dimanche 16 septembre 2018

Franc parler (suite)


« Je le pardonne à des crocheteurs, à des soldats aux gardes, à des porteurs de chaise et à des gens de ce calibre-là. Mais les empereurs chient, les impératrices chient, les rois chient, les reines chient, le pape chie, les cardinaux chient, les princes chient, les archevêques et les évêques chient, les généraux d'ordre chient, les curés et les vicaires chient. Avouez donc que le monde est rempli de vilaines gens ! Car enfin, on chie en l'air, on chie sur la terre, on chie dans la mer. Tout l'univers est rempli de chieurs, et les rues de Fontainebleau de merde, principalement de la merde de suisse, car ils font des étrons gros comme vous, Madame. » (Lettre de la princesse Palatine à sa tante Sophie, datée du 9 octobre 1694)

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

samedi 15 septembre 2018

Solipsisme attributif de l'urbain diffus


On sait que le solipsisme est une attitude philosophique d'après laquelle il n'y aurait pour le sujet pensant d'autre réalité certaine que lui-même. Ce que l'on sait moins, c'est que cette « vision du monde » a causé des dégâts considérables dans le domaine de l'urbanisme. Le géographe Augustin Berque en trace le tableau suivant : « La décomposition des paysages urbains par les formes solipsistes du mouvement moderne, par exemple, exprime ainsi une désurbanité profonde : un rejet de l'être-en-commun et du souci d'autrui dont la notion d'urbanité dit si éloquemment qu'ils s'exprimaient par excellence dans la cité. [...] L'être-vers-la-mort caractérise le solipsisme attributif de l'urbain diffus où l'on ne se soucie pas de transmettre un monde soutenable aux générations futures. »

« Voilà qui est à peine croyable ! », note Gragerfis dans son Journal d'un cénobite mondain avant de prescrire « un petit clystère, un petit clystère, bénin, bénin », pour « restaurer l'être-en-commun de la notion d'urbanité » et « éradiquer le solipsisme attributif de l'urbain diffus ».

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Matratzengruft


La pensée est un « matelas-tombeau » à la Henri Heine.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Interlude

Jeune fille fessue lisant le Monocle du colonel Sponsz de H. von Trobben

Catachrèses pascaliennes


Ce gouffre que Pascal « avait avec lui se mouvant », ne serait-il pas une métaphore du Rien ? Et le choc que reçut le penseur clermontois quand la vérité « lui apparut si vive qu'il en fut comme effrayé », ne fait-il pas penser à un vase subitement exposé à un feu de réverbère ?

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Franc parler


« Il est très chagrinant que mes plaisirs soient traversés par des étrons. Je voudrais que celui qui a le premier inventé de chier ne pût chier, lui et toute sa race, qu'à coups de bâton ! Comment, mordi ! qu'il faille qu'on ne puisse vivre sans chier ? Soyez à table avec la meilleure compagnie du monde ; qu'il vous prenne envie de chier, il faut aller chier. Soyez avec une jolie fille ou femme qui vous plaise ; qu'il vous prenne envie de chier, il faut aller chier ou crever. Ah ! Maudit chier ! Je ne sache point de plus vilaine chose que de chier. Voyez passer une jolie personne, bien mignonne, bien propre ; vous vous récriez : Ah ! Que cela serait joli si cela ne chiait pas ! » (Lettre de la princesse Palatine à sa tante Sophie, datée du 9 octobre 1694)

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Hantise


La vie de l'homme du nihil ressemble à une taïga stérile. Il y règne un calme de mort que vient seul troubler, quelquefois, le sifflement du sang dans le viscère. Le regard n'y rencontre que des mousses et des lichens qui revêtent toute chose : la terre, les pierres, les branches, et jusqu'au mufle des bovins. En Sibérie, les indigènes croient que des régions pareilles sont habitées par de mauvais esprits.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Morue


Le séjour dans les montagnes commençait à m'ennuyer. J'aurais été heureux de joindre mon régiment au plus vite ; mais malgré ce désir, je dus rester encore quelque temps. Les jours étaient assez monotones, les soirées en revanche très agréables grâce à la société du chef bohémien auquel je trouvais de plus en plus de qualités. J'étais assez curieux de la suite de ses aventures et, cette fois, le priai moi-même de satisfaire notre curiosité, ce qu'il fit en ces termes :

« Gros poisson du genre gade, atteignant jusqu'à 1 m 50, la morue est très vorace. Elle vit dans les mers arctiques, surtout entre Terre-Neuve et l'Islande, où l'on va la pêcher en été, dès le mois de mai. Sa chair fraîche constitue le cabillaud ; salée, c'est la morue verte ; sèche, c'est la merluche, et l'on tire de son foie une huile employée comme reconstituant. »

