« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
jeudi 23 août 2018
Saucée
Et l'absurde de pleuvoir sur ma tête, comme vache qui pisse.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Châtiment
Alors Yahweh dit à l'homme : « Le sol sera maudit à cause de toi. C'est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie, il te produira des épines et des ronces, tu mangeras de l'herbe des champs, et tu produiras l'excrément. » (Genèse, 3, 17-18)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
mercredi 22 août 2018
Quelle mère ! (Charles Bukowski)
La mère d'Eddie avait des dents de cheval, moi aussi, et je me rappelle qu'un jour on a monté ensemble la colline pour aller faire les courses et qu'elle m'a dit : « Henry, on a tous les deux besoin d'un appareil pour nos dents. On est horribles ! » J'ai grimpé la pente avec elle, tout fier. Elle portait une robe imprimée jaune, étroite, à fleurs, elle avait des chaussures à hauts talons, elle se tortillait, et ses talons faisaient clic, clic, clic sur le ciment. Je me disais : je marche à côté de la mère d'Eddie, elle marche à côté de moi et on monte la colline ensemble. Je commençais à être bigrement excité et la bosse dans mon calcif allait bientôt devenir gênante. Pour me calmer, je cherchai à me remémorer ce que Spinoza avait dit de la conscience. Pour lui, la conscience est une propriété qu'a l'idée de se dédoubler à l'infini. Toute idée représentant quelque chose qui existe dans un attribut, est elle-même quelque chose qui existe dans l'attribut pensé, comme forme ou réalité formelle de l'idée. À ce titre, elle est l'objet d'une autre idée qui la représente. De ce fait, la conscience n'est pas réflexion de l'esprit sur l'idée, mais réflexion de l'idée dans l'esprit, toujours seconde par rapport à l'idée dont elle est conscience. Je suis entré dans le magasin prendre du pain pour mes parents et elle a fait ses achats. La bosse était toujours là. La mère d'Eddie avait un cul contre lequel même Spinoza ne pouvait rien !
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
Un condiment indispensable
L'action stimulante de l'idée du Rien sur la pachyméninge se reflète sur tous les organes, sur tout le corps. Des seigneurs russes, ayant voulu bannir le plus utile des condiments, le Rien, de la nourriture spirituelle de leurs serviteurs, ceux-ci tombèrent dans un grand état de faiblesse et de langueur, avec pâleur de la peau et apparition de vers nombreux dans les intestins.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Beau parler
Quant à savoir si l'on doit préférer « Qu'est-ce que la vie est sinistre ! » à « Ce que la vie est sinistre ! » ou bien le contraire, Le Bidois affirme que ce que serait la forme abrégée de qu'est-ce que. Mais il est difficile de souscrire à cette assertion, car il est établi que ce que la vie est sinistre ! est antérieur à qu'est-ce que la vie est sinistre ! Il appert en revanche que ces deux outils grammaticaux ont suivi le même destin : leur valeur de pronom s'est oblitérée, et ils ont acquis valeur d'adverbe.
Dans cette affaire, en vérité, une seule chose est certaine : la vie est sinistre.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Acte
L'homicide de soi-même, qu'on ne saurait qualifier d'acte de dialogue au sens de Bunt, n'en demeure pas moins un acte au sens de Savage.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Misanthropie
Au début des années cinquante, le pessimisme et la misanthropie de Heidegger progressent « à grands pas, pétulants ». Il estime que « nous n'avons plus besoin de bombe atomique, le déracinement de l'homme est déjà là ». Il soupçonne par ailleurs Elfriede d'entretenir une liaison avec un garagiste de La Bourboule (où elle fait des cures étrangement fréquentes).
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Saignée de pied
L'homme du nihil, accablé par l'odiosité de ses congénères, par les sinistres manigances de son Moi et par « les réalités bétonnées de l'objet » — autrement dit par la résistance des choses —, a bien du mal à se garder de l'impression que le réel lui en veut personnellement. Cette conception délirante lui fait prendre l'existence en dégoût, jusqu'au jour où un habile praticien lui pratique une saignée de pied ; du jour au lendemain, les idées tristes s'évanouissent et il annonce lui-même d'un air souriant qu'il est guéri. C'est ajoute-t-il, comme un si un bandeau lui était tombé de dessus les yeux. — Ô vanité des vanités ! Ô rictus bestial de l'existence !
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Dégoût du monde
Dans L'Oreille cassée, Ridgewell est un explorateur qui a fui la civilisation. Pourquoi a-t-il choisi de partager la vie des primitifs Arumbayas qui vivent au cœur de la jungle amazonienne dans des cases en pisé ? Pour échapper à un Moi qu'il trouve ignoble ? Pour, moderne disciple de Rousseau, fraterniser avec les « bons sauvages » et, en adoptant leurs mœurs, retrouver une virginité perdue ? Mais alors, pourquoi leur apprendre les rudiments du golf ?
