coin de l'âtre, à la vêprée, les plis de sa robe pourprée —
et son teint au vôtre pareil.
La
vieillesse, les hémorroïdes, la solitude, le philosophe Michel Serres,
que nous dit-on à leur propos ? On nous dit : « Pas d'amalgame ! C'est
pas ça, la vie. » Mais si ! Justement ! C'est ça !
Voltaire : Je
ne suis pas d'accord avec ce que tu dis, en particulier avec cette idée
que « rien n'est », mais je me battrai jusqu'à la mort pour que tu aies
le droit de le dire.
Nous : D'accord, vas-y. Mais jusqu'à la mort, hein ? Pas de chiqué !
Les archives
de la Préfecture de police montrent que Blaise Pascal a, en 1658, déposé
une demande d'autorisation pour un rassemblement en soutien à une
« sphère infinie » qu'il disait être la nature. Le slogan qu'il se
proposait de faire scander aux participants était : « Centre partout,
circonférence nulle part ».
Le poëte
Rimbaud n'eût pas tenu un mois dans une conserverie de Douarnenez à
écailler le poisson avec Léonie Trépignou. Alors une saison complète en
enfer... non, ça ne tient pas debout.
Comment
Beckett a-t-il réagi quand on lui a annoncé qu'il allait devoir être
très courageux ? S'est-il livré à une « décomposition du Moi », comme le
héros de Malone meurt ? S'est-il réfugié dans la « choseté » et le
« non-mot », comme dans Molloy ? A-t-il simplement dit « Voilà encore
autre chose » comme un banal quidam ? Nous ne pouvons ici que poser la
question.
Leopoldo
Lugones, homme austère et malheureux, sorte de « lunaire sentimental »,
disait que Baudelaire ne valait rien. Mais n'est-ce pas le cas de tout
homme ? Qui pense et qui sent ? Être homme, n'est-ce pas ne rien
valoir ? Alors pourquoi spécialement Baudelaire ?
Tu trembles,
carcasse ! Mais tu tremblerais encore bien davantage si tu savais qu'un
espace vectoriel normé réel est de dimension finie quand ses boules
fermées sont compactes !
Quand un
disciple de Hume regarde une nature morte de Matisse, il est incapable
de reconnaître où est le pichet, où le fauteuil et où le citron. Il ne
voit que des « formes », dit-il. Il ne fait aucun effort abstractif !
Dans sa
pièce Rhinocéros, Eugène Ionesco tire à boulets rouges sur les
rhinocéros, ces mammifères herbivores à peau épaisse et peu poilue. Les
pauvres pachydermes en prennent pour leur grade! Le dramaturge s'en
était pris aux mutilés de cul dans sa pièce Les Chaises, et maintenant
les rhinocéros !
Pour les
bouddhistes, affirmer que l'univers est limité est une hérésie ;
affirmer qu'il est illimité est aussi une hérésie ; affirmer qu'il n'est
ni l'un ni l'autre est également hérétique. En fait, avec les
bouddhistes, c'est simple, dès qu'on dit quelque chose, on est presque
sûr d'être hérétique. Ce sont des « têtes à claques ».
Le 26
novembre 1965, à la galerie Schmela de Düsseldorf, le plasticien Joseph
Beuys se présente la tête enduite de miel et de poudre d'or, tenant dans
ses bras un lièvre mort. Pendant trois heures, il se déplace dans la
galerie et explique les tableaux à l'animal. Seul hic : le lièvre mort
paraît s'en « taper » comme de sa première chemise.