Lorsque le Bohémien en fut à cet endroit de ses aventures, il fut interrompu et dut aller s'occuper des affaires de sa horde.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Interlude

Jeune femme « issue de la diversité » lisant l'Apothéose du décervellement

Éloge du néant


« Les Bramènes asseurent que le monde n'est qu'une illusion, un songe, un prestige ; et que les corps, pour exister véritablement, doivent cesser d'estre en eux-mesmes, et se confondre avec le néant, qui par sa simplicité fait la perfection de tous les estres... Ils poussent si loin l'apathie ou l'indifférence, à laquelle ils rapportent toute la sainteté, qu'il faut devenir pierre ou statue, pour en acquérir la perfection. Non seulement ils enseignent que le sage ne doit avoir aucune passion ; mais qu'il ne lui est pas permis d'avoir mesme aucun désir. De sorte qu'il doit continuellement s'appliquer à ne vouloir rien, à ne penser à rien, à ne sentir rien, et à bannir si loin de son esprit toute idée de vertu et de sainteté, qu'il n'y ait rien en lui de contraire à la parfaite quiétude de l'âme. C'est, disent-ils, ce profond assoupissement de l'esprit, ce repos de toutes les puissances, cette continuelle suspension des sens, qui fait le bonheur de l'homme. » (Charles le Gobien, Préface de l'Histoire de l'édit de l'empereur de la Chine en faveur de la religion chrestienne, 1698)

Dans son Journal d'un cénobite mondain, Gragerfis assure « n'avoir jamais rien lu d'aussi exaltant ».


(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Par surcroît


L'homme ne possède-t-il qu'une âme et un corps, n'a-t-il pas aussi dans sa luxueuse besace l'excrément qui n'est ni l'un ni l'autre ?

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Un vorace voïvode


Le temps convoite ma pachyméninge, et d'autres encore de mes viscères.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

De Charybde en Scylla


À l'instar du lieutenant Pirogov qui, chez Gogol, oublie en mangeant des pâtés lorrains 1 la « dégelée » qu'il a reçue d'un mari trompé, le sectateur du Rien cherche l'apaisement de ses douleurs nihiliques dans la goûteuse et fort onctueuse musique de Schumann. Mais ce « perlimpinpin prismatique » (Jutique) s'avère aussi redoutable que le cratère funèbre du vide qu'il cherchait à fuir, et finit par l'engloutir tout entier !

1. Les pâtés lorrains renferment, dans une enveloppe de pâte feuilletée croustillante à souhait, une farce à base de porc mariné.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

vendredi 14 septembre 2018

Interlude

Jeune fille lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier

Soupault


Nous nous réunîmes à l'heure habituelle, et le Bohémien, étant de loisir, continua sa narration en ces termes :

« Né à Chaville le 2 août 1897, Philippe Soupault rencontre Aragon et Breton avec qui il fonde la revue Littérature en 1919. »

Lorsque le Bohémien en fut à cet endroit de sa narration, on vint lui dire que les affaires de sa horde exigeaient sa présence. Je me tournai vers Rébecca et lui dis que nous avions entendu le récit d'aventures extraordinaires qui cependant avaient toutes été expliquées d'une manière naturelle.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

L'angoissante randonnée du « Suisse »


Dans toute l'odyssée de l'excrément, on retrouve cette angoisse intérieure qui se nourrit et se détruit de son propre mouvement, « forcée pour durer à manger sa propre durée, comme le catoblépas mangeait sa propre chair. » Elle imprègne ces lieux de passage, ces couloirs, ces galeries mal éclairées où il transite, ces boyaux qui évoquent tout à la fois l'atelier du Tintoret et une pérégrination étouffante.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Ascétisme et articulations ginglymoïdes


On dit — mais cela est-il vrai ? — que saint Colomban, anxieux de surclasser les ascètes de son temps, en arriva à faire 12 000 génuflexions par jour. Tout ce qu'il en retira, s'il faut en croire l'abbé Pétin 1, fut « une tuméfaction très-considérable du genou et des ligaments très-distendus ». La contraction des muscles fléchisseurs était si forte que la jambe formait avec la cuisse un angle droit, et restait invariablement fixée dans cette position !

1. Dictionnaire hagiographique, Paris, 1850.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Introuvable possible


L'homme du nihil est parfois tenté d'imiter le philosophe danois Søren Kierkegaard et d'aller, vêtu d'un caleçon long, par les cités et par les places, des viandes et des poissons pendus à son cou, en criant : « Du possible ! Du possible, sinon j'étouffe ! »

Mais à quoi bon « faire le zouave », puisque du possible, ici-bas, il n'y en a « pas plus que de beurre au prose »...