Ce qui est clair, c'est que Ridgewell porte en lui le dégoût du monde moderne vautré dans des environnements urbains constellés d'enseignes, de la volupté laquée des carrosseries et du louche anonymat de bureaux luxueux et fonctionnels. Comme le suicidé philosophique, il croit aux vertus du silence.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Boussoles
Pour vivre, je me réfère incessamment à l'épopée de Gilgamesh, au Bardo Thödol, aux écrits de Marsile Ficin.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Ustensiles
Selon Heidegger, le Dasein est confronté, dès le début de son périple dans le « désert de Gobi de l'existence », à la nécessité de comprendre le monde. Et la première donnée tangible pour l'homme est la maniabilité (Zuhandenheit) des ustensiles qu'il rencontre en furetant à droite et à gauche.
Ce moment existentiel, où le Dasein doit par exemple apprendre à se servir d'un revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe en prévision du moment où il voudra « faire ses adieux au music-hall » (Abschied von der Musikhalle), Heidegger le nomme judicieusement la « chute » (Verfall). En effet, pour le Dasein, c'est bien une chute, et non seulement dans la quotidienneté, mais dans l'épouvantable matérialité du monde !
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Théorème de Herbrand
Le théorème de Herbrand établit un lien entre la logique du premier ordre et la logique propositionnelle — qui peut être vue, selon l'homme du nihil, comme la logique d'ordre zéro.
La validité (ou prouvabilité) d'une formule du premier ordre se ramène à la validité (ou prouvabilité) d'un ensemble fini de formules propositionnelles.
Alors qu'il est possible de déterminer si une formule propositionnelle — par exemple la formule de Pascal « le Moi est haïssable » — est démontrable ou pas, on sait, depuis les travaux de Gödel, Tarski, Church, Turing et tutti quanti, que la même question pour les formules du premier ordre est indécidable. Le théorème de Herbrand montre qu'elle est cependant semi-décidable : il existe une procédure qui résout partiellement la question en répondant « non » à tout coup.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
mardi 21 août 2018
Pouvoir du vocable
« Convaincu de la puissance annihilatrice du logos, je traçai d'une main tremblante le vocable "reginglette" sur le mur de mon cagibi, puis je me jetai sur un divan et me bouchai les oreilles, espérant que les pulsations de mon sang m'empêcheraient d'entendre le fracas de l'écroulement du monde. »
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Antipathes
Dans son rêve, l'homme du nihil se trouvait en présence d'animaux inconnus, épars dans une substance gélatineuse formant l'enveloppe corticale d'un polypier corné, aléatoirement hérissé d'épines, rameux et plus ou moins filiciforme. Avant d'avaler du cyanure, il écrivait une lettre d'adieu à sa famille où il nommait ces animaux des antipathes dichotomes et déclarait qu'il mettait fin à ses jours parce qu'il avait des « doutes sur sa nature perverse ».
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Bonheur de soldat (Tobias Wolff)
Le vendredi, Hooper fut désigné chauffeur de garde pour la troisième fois de la semaine. Il avait récemment été à nouveau dégradé, cette fois de caporal à première classe, et le sergent-chef avait décidé d'occuper ses nuits afin qu'il n'ait pas le loisir de ruminer. C'est ce qu'il lui avait dit quand Hooper était venu se plaindre à la salle de rapport.
« C'est pour ton bien, dit le sergent-chef. Mais je ne m'attendais pas à ce que tu me remercies. » Il se carra dans son fauteuil. « Hooper, j'ai développé une théorie de la connaissance, dit-il. Ça t'intéresse ?
— Vas-y, je t'écoute, Top », dit Hooper.
Le sergent-chef posa ses bottes sur le bureau et son regard alla se perdre par la fenêtre qui était sur sa gauche.
« Selon moi, toute connaissance est une reconnaissance fondée sur une comparaison entre des représentations intuitives ou des représentations conceptuelles. Ma théorie a ainsi pour objectif d'expliquer le maximum de phénomènes avec le minimum de principes : elle détermine la coordination univoque entre le système des jugements et le système des faits que constitue la réalité et qu'étudie la physique. Qu'est-ce que tu en dis ?
— Ma foi, fit Hooper, il me semble que ta théorie rassemble et confronte plusieurs héritages : celui, bien connu et revendiqué par le Cercle de Vienne, d'un empirisme vérificationniste qui irait de Hume à Mach et Russell, voire Wittgenstein, et celui, moins connu mais aussi important, d'un kantisme qui irait de Kant à, par exemple, Helmholtz, Husserl, Cassirer et, surtout, Einstein.
