Les
objets ne sont pas seulement embêtants parce que l'on s'y cogne, ils
ont en plus une sorte de radiance hurluberlue qui fait mal aux yeux —
et à l'âme, quand on en possède une.
Quand
on meurt, on ne doit pas seulement renoncer à la vie, on doit aussi
renoncer — et c'est peut-être le plus dur — à la philosophie
marcellienne. Mais « quand il faut y aller, il faut y aller », n'est-ce
pas ? Alors adieu, philosophie marcellienne !
L'angoisse,
le désespoir, le malheur d'exister écrasent le sujet pensant « comme une
mouche sur laquelle se serait assis un éléphant ». Leur poids est si
monstrueux que, pour les déplacer, il faudrait, selon toute probabilité,
les hisser au moyen de caliornes et de grues.
Jean
de la Croix dit que dans la nuit noire de l'âme on voit « queutchi », et
qu'il vaut donc mieux rester immobile sinon « on a vite fait de se casser
la margoulette ».
Celui
qui est intimement convaincu que « rien n'est », celui-là n'a pas dans le
cœur un bongo, ni dans la tête un oiseau qui lui dit de venir danser. Il
ne recherche pas les « sunlights des tropiques ». Au contraire, comme le
purpurin limodore, il aime l'ombre.
Le
nihilique n'est citoyen ni de l'être ni du néant. C'est un périèque. Et
comme, selon la loi, tout périèque a le droit d'exercer le métier de
son choix, il s'est lancé dans la fabrication de dynamite (phrastique).
Loin
d'être le légume que certains imaginent, le nihilique est un homme
buissonnier et à tous crins. Il a si fort le goût de l'aventure que lors
d'un réveillon, il découpa lui-même les dindonneaux.
Au
dire du psychologue américain John Tussord, certains suicidés
philosophiques, avant d'accomplir leur geste fatal, introduisent dans
leurs oreilles des protections auditives en cire pour ajouter encore au
silence de la tombe. Mais aucune protection auditive, qu'elle soit en
cire ou en gutta-percha, ne saurait prémunir contre la terrible
croustillance du Rien.
Casaque
bleue, toque noire, le nihilique monte Idée du Rien, une magnifique
jument de neuf ans. Il a remporté avec elle de nombreuses courses à
handicap mais il en a assez, il voudrait mettre pied à terre et vivre,
vivre enfin ! Voir la réalité empirique s'étendre devant lui comme une
lande tout juste fauchée, sans plus d'encolure ni de tête de cheval !
« Tu
n'es qu'un tourteau sans âme qui s'épuise dans l'ampoulé », aurait un
jour répliqué Simone Boué au « négateur universel » Émile Cioran qui
l'accusait d'avoir mis trop de sel dans la soupe. D'après Basile
Munteanu qui assistait à la scène, le négateur en resta « comme deux
ronds de frite ».
Dans
ses Souvenirs, le professeur Basile Munteanu remarque qu'« à une lettre
près, Cioran était un livre pestilentiel ». Mais il ne précise pas
davantage sa pensée.
Ce
n'est que quand il sent sa fin prochaine que l'homme regrette de
n'avoir pas mené une vie suffisamment gnomonique (avec des cadrans
solaires et tout le toutim). Mais il est trop tard.
Plonger
à pieds joints dans la cassolette de l'instant et s'y noyer avec
délectation... Voilà ce qui serait bien — si on en était capable. Mais
on pense. — On pense trop. — Paraît-il.
Rien,
à y bien réfléchir, ne saurait justifier la ridicule ambition d'avoir
un Moi. D'ailleurs, le temps ne se fait-il pas à chaque instant plus
gris et ne voilà-t-il pas qu'il se met à pleuvoir ?
Pour
le vulgum pecus, la forme est « quelque chose qui occupe une partie
limitée de l'espace ». Mais le nihilique a une vision tout autre. Selon
lui, des lignes venues de l'infini infundibuliforme interfèrent, leurs
interférences se matérialisent et cela donne... la forme. Tout ceci,
bien sûr, est à prendre cum grano salis. Quand le nihilique soutient une
thèse, c'est toujours « histoire de dire ».
Égruger,
c'est réduire en poudre, en menues parcelles. Et c'est exactement ce
que fait la vie : elle vous réduit en poudre, en menues parcelles. Elle
vous égruge.
Les
fous ont de l'énergie à revendre. Ils ne sont jamais fatigués. Ils sont
pareils à des troncs d'arbres dans la neige. Les « raisonnables » au
contraire s'épuisent vite, affaiblis qu'ils sont par l'insidieux poison
du concept et par le délétère idéalisme fichtéen.
Aucun
Portique, aucune Académie ne vous apprendra comment supporter la
difficulté de vivre. En cette matière, la seule école qui vaille est
celle de l'ivrogne.
Gifler
le premier quidam que l'on croise dans la rue serait une façon de se
réconcilier avec le monde. Mais si l'on tombe sur le compositeur du
Temps restitué ? Il est assez costaud et serait bien capable de
répliquer !
Bien
que la réalité empirique soit assez vaste, on finit par en faire le
tour. L'impression qu'on en retire est que rien ne tient le coup. On est
dégoûté de ce bazar et on voudrait tout envoyer au diable : les
divinités pisciformes, les intestins purulents et jusqu'aux fastidieuses
paraboles de Kafka.
« Les
vivants, en effet, savent qu'ils mourront ; mais les Belges ne savent
rien, et il n'y a pour eux plus de boudin, puisque leur mémoire est
oubliée. » (Ecclésiaste, 9:5,6)
Fatigué
de tout et du reste, on attend la mort mais elle ne vient pas. La
drôlesse n'est pas une bonite zélée. S'il fallait la comparer à un
animal, ce serait plutôt le vil dingo.
Un
quidam que tout excède, auquel la réalité empirique « tape sur le
système », un tel quidam ne peut exercer aucun métier. La seule carrière
qu'il peut embrasser est celle qui consiste à passer ses journées ivre
mort. Mais ce n'est guère rémunérateur, oh non.