(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Interlude

Jeune fille lisant les Scènes de la vie de Heidegger de Jean-René Vif

Vains conseils


Celui que la pensée du suicide taraude, c'est en pure perte qu'on lui recommandera l'amour du travail, la sobriété en toutes choses, la propreté, la plus grande attention à se vêtir selon les diverses saisons de l'année ; qu'on lui ordonnera les voyages, l'équitation, l'horticulture, une vie très régulière ; qu'on lui offrira toutes les consolations de l'amitié. Il finira tôt ou tard par se jeter dans un puits busé ou par s'asphyxier en se claquemurant dans un sac en papier.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Orang-outan


Le lendemain matin, le Juif errant était en vue ; il descendait la montagne à grands pas. Arrivé près de nous, le malheureux vagabond jeta un regard meurtrier sur le cabaliste ; mais remarquant qu'il ne pouvait se dérober, il se mit comme d'habitude entre moi et Velasquez, se tut un instant, puis reprit son récit en ces termes :

« Les orangs-outans sont de grands animaux roux, à douze paires de côtes, à bras extrêmement longs. On a cru longtemps qu'ils étaient, de tous les animaux existants, ceux qui se rapprochent le plus de l'homme ; mais les savants d'aujourd'hui estiment plutôt que ce sont les gibbons. »

Sur ce, le vagabond disparut dans une gorge proche.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Révélation


« Et assis là, sur mon thomas, je compris combien l'acte défécatoire était important, combien il m'était nécessaire de pouvoir accomplir quotidiennement le cathartique "Grand Œuvre". Dans l'apothéose excrémentitielle, l'univers explosait, chacune de ses particules s'écartait des autres, nous lançant, le "Suisse" et moi, dans un espace obscur et désert, nous arrachant éternellement l'un à l'autre, chacun suivant son chemin vers la cage ultime de la mort solitaire. »

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Cataclysmologie


Je scrute en autrui les multiples formes du désastre existentiel.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Interlude

Albert Einstein lisant la Mathématique du néant de Włodzisław Szczur

Tête de cheval


Dans certains pays, jusqu'à une époque récente, la tête de cheval passait pour protéger l'espèce humaine. Ainsi, dans la région d'Arkhangelsk, on la plaçait sur le poêle, convaincu qu'elle allait éloigner les miasmes pestilents. Au solstice d'été, dans la Russie centrale, on jetait une tête de cheval sur un brasier ardent pour s'immuniser contre les maléfices des sorciers, ces « pernicieux fils de la nuit » (Gragerfis). Chez ces peuples, la tête de cheval représentait le soleil, vu comme une divinité bienfaisante, aux vertus salutaires.

L'écrivain Otto Weininger, en revanche, voyait quelque chose de sinistre et de profondément malsain dans ce morceau d'anatomie du « bourrineau ». Ne prétendait-il pas avoir constaté, chez plusieurs individus redoutant la folie, « une parenté morphologique avec la tête de cheval » !

L'ambivalence de cette tête de cheval confirme l'intuition décisive de l'homme du nihil, à savoir que « tout est une question de point de vue » et que la connaissance est un terrain mou, marécageux, et plein de roseaux.


(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

jeudi 13 septembre 2018

Instants de grâce


Comme l'agonie, le processus naturel de la défécation peut se dérouler sans souffrance : il y a des étrons instantanés. Dans ce cas, le phénomène n'a pas le temps de parvenir à la conscience. Il peut consister en un affaiblissement du « boyau culier », ou se produire pendant le sommeil, auxquels cas on ne le remarque pas, ou à peine.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Alpinisme nihilique


Cependant nous arrivâmes au gîte, et Rébecca pria le duc de vouloir bien continuer à l'instruire de son système. Il donna quelques instants à la réflexion, ensuite, il commença en ces termes :

« Je me souviens de l'existence comme d'un portement de croix au milieu d'un Himalaya d'immondice, d'une Alpe de charogne. »

Velasquez ajouta encore à cette comparaison quelques autres développements, dont Rébecca parut sentir toute la valeur, et ils se séparèrent, réciproquement persuadés de leur mérite. 

 (Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Chasse aux nuisibles


Il serait à souhaiter qu'on pût reconnaître quel est l'aliment favori du Moi, afin de s'en servir pour l'empoisonner, comme on empoisonne les rats et toutes les espèces nuisibles. Le docteur Étienne Rufz, dans son Enquête sur le serpent de la Martinique, relate que M. Barillet, directeur du Jardin des Plantes, conservait un serpent en cage ; l'animal refusait tous les aliments qu'on lui présentait, lorsque ledit Barillet eut l'idée de mettre du lait devant lui : aussitôt le serpent en but avec avidité. — Ne serait-il pas possible de mettre à profit cette observation, en se fondant sur la similitude du Moi et du serpent, et de séduire le « sinistre polichinelle » par un coquetèle de lait et de taupicide ?

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Interlude

Jeune fille lisant la Mélancolie bourboulienne de Léon Glapusz