— Petit salopiot ! aboya le sergent-chef. Qu'est-ce que tu me parles de Kant ? Tu ne vois pas que je refuse le synthétisme a priori ?
— Désolé, fit Hooper. J'ai sûrement été victime d'un horrible malentendu. »
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
Nez coloré du mélancolique
« Ce n'est pas sans raison que l'on a reconnu et admis un tempérament mélancolique ; ce tempérament existe en effet. La taille du mélancolique est moyenne, plutôt petite qu'élevée ; il a le corps généralement maigre et grêle, les cheveux noirs ou bruns, la peau huileuse, de couleur bise, munie de poils abondants ; le teint jaunâtre, le nez coloré, les yeux d'un brun fauve, ou généralement de couleur foncée. » (Paul-Ferdinand Gachet, Étude sur la mélancolie, Paris, 1864)
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Acère
Est dit acère tout ce qui est privé de cornes, de tentacules, d'antennes. « L'acère spiritualisme de Leibniz m'a rendu malade comme un chien ; j'ai appelé Raoul toute la nuit. »
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Soubresauts
La vie de l'homme du nihil est un continuum de l'irréalité, troué d'enthousiasmes sporadiques — quand par exemple il découvre un nouveau moyen de se détruire — et d'horreurs soudaines — ainsi lorsqu'on prononce près de lui le vocable reginglette, ou que le « monstre bipède » pointe son groin au vasistas de son « cagibi rienesque ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Un grotesque « génie du Mal »
Roberto Rastapopoulos apparaît beaucoup trop bouffon pour être ce « génie du Mal » dont il s'attribue le titre, mais il est en revanche un incontestable « roi de l'élégance ». Quand il apparaît, dans Le Lotus bleu, avec son costume havane à pantalon twist, ses guêtres et son monocle, il nous rappelle le dandy Alfred d'Orsay tel qu'immortalisé par Sir George Hayter (moins les côtelettes).
Sa vanité, sa suffisance, sont sans limites. Il aime à se faire appeler « grand maître » par ses sbires — « Voici l'homme, grand maître !... », lui dit le Japonais Mitsuhirato en lui présentant Tintin garotté. Aussi son amour propre est-il profondément blessé par Milou quand ce dernier ose lui répondre. Après que le « génie du Mal » a déclaré : « Vous regretterez un jour de vous être mis en travers de mon chemin : sachez que mon nom est Rastapopoulos ! », le sympathique fox-terrier à poil dur lui rétorque : « C'est ça qui nous est égal ! » Instantanément, sa superbe s'évanouit, et il est rappelé à la véritable condition de l'étant existant : celle de succédané du Rien.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Réaction
On reconnaît les calcaires à l'effervescence qu'ils produisent au contact d'un acide, et les suicidés philosophiques à celle, essentiellement phrastique, qu'ils produisent au contact du Rien.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Solitude effrayante de Maritain
La solitude qu'éprouve le suicidé philosophique face à son colt Frontier, à sa gazinière ou à son flacon de taupicide ne peut se comparer qu'à celle de l'« ami de la sagesse » Jacques Maritain à l'automne de sa vie quand, abandonné de tous, il vit la mort « marcher vers lui à grandes enjambées, tel un prophète hébreu ». Cette solitude de Maritain, pour Henri Massis, était la marque de l'infécondité intellectuelle de l'entreprise maritainienne placée sous le signe du thomisme !
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Conférences
Malgré l'interdiction qui lui a été signifiée, Heidegger se lance dans une série de conférences. Après Pourquoi des poètes de 1946, suivent quatre causeries intitulées Regard dans ce qui est : La chose, Le dispositif, Le danger, et Le tournant, qu'il prononce à Brême en 1949.
Heidegger justifie cette activité effrénée en disant que « le repos n'est que mouvement se retenant en soi, souvent plus inquiétant que le mouvement même ».
Lui qui fondait de grands espoirs sur ce contact direct avec son public n'est que médiocrement satisfait du résultat. Il ne voit dans son auditoire que des « intellectuels mal dégrossis ». Selon lui, « les paysans sont beaucoup plus agréables et même plus intéressants ».
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Regret tardif
Lorsque, au terme d'une existence où, juché sur une selle persane des plus inconfortables, il a été cahoté sur des chemins parsemés de rocs retors, de ronces et de piquants, l'étant existant tombe fatigué et endolori, il n'a qu'un sujet de méditation : l'incroyable folie de ne s'être pas muni d'une selle anglaise.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
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